Les berceuses, ces mélodies apaisantes chantées pour endormir les enfants, sont un trésor culturel partagé à travers le monde. Présentes dans chaque société, elles révèlent des histoires, des traditions et des émotions universelles. Transmis de génération en génération, ces chants créent un lien intime entre parents et enfants, tout en véhiculant des valeurs culturelles profondes.
Chaque berceuse est unique, reflétant les réalités sociales et les croyances communautaires. Certaines évoquent des thèmes de protection et de rêve, tandis que d'autres abordent des sujets plus sombres, témoignant des défis de la vie. Dans le contexte actuel des profondes mutations sociales, de nombreuses communautés constatent un effritement de la transmission intergénérationnelle des berceuses ; les musiques diffusées depuis les smartphones se substituent désormais au chant maternel… Ces collectages audio et vidéo, réalisés par GeoZik, constituent des témoignages de traditions presque révolues.
Textes, photos, enregistrements, vidéos © Patrick Kersalé 1993-2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 2 novembre 2024.
SOMMAIRE
Les berceuses jouent un rôle crucial dans l'endormissement des enfants, offrant de multiples bénéfices sur le plan physiologique et psychologique. Elles contribuent significativement à l'apaisement du stress en réduisant le rythme cardiaque et respiratoire, tant chez le bébé que chez le parent qui chante, créant ainsi un environnement propice à la relaxation et au sommeil. L'utilisation régulière de berceuses dans le rituel du coucher aide l'enfant à associer ces sons au repos, établissant une routine claire et rassurante. Au-delà de leur fonction d'endormissement, les berceuses renforcent le lien affectif entre le parent et l'enfant, offrant une expérience multisensorielle partagée qui implique le son, le toucher et la proximité physique. Sur le plan du développement, l'écoute de berceuses stimule les zones du cerveau associées à l'audition et aux émotions, tout en favorisant l'acquisition du langage. Il est intéressant de noter que l'effet apaisant des berceuses semble universel, transcendant les barrières linguistiques et culturelles, ce qui suggère un lien ancestral profond entre la parentalité et la musique. De plus, les berceuses servent de "sanctuaires portatifs", permettant aux familles de maintenir une continuité culturelle, particulièrement importante dans des contextes de déplacement ou de migration. En somme, les berceuses ne sont pas qu'un simple outil pour endormir les enfants ; elles constituent un moyen puissant d'apaiser, de connecter et de stimuler le développement, tout en s'inscrivant dans une riche tradition culturelle qui traverse les générations.
Du point de vue des neurosciences, le mouvement doux et rythmique du bercement, a des effets apaisants sur le système nerveux des enfants. Plusieurs mécanismes neurologiques sont en jeu. Tout d'abord, le bercement stimule le système nerveux parasympathique, responsable de la relaxation. Cela entraîne une diminution de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle, favorisant ainsi un état propice au sommeil. De plus, les mouvements rythmiques peuvent augmenter la libération de neurotransmetteurs tels que la sérotonine et la dopamine, qui jouent un rôle crucial dans la régulation de l'humeur et du sommeil. Le bercement contribue également à réduire les niveaux de cortisol, l'hormone du stress, ce qui est associé à une meilleure qualité de sommeil.
Sur le plan psychologique, le bercement évoque souvent des souvenirs positifs et sécurisants chez les enfants, renforçant leur sentiment de sécurité et de confort. Cela peut également renforcer le lien affectif entre l'enfant et le parent ou le soignant. En résumé, le bercement est une méthode efficace pour aider les enfants à s'endormir grâce à ses effets apaisants sur le système nerveux. Il favorise un environnement propice au sommeil en réduisant le stress, en stimulant des neurotransmetteurs bénéfiques et en créant une atmosphère sécurisante. Ces éléments combinés facilitent l'endormissement et améliorent la qualité du sommeil des enfants.
Lois (Livre VII, 790d-791b). « Ὅταν γάρ που βουληθῶσι κατακοιμίζειν τὰ δυσυπνοῦντα τῶν παιδίων αἱ μητέρες, οὐχ ἡσυχίαν αὐτοῖς προσφέρουσιν ἀλλὰ τοὐναντίον κίνησιν, ἐν ταῖς ἀγκάλαις ἀεὶ σείουσαι, καὶ οὐ σιγὴν ἀλλά τινα μελῳδίαν, καὶ ἀτεχνῶς οἷον καταυλοῦσι τῶν παιδίων, καθάπερ αἱ τῶν ἐκφρόνων βακχειῶν ἰάσεις, ταύτῃ τῇ τῆς κινήσεως ἅμα χορείᾳ καὶ μούσῃ χρώμεναι. »
« Lorsque les mères veulent endormir leurs enfants qui ont du mal à trouver le sommeil, elles ne leur procurent pas le repos, mais au contraire le mouvement, en les berçant constamment dans leurs bras, et non pas le silence, mais une mélodie ; et pour ainsi dire, elles jouent de la flûte pour leurs enfants, comme dans les traitements des transports bachiques, en utilisant ce mouvement combiné à la danse et à la musique. »
Platon observe ici l'utilisation instinctive du mouvement rythmique (bercement) par les mères pour apaiser leurs enfants. En musicothérapie contemporaine, cette approche est reconnue comme la "stimulation rythmique", utilisée pour réguler les états physiologiques et émotionnels. L'utilisation de mélodies douces pour induire le sommeil est une technique toujours employée en musicothérapie, notamment dans le traitement des troubles du sommeil. Platon établit un parallèle intéressant entre les pratiques maternelles et les rituels de guérison des cultes dionysiaques. Cette comparaison suggère une reconnaissance précoce du pouvoir thérapeutique de la musique et du mouvement rythmique, même dans des contextes apparemment différents. L'association du mouvement (danse) et de la musique est soulignée comme particulièrement efficace. Cette approche multisensorielle est au cœur de nombreuses pratiques musicothérapeutiques modernes, comme la méthode Dalcroze ou la thérapie par la danse et le mouvement. Bien que non explicitement mentionnée, la capacité de la musique à réguler les émotions est implicite dans ce passage. La musicothérapie contemporaine exploite largement cette propriété pour traiter divers troubles émotionnels et psychologiques. En associant le mouvement, le son et le toucher (bercement), Platon décrit une approche holistique du soin, qui résonne avec les pratiques musicothérapeutiques modernes visant à engager la personne dans sa globalité. Ce texte de Platon démontre une compréhension remarquablement précoce des effets thérapeutiques de la musique et du mouvement rythmique. Il met en lumière des principes fondamentaux qui sont toujours au cœur de la musicothérapie moderne, soulignant la continuité historique de cette approche thérapeutique et sa base dans l'observation des comportements humains naturels. Voir une mise en pratique moderne en cliquant ici.
Berceuse de l'ethnie Dyan.
Lieu & date : Burkina Faso. Vill. Bonfesso. 3 janvier 2000. Chanteuses : Mini Kam & Dahourou Kam. Durée : 01:05. © P. Kersalé 2000-2024.
Le bercement des enfants occupe une grande partie de la journée des femmes khmères âgées dans les campagnes du Cambodge. L’enfant est généralement déposé dans un hamac tendu entre deux piliers de la maison sur pilotis. Les paroles des berceuses sont soit fixes, soit improvisées, comme c'est le cas ici. La poésie du sujet ne semble pas de rigueur ! Ainsi le rêve se réduit parfois, chez les pauvres, à espérer gagner suffisamment d’argent pour manger et payer les taxes !
Lieu & date : Cambodge. Prov. Kampot. Février 2012. Chanteuse : Tim Jan. Durée : 01:38. © P. Kersalé 2016-2024.
Traduction du chant : « Ô ma chère enfant ! Essaie de dormir. Ainsi, tu grandiras plus vite. Ô mon enfant, ne pleure pas. Aie pitié de moi. Ta maman travaille. Elle est si fatiguée. Depuis sa tendre enfance, jamais elle ne se repose. Je m'inquiète tout d'abord parce qu'il n'y a pas suffisamment à manger. Ô ma chère enfant ! Je m'inquiète aussi car il faut gagner de l'argent pour payer les taxes. Il y en a de plus en plus. Tout devient de plus en plus compliqué. Les taxes augmentent. Je suis si endettée que je ne sais plus comment faire. »
La séquence pas à pas
00:00 - La maison familiale sur pilotis où vivent trois générations.
00:06 - La fille de la famille, So Viet, râpe une noix de coco. Le coprah (râpé de coco) entre dans la composition de nombreux plats khmers.
00:14 - La grand-mère, Tim Jan, berce énergiquement sa petite-fille.
00:21 - La campagne alentour avec ses zébus blancs, prend une jolie teinte dorée au soleil couchant. Les cocotiers sont nombreux dans cette région. On utilisent les noix de coco pour leur pulpe, pour l’eau régénératrice qu’elles contiennent. Arrivez dans l’une de ses campagnes, entrez dans une maison et vous verrez aussitôt un villageois monter en haut d’un arbre pour vous offrir une délicieuse boisson bio. Les grandes feuilles du cocotier servent à couvrir les maisons. Le bois est utilisé pour la construction lorsque les arbres sont devenus trop vieux. Les cocotiers occasionnent par ailleurs parfois de terribles accidents : chutes de personnes lors de la récolte des noix ou des noix elles mêmes sur quelque crâne malchanceux. Pour cette dernière raison, les villageois ne stationnent jamais sous les arbres.
Cette séquence, tournée sur l'île de Java en Indonésie, présente une berceuse durant laquelle l'enfant ne parvient pas à s'endormir. On remarquera les tapotements typiques du bercement ou encore les tournoiements de corps de la maman avec son enfant dans les bras. Platon lui-même décrivait ce modus operandi en son temps.
Lieu & date : Indonésie, Java. Vill. Cepoko. 17 octobre 2005. Chanteuse : Anastasia Suyatin. Durée : 07:10. © P. Kersalé 2005-2024.
Berceuse de l'ethnie Giáy.
Lieu & date : Viêt Nam. Prov. Lào Cai. Vill. Sa Pa. Hameau Tả Van. 20 février 2001. Chanteuse : Hòang Thị Giang. Durée : 03:13. © P. Kersalé 2001-2024.
Cette berceuse est chantée par une jeune femme Hmong noir du nord du Viêt Nam. Cette ethnie a préservé des pans entiers de sa culture ancestrale. Les femmes connaissent beaucoup de chants qui accompagnent les activités quotidiennes. Ici, les paroles nous plongent au cœur de leur réalité sociale…
Lieu & date : Viêt Nam. Hameau de Ban Suoi Thau. Novembre 2005.
Durée : 04:32. © Patrick Kersalé 2005-2024.
Autour de l’ancien village hmong, il flâne.
Autour de la maison, il déambule.
Autour du jardin, il erre.
Autour des vertes collines, il tourne.
Il entrevoit seulement quelques lumières.
Elle n’est pas là…
Au long du sentier, il s’en retourne.
Il découvre qu’elle est devenue belle-fille dans une autre famille.
Au long du chemin, il s’en retourne.
Il s’aperçoit qu’elle est devenue belle-fille chez des inconnus.
Il s’écrie : « Ô ma Belle ! Ô ma Belle !
Laisse-moi parler à mes parents !
Ils me donneront l’argent pour doter ta famille.
Douce belle-fille, chez moi tu reviendras.
Laisse-moi convaincre mes parents de me donner l’argent pour doter ta famille.
Douce belle-fille, chez moi tu demeureras. »
Le garçon fait mine de se promener dans les collines.
Il regarde la belle travailler au champ pour nourrir son époux.
Le garçon fait semblant de se promener le long du ruisseau.
Il observe la belle travailler au champ pour vêtir son mari.
Le garçon dit :
« Ô ma Belle ! Depuis longtemps, ô ma Belle,
De belles amours nous avons vécues.
Maintenant que tu es mariée, t’aimer je ne puis.
Donne-moi d’anciens effets afin de couper ce lien. »
Si, à travers le monde, les berceuses sont plutôt l’apanage des femmes, elles sont indifféremment chantées par les deux sexes chez les Jörai. Cette pratique a également cours dans nombre d’ethnies du Viêt Nam. Cette berceuse est accompagnée d'une cithare tubulaire hétérocorde ting ning.
Date & lieu : Octobre 1998 - Village de Plei Jut. Jörai H’grong. Viêt Nam. Musicien chanteur : Rơchom Tih. Durée : 03:11. © P. Kersalé 1998-2024.
Traduction du chant :
« Ô mon petit frère, ne pleure pas
Ne pleure pas, ô mon frère
Ne pleure pas, ta mère est allée aux champs
Ne pleure pas, ton père est parti dans la forêt
Ne pleure pas sinon le tigre va te mordre
Ne pleure pas sinon la montagne H’grông (nombril de la terre) va s’effondrer
Ne pleure pas sinon la montagne Năm (montagne mythique des chamanes) va se déplacer
Ne pleure pas, le soleil se lève chaque jour
Ne pleure pas, ton père est parti dans la forêt pour piocher
Ne pleure pas, ta mère s’en est allée chercher des fruits dans la forêt
Ne pleure pas, ton frère est parti dans la forêt
Ne pleure pas, ils ont peur des serpents. »
Exceptionnellement, il ne s'agit pas ici d'une berceuse chantée, mais instrumentale. L'instrument semble totalement contre-intuitif compte tenu de son volume sonore !
Les femmes Lô Lô du nord du Viêt Nam jouent un petit aérophone à anche idioglotte, à simple ou double corps, dénommé pê lý. Chaque tuyau est percé de cinq trous de jeu équidistants. L'instrument est fabriqué avec une tige de riz ou un roseau très fin (Long. 160 mm ; Ø 5 mm). Il est utilisé à diverses fins : distraction et endormissement des enfants, passe-temps lors de la surveillance des récoltes ou de la garde des buffles, cour d’amour.
La séquence vidéo présente l’instrument à simple corps, la photo, celui à double corps.
Lieu & date : Viêt Nam. Village de Mèo Vac. Février 2002.
Durée : 00:40. © Patrick Kersalé 2002-2024.
Berceuse : « Dors mon enfant, dors. Tes parents sont maintenant aux champs. Ils viendront tout à l'heure te donner à manger. »
La mélodie des Mường, agrémentée de quelques mélismes, est chantée sur un ambitus étroit autour du ton médian de la langue. Il n'y a en réalité aucune mélodie apprise, seulement une phraséologie musicale dictée par la tonalité de chaque mot. Certains tons sont montants, d'autres descendants, d'autres encore, variables.
Lieu & date : Viêt Nam. Prov. Hòa Bình. Village de Quy Mỹ. Hameau de Mường By. 8 octobre 1995. Chanteuse : Bui Thu. Durée : 00:47.
© Patrick Kersalé 1995-2024.