Le Ramayana


Un adage indien dit que « Tant qu’il y aura sur terre des montagnes et des rivières, le Ramayana vivra ». Mais qu’en est-il aujourd’hui de la vitalité de cette épopée fondatrice de la pensée indienne ? Comment s’est-elle adaptée aux cultures adoptantes ? Quelle y est la place de la musique ? Comment, à travers la musique et les arts, continue-t-on de le faire vivre ? Pourquoi est-il parvenu jusqu’au temps présent sans jamais faillir ?

 

Photos, vidéos : © Patrick Kersalé 2005-2024. Dernière mise à jour : 29 août 2024.


SOMMAIRE

Généralités

. Introduction

 

Le Ramayana en Inde

. La fresque du haveli “Sone Chandi Ki Dukan”

 

Le Ramayana en Indonésie

. Hier et aujourd'hui en Indonésie

. Le théâtre d’ombres et le gamelan javanais

. Fabrication des marionnettes du théâtre d’ombres

. Du cak ancien au kecak touristique

. De la symbolique du cak

Versions comparées

. Transformation du râkshasa Mâricha en antilope dorée

. Intervention et mort de Jatâyus

. Combat entre les armées des singes et des râkshasas

 

PAE connexe

> Le Théâtre des Grands Cuirs : Sbek Thom

 

DOCU

> Du Ramayana au Reamker…



Généralités

Le Ramayana (prononcer Ramayan, le “a” final ne se prononce pas) nous renseigne sur l’Inde hindoue au début de notre ère. Ce long texte (7 livres, 645 chants) est attribué au sage Valmiki, mais il s’agit en vérité d’une œuvre collective. En voici un rapide résumé : « Râma, fils aîné du roi d’Ayodhyâ, est contraint à l’exil à la suite d’une intrigue de sa marâtre Kaikeyi, soucieuse de l’éloigner du trône pour y mettre son propre fils, Bharata. Retiré dans la forêt de Dandaka, il vit avec sa femme Sitâ et son frère Lakshmana. Il n’a de cesse de combattre les démons dont le roi est Râvana. Un jour, Mâricha, un servant de Râvana, se transforme en antilope dorée. Dès qu’ils la voient, Lakshmana et Râma se lancent à sa poursuite, laissant seule Sitâ. Râvana en profite pour l’enlever et l’emmène dans son royaume de Lankâ. Pour la retrouver, Râma s’allie au roi des singes qui lui envoie son fidèle général Hanumân à la tête de l’armée des singes. Râma tue Râvana au cours d’une terrible bataille et retrouve Sitâ.

Râma, avatar de Vishnu, incarne à la fois les qualités du fils, du frère, du mari et du roi idéal. Sa femme est un parangon de fidélité. Quant à Hanumân, il est l’image même du dévouement et fait l’objet d’un culte répandu dans toute l’Inde.

Si, parmi les générations nouvelles, certains Indiens pensent qu’une grande partie des préceptes moraux du Ramayana ne sont guère applicables aux conditions modernes et doutent de la théologie dont ils sont le reflet, cela n’empêchera pas que ces textes ne pourront jamais être oubliés, tant ils ont influencé la culture hindoue et si grand reste leur mérite littéraire.

Le Ramayana a vécu, vit et semble « condamné » à vivre en s’adaptant. Aujourd’hui, grâce à ce PAE, il continue sa route vers les écoles francophones. Peut-être va-t-il bénéficier de cette nouvelle chance qui lui est offerte de trouver sa place dans une autre culture lors de représentations montées par les élèves et leurs professeurs…

 

Introduction, par Catherine Basset

Catherine Basset, anthropologue et ethnomusicologue, auteur d’une thèse sur “L’anthropologie de la musique et les arts du spectacle à Bali et Java”, de publications de référence sur la musique indonésienne, nous aide à répondre à ces questions tout au long de ce PAE. Dans cette première séquence, elle évoque l’origine indienne du Ramayana, sa migration vers le sud-est asiatique, les rôles des divinités incarnées et des ogres géants râkshasas.

 

Lieu & date : Paris. Juin 2006.

Durée : 02:40. Commentaires © Catherine Basset 2006-2024.

La séquence pas-à-pas

 

00:00 - L’origine indienne du Ramayana et le rôle de Valmiki.

01:05 - Migration du Ramayana vers le sud-est asiatique.

01:22 - Rôles des divinités incarnées et des râkshasas.



Le Ramayana en Inde

Principaux personnages et lieux du Ramayana

À propos de la graphie utilisée

La graphie de la liste non exhaustive des personnages et des lieux ci-après est une francisation des termes sanskrits. Nous nous sommes limités aux noms utilisés dans ce projet.

 

Les divinités supérieures

  • Brahmâ : première divinité de la trimurti (triade) hindoue considérée comme le créateur de l’univers. Dans le Ramayana, Brahmâ préside à la vie rituelle.
  • Vishnu : seconde divinité de la trimurti, en charge de la protection de l’univers et du maintien de son équilibre. Dans le Ramayana, elle est la divinité suprême. Elle est citée comme « Homme suprême » et apparaît sous divers noms selon les fonctions extra-rituelles qu’elle occupe, notamment Krishna ou Râma lorsqu’il “descend” (avatar) dans le monde hommes pour restaurer l’ordre cosmique (dharma).
  • Shiva : troisième divinité de la trimurti considérée comme le destructeur de l’univers. Rarement désigné par ce nom dans le Ramayana, Shiva apparaît plutôt sous d’autres dénominations. Par ses faveurs, elle a contribué à accroître la puissance des râkshasas du royaume de Lankâ.

Au royaume de Kosala

  • Dasharata : roi d’Ayodhyâ, capitale du Kosala, rival de Râvana.
  • Kausalyâ première femme du roi Dasharata mère de Râma et Lakshmana.
  • Kaikeyi : seconde femme du roi Dasharata, mère de Bharata.
  • Râma : incarnation de Vishnu, premier fils de Dasharata et Kausalyâ.
  • Bharata : fils de Dasharata et Kaikeyi, (demi-) frère de Râma.
  • Lakshmana : jeune (demi-) frère de Râma, son préféré.
  • Sitâ : voir « Au royaume de Videha » ci-après.
  • Vishvâmitra : brâhmane, gourou de Râma et Lakshmana.

 

Au royaume du Lankâ (actuel Sri Lanka)

  • Râvana : roi à dix têtes des râkshasas, souverain de Lankâ.
  • Kumbhakarna : frère géant de Râvana.
  • Shûrpanakhâ : sœur de Râvana, de visite dans l’ermitage de Râma, elle tente de le séduire ; sur ordre de Râma, Lakshmana lui tranche le nez et les oreilles.
  • Mâricha : servant de Râvana, fils de Tâtakâ, il se transforme en antilope dorée, imite la voix de Râma, suscitant ainsi le départ de Lakshmana pour faciliter l’enlèvement de Sitâ.
  • Tâtakâ : mère de Mâricha.

Au royaume de Videha

  • Janaka : roi de Videha — dont la capitale mythique est Mithilâ —, père adoptif de Sitâ. Il reçoit Râma pour lui faire subir l’épreuve de l’arc de Shiva, à l’issue de laquelle le jeune prince deviendra l’époux de Sitâ.
  • Sitâ : fille adoptive du roi Janaka, femme de Râma, enlevée par Râvana.

Au royaume de Kishkindhâ (royaume mythique des singes)

  • Hanumân : singe blanc général de l’armée des singes, compagnon de Sugriva et serviteur de Râma. Il est célèbre pour ses exploits prodigieux. Il fait, aujourd’hui encore, l’objet d’un culte important dans toute l’Inde.
  • Sugriva : roi des singes, fils du Soleil. Il apporte le concours du peuple des singes à Râma.
  • Vâlin : frère aîné de Sugriva, après une lutte farouche avec ce dernier, il est tué d’une flèche par Râma.

Autres personnages

  • Jâmbavân : roi des ours. Il prête main-forte au peuple des singes pour libérer Sitâ des griffes de Râvana.
  • Jatâyus : roi des vautours, fils d’Aruna et neveu de Garuda, ami du roi Dasharata. Blessé par Râvana, il a le temps de révéler à Râma et Lakshmana le lieu où se trouve Sitâ enlevée par les râkshasas.

 

La fresque du haveli “Sone Chandi Ki Dukan”

Situé dans la petite ville de Mahansar (Région du Shekhavati – état du Rajasthan – Inde), le haveli “Sone Chandi Ki Dukan” a été construit par un orfèvre en 1846. Le plafond d’une des pièces est peint d’une extraordinaire fresque relatant les principaux épisodes du Ramayana. Notre propos est de découvrir succinctement quelques épisodes de cette grande épopée à partir de celle-ci.

 

Nota : une étude préalable du Ramayana à travers les résumés qui en sont largement publiés par ailleurs, nous semble toutefois nécessaire, notamment afin de se familiariser avec les noms des personnages et des lieux.

Le contenu Google Maps ne s'affiche pas en raison de vos paramètres des cookies actuels. Cliquez sur la politique d'utilisation des cookies (Fonctionnels) pour accepter la politique d'utilisation des cookies de Google Maps et visualiser le contenu. Pour plus d'informations, consultez la politique de confidentialité de Google Maps.

Lieu et date : Inde. Rajasthan. Mahansar. Janvier 2006.

Durée : 08:36. © Patrick Kersalé 2006-2024.

Principaux personnages de la fresque

 

Au royaume d’Ayodhyâ : Râma, Lakshmana, Vishvâmitra.

Au royaume de Lankâ : Râvana, Kumbhakarna, Shûrpanakhâ, Mâricha, Tâtakâ.

Au royaume de Videha : Janaka, Sitâ.

Au royaume des singes : Hanumân, Sugriva, Vâlin.

Autres personnages : Jatâyus.

Divinités : Brahmâ monté sur un cygne, Ganesha, le dieu Soleil, le dieu Lune.


 

La séquence pas-à-pas

Les titres ci-après font référence au résumé du texte donné au début de ce chapitre.

 

00:00 - Introduction

Au Rajasthan, dans la petite ville de Mahansar, un orfèvre fit construire, en 1846, une très belle maison de maître. Le plafond de l’une de ses pièces est peint d’une extraordinaire fresque qui relate les principaux épisodes du Ramayana.

 

00:38 - Au royaume d’Ayodhyâ

« Près des montagnes de l’Himalaya se trouve le royaume d’Ayodhyâ, gouverné par le roi Dasharata. Il y fait bon vivre, tout respire la joie. Malgré cela, le roi est triste car il est âgé et n’a pas de descendance. C’est alors qu’il fait boire un élixir de fécondité à ses trois femmes qui lui donnent quatre fils. L’enfant de son épouse principale se nomme Râma. Dans un songe, sa mère découvre qu’il est le fils du Seigneur Suprême.

 

01:16 - La requête et l’initiation par le gourou Vishvâmitra

Un jour, le sage Vishvâmitra vient trouver le roi afin de lui demander l’aide de son fils Râma, car il souhaite éliminer deux terribles démons, qui font échouer ses cérémonies de sacrifices. Malgré lui, le roi accepte. Râma et son frère cadet Lakshmana suivent le sage dans la forêt où il va les initier au yoga et leur révéler de puissants mantras. Tandis que les brahmanes conduisent leurs cérémonies, Râma blesse le démon Mâricha et sa mère Tâtakâ.

 

02:07 - L’épreuve de l’arc et le mariage de Râma

Entre-temps, le roi Janaka, gouverneur d’un autre royaume, promet sa fille Sitâ à qui parviendra à bander l’arc de Shiva. Le jour de l’épreuve, divinités, rois et princes se pressent qui sur un char céleste, qui à dos d’éléphant ou à cheval, qui à pied. Surpassant tous ses concurrents, Râma réussit l’exploit de briser l’arc et épouse la belle princesse. Les festivités nuptiales sont grandioses : on joue de la musique, on chante, on danse.

 

03:24 - La jalousie de Kaikeyi et l’exil de Râma

De son côté, le roi Dasharata souhaite renoncer à son trône pour le confier à Râma. Mais Kaikeyi, la dernière épouse du roi, oblige son mari à abandonner ce projet en lui rappelant la promesse faite un jour où elle lui avait sauvé la vie. La mort dans l’âme, le roi exile Râma durant quatorze années et meurt de chagrin. Râma obéit à son père et part dans la forêt, accompagné de sa femme Sitâ, de son frère cadet Lakshmana et de son maître Vishvâmitra. Râma découvre alors ses pouvoirs extraordinaires et dispense le bien partout où il passe.

 

04:16 - L’enlèvement de Sitâ

Un jour, le démon Mâricha réapparaît. Transformé en antilope[1] dorée, il parvient à attirer Râma loin de Sitâ. À l’appel de ce qu’il croit être une demande d’aide, Lakshmana abandonne Sitâ à la seule garde du vautour[2] Jatâyus. Grâce à ce stratagème, Râvana, le roi des démons déguisé en moine errant, tente de séduire la belle princesse avant de se saisir d’elle. C’est alors que Jatâyus fond sur Râvana et le blesse de son bec. Mais le démon, d’un coup d’épée, meurtrit le roi des vautours en plein vol avant de disparaître dans les nuages. Heureusement, avant d’expirer, l’oiseau a le temps de tout raconter à Râma.

 

05:11 - Le soutien des singes

L’ancien roi des singes, Sugriva, touché par la noblesse des deux princes errants, décide de les aider à retrouver Sitâ. En contrepartie, Râma le protège de son jumeau, le dénommé Vâlin, et l’aide à reconquérir le trône. Mais un jour, un combat fratricide s’engage entre les deux singes. Voyant la situation dégénérer, Râma intervient et frappe mortellement Vâlin d’une flèche. Ainsi libéré, Sugriva reprend son trône et, en reconnaissance, entreprend la recherche de Sitâ.

 

05:53 - La mission d’Hanumân

C’est le grand singe Hanumân qui, sur la demande de Râma, part pour la ville de Lankâ, le fief de Râvana. Doté de pouvoirs extraordinaires, il traverse seul la mer et parvient à localiser Sitâ prisonnière des démons. Repéré, il est capturé. Toutefois, il parvient à s’échapper grâce à ses pouvoirs magiques et à revenir informer Râma.

 

06:24 - L’armée des singes et des ours

Aidé de son frère, d’Hanumân et de Sugriva, Râma parvient à faire traverser la mer à l’armée des singes et des ours du roi Jâmbavân. Le combat est rude contre l’armée des démons. On déplore des milliers de morts dans les deux camps. Le combat final a lieu entre Râma et Râvana duquel le loyal prince sort vainqueur.

 

07:16 - L’épreuve de la pureté de Sitâ

Râma libère Sitâ de l’emprise de ses geôlières, mais il doute un instant de la chasteté de celle qui est restée aux mains de l’obstiné Râvana. C’est alors que Sitâ, blessée dans son amour-propre, se jette dans le feu d’un bûcher funèbre pour prouver sa bonne foi. Épargnée par les flammes, Râma sait désormais qu’elle lui est restée fidèle.

 

07:47 - Le retour au royaume d’Ayodhyâ

Le temps est alors venu pour tous ces héros de retourner au royaume d’Ayodhyâ où ils sont accueillis dans la joie et l’allégresse par les habitants. Râma prend la direction du royaume et y apporte paix et prospérité. Quant à Sitâ, elle lui donnera deux fils qui perpétueront la dynastie.

___________

[1] Un cerf d’or dans d’autres versions.

[2] Aigle dans d’autres versions.


Le Ramayana en Indonésie

Hier et aujourd'hui en Indonésie, par Catherine Basset

En arrivant en Asie du Sud-Est, en général, et en Indonésie en particulier, le Ramayana s’est inscrit dans la diversité représentative. Catherine Basset en énumère un certain nombre, depuis les reliefs originels des temples jusqu’à la bande dessinée moderne et le film. Elle lève ensuite le voile sur des aspects plus secrets des épopées du Ramayana et du Mahabarattha, sur leur utilisation par les hommes politiques, sur la nature et le rôle des marionnettistes dalang.

 

Lieux et dates : 

. Interview de Catherine Basset : Paris. Juin 2006.

Images d’Indonésie : Yogyakarta (Java). Octobre 2005.

Images du Cambodge : Siem Reap, Angkor. Décembre 2005.

Durée : 04:22. © Patrick Kersalé 2005-2025.


 

La séquence pas-à-pas

Commentaires extraits de l’interview de Catherine Basset.

 

00:00 - En dehors de sa forme écrite, le Ramayana a été connu en Indonésie, d’abord par des reliefs qui, après l’époque de Prambanan (Xe s.), ont adopté un style particulier : le wayang, style plastique dévolu à la représentation des épopées indiennes (Ramayana, Mahabarattha et autres). On trouve le wayang sous forme de reliefs sculptés, de peintures, de marionnettes d’ombres ou utilisables de jour, de masques portés par des danseurs, de bande dessinée moderne, de film, de gravure sur des feuilles de palmier.

 

01:50 - L’écriture et la lecture sont restées réservées à une élite parce que l’écriture en aksara contient un haut niveau de savoirs secrets et des pouvoirs paranormaux. L’élite s’est réservée ces savoirs mais a véhiculé des messages sous forme orale et graphique de ces épopées. Aujourd’hui encore, quiconque écrit le javanais ou le balinais est considéré comme possédant des pouvoirs paranormaux. En revanche, les formes orales réactualisent en permanence ces épopées puisqu’il existe, à l’intérieur, des enseignement moraux, stratégiques et religieux adaptés aux diverses confessions. Il y a divers niveaux d’interprétation du texte du Ramayana et notamment un niveau codé et secret pour les initiés dont font partie les hommes politiques qui fréquentent les marionnettistes dalang, mages de Java et Bali. Le Ramayana et le Mahabarattha constituent des références constantes pour interpréter les événements de la politique et de la société actuelle.

 

Le théâtre d’ombres et le gamelan javanais, par Catherine Basset

L’actualité politique du Ramayana en Indonésie : littérature et pouvoir

© Catherine Basset 2008-2024

 

L’importance du Ramayana au plan éthique et politique ne doit pas être minimisée. En effet, en Indonésie, les épopées indiennes restent une référence pour interpréter les évènements présents et même pour agir en conséquence, qu’il s’agisse de destinée individuelle ou collective. Aussi bien le citoyen moyen que d’importants personnages politiques s’identifient à (ou sont identifiés à) des héros des épopées antiques.

Certains épisodes des épopées indiennes sont réputés causer des catastrophes semblables à celles qu’ils décrivent. Aussi craint-on de les représenter en Wayang, surtout pendant les périodes de troubles politiques ou de catastrophes naturelles. Plus largement, la littérature véhiculée par le Wayang reste d’actualité car elle expose de manière approfondie un grand nombre de problèmes et de dilemmes qui se sont avérés récurrents au cours de l’histoire réelle, jusqu’à nos jours.

Prenons un exemple : le dilemme entre nationalisme et idéalisme, souvent retranscrit à travers les personnages du Ramayana que sont Kumbakarna et Wibisana, les frères cadets du cruel Rahwana, roi des raksasa. Également sages, ils font des choix différents. Refusant d’être plus longtemps le témoin des exactions de Rahwana, Kumbakarna décide de passer le reste de sa vie à dormir, car sa force est telle que sa colère ferait de terribles dégâts. Il confie à Wibisana le soin de veiller au grain et de mettre Sita bébé hors de portée de Rahwana. Mais quand Rahwana va faire réveiller de force Kumbakarna pour lui demander de participer au combat contre Rama et l’armée des singes, Kumbakarna va accepter de livrer bataille. Cela non sans signifier à Rahwana qu’il n’est nullement solidaire de ses actes : si Kumbakarna est prêt à verser son propre sang, c’est seulement pour épargner celui de son peuple. En revanche, Wibisana prend le parti de suivre son idéal de Dharma — d’ordre — qu’incarne Rama. Il va donc trahir sa famille et sa nation pour s’allier à l’ennemi, Rama. Conseiller de Rama, il se fera même l’artisan indirect de la mort de son cher frère Kumbakarna, pour abréger les souffrances des singes, puis celles de Kumbakarna lui-même. Mort au champ d’honneur, Kumbakarna sera salué comme un héros et gagnera ainsi sa place au paradis. Quant à Wibisana, décrit comme un sage, un héros positif, il reste aux yeux de Rahwana et de certains Indonésiens, un renégat dont l’exemple ne devrait pas être suivi.

Le personnage de Rama lui-même n’est pas exempt d’ambiguïtés qui choquent l’éthique occidentale moderne. Ne va-t-il pas à plusieurs reprises tester la fidélité de Sita, qui fut prisonnière de Rahwana pendant 12 ans ? Et, alors que tout prouve cette fidélité, n’ira-t-il pas jusqu’à répudier quand même Sita, pour la bonne marche du royaume?

Le débat renaît constamment, dans la presse, dans les conversations et dans le Wayang, à chaque occasion offerte par l’actualité politique. Ce débat était notamment animé, dans une chronique ensuite publiée sous forme de livres, par le dalang (conteur-marionnettiste) du président Suharto, dalang qui était également général de l’armée indonésienne. Dans ses écrits et dans le courrier des lecteurs, les personnages du Ramayana et du Mahabharata sont décrits dans toute leur complexité, et les questions posées sont mises en regard de la philosophie occidentale, par exemple de Sartre ou du marxisme.

Mais à demi-mot (et à grand renfort d’avertissement dissuasifs à l’intention du lecteur lambda), y est aussi évoquée la “ Doctrine Secrète de salut des créatures et de purification des râkshasas ” : une gnose d’inspiration tantrique mêlée de soufisme dont les aspects kabbalistiques sont réservés aux initiés, auxquels ils sont sensés conférer un surcroît de sakti, une énergie paranormale qui est la condition du pouvoir. C’est une des raisons pour lesquelles les plus hauts dirigeants du pays — les princes, mais aussi certains militaires et les présidents de la République — sont réputés être des clients privés des dalang. Car en Indonésie, nul ne saurait régner sans sakti. Pour qui connaît l’ésotérisme indo-javanais ou indo-balinais, le Wayang recèle un niveau codé, secret, à déchiffrer au travers des épopées indiennes revisitées par les dalang.

 

Lieu et date : Yogyakarta (Java). Octobre 2005.

Durée : 06:10. © Patrick Kersalé 2005-2024.

Grâce à Catherine Basset, nous pénétrerons ici le symbolisme du wayang kulit, le théâtre d’ombres javanais ainsi que celui du gamelan. Dans cette séquence de théâtre d’ombres, la magie du cinéma opère : elle nous permet de nous situer tour à tour côté lumière et côté ombre. Le montage met en perspective la formidable dynamique manipulatoire des marionnettes par le dalang.


 

La séquence pas-à-pas

Commentaires extraits de l’interview de Catherine Basset.

 

00:07 - Situation géographique de Yogyakarta dans l’archipel indonésien.

00:19 - Marionnettiste dalang.

00:35 - Dans sa forme la plus connue à Java, le Ramayana est présenté en théâtre d’ombres wayang kulit. Quand il s’agit d’un rituel de purification, il est donné en plein jour, sans ombre. Le dalang officie alors comme mage grâce aux pouvoirs paranormaux obtenus par son yoga, à la présence de sa chanteuse, — qui est sa sakti, c’est-à-dire son énergie incarnée à l’image des dieux — et de la joueuse de métallophone gender.

01:24 - Quand le wayang est donné comme divertissement, on a le côté des ombres et celui du marionnettiste.

01:53 - À Java, auparavant, le wayang kulit était donné à l’intérieur dans les palais ou les maisons, à la frontière de l’intérieur des appartements où étaient les femmes qui ne voyaient que les ombres, et de la terrasse qui donne sur l’extérieur où se trouve le gamelan, le marionnettiste et les hommes qui pouvaient voir la manipulation.

02:40 - De nos jours, les femmes ont aussi accès au côté du marionnettiste et presque plus personne, sauf les touristes, ne se met du côté des ombres.

03:01 - La musique de gamelan et le théâtre sont des offrandes au même titre que les offrandes matérielles, alimentaires, les sacrifices d’animaux. Cette musique est un microcosme qui a la forme de l’univers, du mandala constitué de cercles et carrés concentriques. Elle part du gong (litt. « totalité »), le son le plus grave qui contient dans sa résonance tous les autres sons. Avec la frappe du gong, commence le temps mesuré et la diffraction de ce son dans divers instruments de tessitures différentes. Plus on va leur l’aigu, plus il y a de notes jouées. Tout cela forme une boucle qui retourne vers l’unité du gong.

04:33 - Le dalang sait sculpter ses marionnettes, imiter les voix des personnages, réaliser leur gestuelle, diriger la musique grâce à des codes vocaux et la frappe de petites percussions avec la main et le pied.

05:10 - Le dalang chante, utilise plusieurs langues de la littérature et la langue commune. Il est également un grand humoriste, connaît la littérature mieux que personne, a une opinion sur les événements présents de manière à pouvoir la réactualiser par l’intermédiaire de la voix de ses personnages. Parmi ces personnages, certains ne sont pas dans les épopées indiennes, mais typiquement javanais ou balinais selon le cas, serviteurs qui mettent à la porté des gens du commun et du présent, des héros du passé.

 

Fabrication des marionnettes du théâtre d’ombres

Lieu et date : Yogyakarta (Java). Octobre 2005.

Durée : 02:30. © Patrick Kersalé 2005-2024.

La séquence pas-à-pas

 

00:00 - Le matériau utilisé est le cuir de buffle sur lequel on trace le motif avant de le sculpter.

01:01 - Pour articuler les bras, on utilise des os de buffle.

01:21 - Le cuir est ensuite poncé avec du papier de verre.

01:34 - On applique ensuite la couleur et un vernis protecteur.


Du cak ancien au kecak touristique, par Catherine Basset

Lieux et dates :

. Interview de Catherine Basset : Paris. Juin 2006.

. Images d’Indonésie : Ubud (Bali), Yogyakarta (Java), Octobre 2005.

Durée : 04:04. © Patrick Kersalé 2005-2024.


La séquence pas-à-pas

Commentaires extraits de l’interview de Catherine Basset.

 

00:00 - Images de kecak (prononcer kétjak)  « touristique ».

00:42 - Évolution du cak à Bali des années 30 à nos jours. Catherine Basset met en lumière la volonté du gouvernement indonésien de créer une culture nationale s’appuyant sur les sommets culturels des différentes régions de l’archipel indonésien.

04:04 - C’est dans les villages que le récit du Ramayana ou des épisodes du Mahabarattha est entré dans le chœur de percussions vocales. L’Académie Gouvernementale des Arts a ensuite introduit un ballet de Ramayana. La différence entre le cak des années 30 et le kecak touristique, c’est que ce dernier ne présentait qu’un épisode du Ramayana tandis que le kecak touristique actuel présente un condensé de l’épopée en une heure.

 

De la symbolique du cak, par Catherine Basset

Lieux et dates :

. Interview de Catherine Basset : Paris. Juin 2006.

. Images d’Indonésie : Ubud (Bali), Yogyakarta (Java), Octobre 2005.

Durée : 03:25. © Patrick Kersalé 2005-2024.

Catherine Basset nous fait découvrir la symbolique du cak rituel capable de rassembler les énergies difractées. Elle fait le parallèle entre ce rôle réunificateur et la devise de l’Indonésie : « l’unité de la diversité ».


 

La séquence pas-à-pas

Commentaires extraits de l’interview de Catherine Basset.

 

00:00 - Images de kecak « touristique ».

00:29 - Les percussions vocales onomatopéiques et polyrythmiques du cak balinais imitent les voix des buta-kala, (buta = matière, kala = temps). Les buta-kala représentent des grouillements de matières vivantes, invisibles, non-maîtrisables et considérées comme le niveau inférieur du monde. On peut toutefois les maîtriser grâce à la forme rituelle sanghyang du cak en l’organisant dans une polyrythmie et un travail du souffle considéré à la fois comme une discipline et un exutoire énergétique de la partie inférieure de la ceinture des hommes. En effet, les buta-kala ne sont pas uniquement en bas du monde, mais également en bas du corps. Un humain est un petit monde.

01:37 - Le monde est constitué de trois parties :

  • Swah, le monde originel et supérieur, celui de l’esprit et de la conscience.
  • Buah, le monde intermédiaire, celui des formes, où vivent les hommes.
  • Bhur, le monde inférieur, celui de l’informe, des grouillements, des buta-kala.

Il s’agit de la même énergie sous trois formes, mais diffractée. Le rôle des rituels est donc de ramener l’unité dans cette diversité qui part vers le chaos. Le cak, constitué d’un cercle autour d’une lampe, est un modèle de cette diversité rassemblée dans l’unité. C’est également la devise de l’Indonésie : bhineka tunggal ika, l’union de la diversité.


Versions comparées

Dans cette section, nous confrontons diverses versions d'une même scène entre l'Inde, l'Indonésie et le Cambodge, toutes techniques confondues (graphisme, théâtre d'ombres, théâtre masqué).

 

Transformation du râkshasa Mâricha en antilope dorée

Le Ramayana est riche de sa diversité, notamment liée à sa large expansion géographique. Dans ce chapitre « Le Ramayana et ses adaptations », nous avons souhaité montrer cette diversité expressive en nous référant à trois épisodes fréquemment traités à travers les arts asiatiques : peinture, sculpture, théâtre d’ombres et ballet.

Notre objectif est également d’encourager animateurs et enseignants à créer des versions du Ramayana avec les moyens artistiques de l’environnement culturel considéré.

En préalable à chaque séquence, nous revenons, pour mémoire, sur le traitement de l’épisode dans la fresque de “Sone Chandi Ki Dukan” puis nous enchaînons la présentation à travers d’autres médias.

 

Nota : pour des raisons de simplification et de mémorisation, nous avons conservé les noms et graphies des personnages et des lieux indiens du Ramayana pour leur évocation dans le contexte indonésien. On trouvera ci-après une liste non-exhaustive des variants.

 

Correspondance des noms de quelques personnages entre l'Inde et l'Indonésie

Antilope dorée - Cerf doré

Forêt de Dandaka - Forêt de Dandhaka

Hanumân - Hanoman, Senggana

Jatâyus - Jatayu, Jetayu (vautour ou aigle)

Kumbhakarna - Kumbokarno, Kumbakarna

Lakshmana - Laksmana

Mâricha - Marica

Râma - Rama

Râvana (Dasamuka) - Rahwana (Dasamuka)

Sitâ - Sinta, Shinta

Sugriva - Sugriwo

Valin - Subali, Valine


Lieux et dates :

. Images d’Inde : Rajasthan. Mahansar. Janvier 2006.

. Images d’Indonésie : Yogyakarta (Java), Octobre 2005.

Durée : 02:27. © Patrick Kersalé 2005-2024.

La séquence pas-à-pas

00:00 - À travers la fresque de “Sone Chandi Ki Dukan”.

00:32 - À travers le théâtre d’ombres javanais.

01:25 - À travers le ballet sendratari.


Intervention et mort de Jatâyus

Lieux et dates :

. Images d’Inde : Rajasthan. Mahansar. Janvier 2006.

. Images d’Indonésie : Yogyakarta (Java), Octobre 2005.

Durée : 07:58. © Patrick Kersalé 2005-2024.

La séquence pas-à-pas

00:00 - À travers la fresque de “Sone Chandi Ki Dukan”.

00:24 - À travers le théâtre d’ombres javanais.

03:04 - À travers le ballet sendratari.

06:00 - À travers le kecak balinais. Au centre du cercle, Râma et Lakshmana en méditation.


Combat entre les armées des singes et des râkshasas

Lieux et dates :

. Images d’Inde : Rajasthan. Mahansar. Janvier 2006.

. Images d’Indonésie : Yogyakarta (Java), Octobre 2005.

Durée : 10:13. © Patrick Kersalé 2005-2024.

La séquence pas-à-pas

00:00 - À travers la fresque de “Sone Chandi Ki Dukan”.

00:24 - À travers le théâtre d’ombres javanais.

03:04 - À travers le ballet sendratari.

06:00 - À travers le kecak balinais. Au centre du cercle, Râma et Lakshmana en méditation.


 

La séquence pas-à-pas

 

00:00 - À travers la fresque de “Sone Chandi Ki Dukan”.

01:40 - À travers le ballet sendratari.

03:44 - À travers le kecak balinais.

06:23 - À travers les bas-reliefs du temple d’Angkor Vat (Cambodge).

07:04 - À travers le ballet classique khmer (Cambodge). Le Ramayana khmer est dénommé Reamker. Ce ballet est accompagné par un ensemble orchestral dénommé pin peat (voir informations au chapitre suivant).

 

Correspondance des noms de quelques personnages entre l'Inde et le Cambodge

Râma - Preah Ream

Sitâ - Neang Seda

Lakshmana - Preah Lak

Râvana - Krong Reap

Hanumân - Hanuman

Sugriva - Sokkrip