Nombreux sont les adages et les citations autour du silence. Si nous devions en retenir un seul ce serait « La parole est d'argent, le silence est d'or ». Dans le chaos médiatique de notre XXIe s. le silence est devenu une denrée rare. Ceux qui vivent auprès d'un aéroport ou de long des voies de circulation en savent quelque chose. Miles Davis disait quant à lui : « La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu'encadrer ce silence », une assertion que nombres de sociétés dites traditionnelles ont érigé en précepte gardé par les sages.
« Écouter ce qui s’entend n’est pas aussi bon qu’écouter ce qui ne peut être entendu
Vous atteindrez la profondeur en appréciant ce qui est invisible
Vous obtiendrez ce que vous cherchez en écoutant le silence. »
Seo Kyung-Deok, poète coréen (1489-1546)
Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 1995-2023, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 12 août 2024.
SOMMAIRE
Sur Terre, le silence absolu n'existe pas tandis que dans l’espace sidéral le silence est total. Dans le vide, les ondes sonores n’ont aucun support pour se déplacer alors que sur Terre, l’atmosphère offre un véhicule adéquat à leur transport.
Mais, vous direz-vous, si aucun son n’est produit, un silence total doit bien être possible ? Et bien, non ! Sur Terre, le silence total n’existe pas. S'il est possible d’y faire l’expérience d’un grand silence, il demeure relatif. Deux raisons à cela. D’abord, placé dans le plus grand silence, une chambre anéchoïque par exemple, on se met à imaginer des sons. Dans une telle pièce, le niveau sonore est de l'ordre de 9 décibels, soit 300 fois moins que dans une pièce silencieuse standard. 99,99 % de l'énergie sonore provenant de l'extérieur est bloquée. Ajoutons que dans un tel environnement, on est vite atteint d’hallucinations auditives. En effet, si on a longtemps considéré que le son circulait uniquement de l’oreille au cerveau, on sait aujourd’hui qu’il y a en réalité davantage de connexions qui se produisent dans l’autre sens, du cerveau vers l’oreille afin que la matière grise puisse moduler les sons qui lui parviennent et s’adapter à son environnement. Cette faculté peut donc, quand le silence est trop intense, provoquer des hallucinations auditives.
Au-delà de ces hallucinations, une autre raison explique l'impossibilité de se plonger dans un silence total. Nous avons la faculté d'entendre le fonctionnement de notre propre corps : perception des battements cardiaques, du flux sanguin, de l’air entrant et sortant des voies respiratoires supérieures, des gargouillis du système digestif, des articulations qui craquent ou, pour certaines personnes en nombre croissant, des acouphènes.
4′33″ est un/une « morceau, pièce, œuvre, expérimentation, supercherie, coup de maître, trait d'humour ou de génie… ». C'est à la fois tout cela et rien de cela. C'est, pour utiliser un terme passe-partout, une “composition” de John Cage souvent décrite comme « quatre minutes trente-trois secondes de silence » constituée des sons de l'environnement que les auditeurs entendent ou créent lors de la “performance”.
La pièce est en principe écrite pour piano en trois mouvements ; sur la “partition”, chacun est présenté au moyen de chiffres romains (I, II & III) et annoté TACET (« il se tait » en latin), terme utilisé dans la musique occidentale pour indiquer à un instrumentiste de rester silencieux pendant toute la durée du mouvement. On notera que la compositeur a même indiqué un mouvement métronomique de 60 bpm à la noire !
À la fin de la partition, John Cage complète l'œuvre par une annotation (en anglais) assortie de notre traduction :
« NOTE: the title of this work is the total length in minutes and seconds of its performance. At Woodstock, N.Y., August 29, 1952, the title was 4'33" and the three parts were 33", 2'40", and 1'20". It was performed by David Tudor, pianist, who indicated the beginnings of parts by closing, the endings by opening, the keyboard lid. However, the work may be performed by any instrumentalist or combination of instrumentalists and last any length of time. »
NOTE : Le titre de cette œuvre figure la durée totale de son exécution en minutes et secondes. À Woodstock, New York, le 29 août 1952, le titre était 4′33″ et les trois parties 33″, 2′40″ et 1′20″. Elle fut exécutée par David Tudor, pianiste, qui signala les débuts des parties en fermant le couvercle du clavier, et leurs fins en ouvrant le couvercle. L'œuvre peut cependant être exécutée par n'importe quel instrumentiste ou combinaison d'instrumentistes et sur n'importe quelle durée.
Le 29 août 1952, le pianiste virtuose David Tudor crée la pièce 4'33'' de John Cage en abaissant le couvercle du clavier du piano. Durant le morceau, le musicien tourne les pages de la partition en essayant de ne pas faire de bruit, ce qui provoque une certaine agitation et, manifestement, produit un certain son.
Au-delà d'un geste artistique, c'était une façon de remettre en question le statut d'une œuvre d'art en mettant en lumière l'acte créatif plutôt que le résultat de la création. 4'33" invite également à écouter le silence, à se concentrer sur ce que le monde murmure et chuchote, la toux, le bruissement des vêtements, etc. et chaque fois que 4'33" est joué, il ouvre une nouvelle séquence aléatoire de sons où la vie qui se déroule dans l'environnement immédiat doit être écoutée comme s'il s'agissait d'un morceau de musique.
Le silence n'existe pas. C'est la découverte faite par John Cage après s'être enfermé dans une chambre anéchoïque au Massachusetts Institute of Technology (USA). Cette expérience changea sa compréhension de la musique. Un jour, le maître indien, Gita Sarabbai, répondit ainsi à la question de Cage sur le sens de la musique : « La musique calme et pacifie l'esprit, lui permettant d'accueillir les influences du Divin. »
Interprète : William Marx.
Lieu : McCallum Theatre, Palm Desert, Californie, USA.
Durée : 07:06. © Joel Hochberg 2022.
William Marx reprend ici la formule initiée par David Tudor le 29 août 1952 en abaissant le couvercle du clavier du piano. Il ajoute à “l'interprétation” l'élément visuel du chronométrage de chaque mouvement selon la durée (non obligatoire) mentionnée par Cage.
Le vocabulaire de base du silence dans l’écriture de la musique occidentale rejoint celui de la vie quotidienne. Les deux termes de base sont pause et soupir. Il existe sept signes distincts, chacun correspondant à une valeur de note. La longueur du silence à la fois lié à sa valeur et au tempo de l'œuvre. Ainsi, par exemple, un soupir durera deux fois plus longtemps à 60 bpm qu'à 120 bpm.
Dans le domaine du travail en usine par exemple (ou autres formes de travail non motivantes) :
Dans toutes les sociétés du monde, la parole et le silence sont principalement répartis selon le sexe, l'âge et le rang social. Si, en Occident, chacun comprend qu'un index devant les lèvres signifie une demande de silence, ce n'est pas nécessairement le cas hors de cette zone culturelle.
Au dieu-parole Aius Locutius s'opposent à Rome deux déesses du silence, Angerona et Tacita : l'une est représentée, selon la tradition littéraire, avec un bâillon sur la bouche ou un doigt sur les lèvres, obstruant sa parole suivant des modalités et avec des significations diversement interprétées par les Anciens ; l'autre est rendue muette par l'arrachage de la langue, punition pour excès de bavardage. Ces trois divinités s'inscrivent dans des systèmes d'oppositions complexes : parole des hommes / silence des femmes ; parole sans corps / corps sans parole ; silence volontaire / mutilation irréversible ; culte privé et rituel magique / fête et culte publics ; divinités pourvues d'un mythe, mais sans culte attesté / divinités pourvues d'un culte, mais sans mythe attesté.
Harpocrate - Époque romaine (117-138 EC)
Le doigt sur les lèvres de Mercure, Celui qui « sait, transcrit et cache pour que chaque génération puisse mener ses recherches », fait allusion au silence nécessaire pour révéler les mystères. Le geste est très répandu dans la culture occidentale et connu depuis l'Antiquité. En référence au grec Harpocrate, dieu du silence et de la confidentialité initiatique (dérivé du dieu égyptien Horus), il a été défini comme Signum harpocraticum, faisant allusion à l'absence de parole, au silence, à la sagesse et au mystère. Dans la Rome antique, la renommée était partagée avec la déesse Angerona.
Sainte Anne faisant le geste du silence - VIIIe s.
Cette peinture murale du VIIIe s. a été exécutée selon la technique de tempera sur plâtre. Elle provient de Faras. Elle représente Sainte Anne faisant le geste du silence. Dimensions : 69 × 68,5 × 3,5 cm. Musée National de Varsovie.
Jupiter peintre de papillons - Dosso Dossi - c. 1522-1524
Extrêmement suggestif, ainsi qu'esthétiquement remarquable, le célèbre tableau “Jupiter peintre de papillons” de Dosso Dossi, c. 1522-1524. L'œuvre, créée dans le milieu culturel actif de la cour d'Este, est difficile à déchiffrer. Parmi les diverses hypothèses, celle qui lit l'œuvre comme une apologie de la peinture est fascinante. Le peintre est le père des dieux, Jupiter (peut-être avec le visage du duc Alfonso d'Este ou un autoportrait) déterminé à peindre des papillons. Mercure (au centre, intermédiaire entre les dimensions du manifesté et non-manifesté) intime le silence à la déesse Iris, déesse de l'éloquence : une invitation à se taire devant l'art silencieux de la peinture, la “poésie silencieuse” à laquelle s'attache Jupiter. Une réaffirmation de la primauté de l'image sur le mot. Le sujet de la toile autour de laquelle Jupiter travaille est particulièrement significatif : trois papillons, symbolisant la volatilité de la pensée. En arrière-plan, l'arc-en-ciel rappelle l'évanescence de l'idée.
Saint Pierre Martyr enjoignant le silence - c. 1911-1948
Peint d'après le Saint Pierre Martyr demandant le silence, de Fra Angelico (après 1438), une lunette provenant du Cloître de San Marco à Florence. La fresque représente Saint Pierre, le doigt sur les lèvres, demandant le silence.
Le couteau dans le dos de Saint Pierre Martyr et la plaie saignante sur sa tête font référence à son martyre, qui s'est produit à cause de la dureté de son règne en tant qu'Inquisiteur Général. Il était le deuxième saint le plus important pour les Dominicains, après Dominique. Ici, il enjoint le silence aux moines qui entrent dans l'église depuis le cloître. Cette fresque était placée au-dessus de la porte du cloître vers la sacristie. Saint Pierre était un dominicain qui a été assassiné à Milan en tant qu'inquisiteur en 1252 et canonisé l'année suivante. Il fut le premier martyr de l'ordre dominicain.
Women's Army Corps Seconde Guerre Mondiale
Une affiche américaine représente une femme effectuant un signum harpocraticum pour enjoindre les membres de la Women's Army Corps de garder le silence pour des raisons de sécurité pendant la Seconde Guerre mondiale.
Si le signum harpocraticum trouve un certain consensus en Occident, il n'est toutefois pas universel. Dans l’iconographie khmère angkorienne, le silence des spectateurs ou des adeptes de l’hindouisme ou du bouddhisme est marqué par la position assise avec un bras croisant sur la poitrine. La photo ci-contre montre la structure hiérarchique de la royauté khmère de l’époque du Bayon. À chaque registre, des personnages parlent, chantent, jouent de la musique, dansent, ventilent les monarques. D'autres (entourés en rouge) écoutent silencieusement. Ces figurations sont pléthores dans l'art angkorien.
Quelques années après la Seconde Guerre mondiale, un moine japonais, adepte du Zen, fut invité à faire une série de conférences aux États-Unis pour expliquer ce qu’était le Zen. Malgré le prix élevé des places, le public vint nombreux pour écouter ce sage venu d’Orient. Le moine arriva, fit fermer les portes, s’assit devant ses auditeurs et resta absolument immobile sans prononcer une parole. Au bout d’une demi-heure, il frappa deux fois dans ses mains et dit : « Première leçon terminée. »
Il existe tant de typologies de silences que l’on ne saurait être exhaustif. Pour en citer quelques-uns
celui du secret, du respect
celui du repos, de la sérénité, de la paix
celui de l’oubli, de l’isolement, de l’exil, de l’absence ou de la mort
celui de l’ignorance, du consentement ou du mensonge
le silence contemplatif, thérapeutique, pathologique.
Le silence est un monde à part, un “ailleurs”, une atmosphère que chacun “respire” différemment. Quelques-uns s’y détruisent à force d’y combattre leurs fantômes, d’autres s’y ressourcent et s’y transcendent, car il y a de bons et de mauvais silences, le nôtre et celui des autres !
De plus en plus, l’Homme ressent la nécessité, pour son propre équilibre, de briser, de temps en temps, le rythme effréné de la vie moderne, car le premier niveau du silence est tout simplement une exigence d’ordre psychique et physiologique. Ce premier niveau est à la portée de tous et ne nécessite aucune lecture de savants traités. Il convient simplement de retrouver ou réinventer, de temps à autre, un temps de repos pour le corps et l’esprit.
L’Homme ne devient lui-même que dans l’équilibre du rythme binaire de sortie de soi et retour vers soi, nécessaire dans une relation aux autres et une dimension intérieure. Ce silence-là permet de parcourir chaque fois un petit bout du chemin labyrinthique vers la connaissance de soi, en allant et en revenant sans cesse du sensible à l’intellectuel, tout en transcendant ces deux approches pour accéder à l’indicible expérience de la Connaissance.
Galilée a dit : « On ne peut rien apprendre à l’homme, on ne peut que l’aider à découvrir ce qu’il recèle ». Si connaître veut étymologiquement dire « naître avec », il n’en demeure pas moins que nous devons partir à la recherche de cette connaissance en nous, dans notre dimension intérieure, partie d’ombre non maîtrisée par la raison, ni même éclairée par la conscience, mais qui n’en est pas moins le terrain en friche sur lequel nous allons semer.
Cette connaissance se place sur le plan de la conscience individuelle et résulte d’une capacité à recevoir, qui s’instaure par tous les moyens de perception. Elle se réalise au plus profond de nous, dans le secret, c’est-à-dire en dehors du monde apparent, superficiel et multiple, qui ne fait que pousser l’individu dans une quête effrénée qui est celle d’un tout autre que lui.
Ceci nous renvoie au paradoxe que la philosophie orientale érige en précepte : « s’oublier soi-même pour accéder à la vraie conscience, car c’est quand l’on n’est plus rien que l’on devient tout ! » ; une certaine façon de mourir au connu pour renaître à l’inconnu et la nécessité du complet dépouillement pour atteindre la paix et la plénitude de l’être non dépendant.
Si l’on se réfère au célèbre prologue de l’Évangile de saint Jean « Au commencement était le Verbe », ledit Verbe a eu besoin de la pensée pour s’exprimer, une pensée conçue dans le silence ! Ainsi pourrions-nous emprunter à Rivarol cette formule : « La parole est la pensée extérieure, et la pensée est la parole intérieure ».
Nous pourrions en outre faire le parallèle entre le silence qui est le vide et permet la gestation du verbe, et la page blanche qui est le vide sans lequel l’écriture ne pourrait se manifester. L’un et l’autre construisent un espace prêt à être rempli ; ils sont tous deux un préalable à la manifestation de l’esprit, de même que le vide est un prélude à tous les commencements, un espace ou le temps permet aux choses de se manifester, aux êtres de se rencontrer, aux idées de surgir.
L’Homme s’est entre autre différencié de l’animal par l’acquisition de la parole. Mais par le fait d’un processus évolutif excessif, il a fini par pervertir cette conquête. À notre époque, il convient de “communiquer” à tout prix, au risque de réduire les relations humaines à des conventions sociales superficielles, car l’Homo modernus a peur du silence qu’il confond souvent avec le vide !
Ce vide, ressenti par tant de nos contemporains comme un désarroi, manifeste que l’Homme a probablement évacué une dimension essentielle de lui-même. Mais comment parvenir à être soi-même sans prendre de la hauteur ou de la profondeur, sans comprendre que ce silence est une composante structurelle de l’être profond, et qui, à différents niveaux, physiologique, psychique ou spirituel, conditionne l’équilibre de notre existence et de notre croissance. L’un des paradoxes de l’Homme moderne est qu’il capable de sonder les confins de notre galaxie ou les profondeurs des océans, de reculer les frontières de la mort... mais qu’il a perdu le chemin de son cœur !
Nonobstant, reconnaissons que le premier obstacle au silence n’est pas tant l’environnement que l’Homme lui-même. Par nature, il est un être social qui a besoin de vivre avec, par et pour les autres. En ce sens, la solitude peut être ressentie comme un état psychologique angoissant auquel il cherche instinctivement à échapper.
L’Homme aspire donc spontanément à la communication, à la relation et tout son être est structuré pour la rencontre de l’autre. Mais ce désir de présence de l’autre ne pourra sans doute jamais être totalement satisfaisant, car chacun est un être unique dont le jardin secret restera toujours, en partie, impénétrable. Ainsi l’Homme ne supporte ni l’isolement total ni la présence continue d’autrui. Si cette alternance de solitude et de présence apparaît comme une loi fondamentale de l’équilibre de l’être, elle est également un signe du drame existentiel de l’humanité. En fait, la solitude et le silence, même s’ils sont souvent étroitement liés, ne sont pas des réalités négatives car elles nous poussent à atteindre, voire à dépasser nos limites. Mais il est quasi impossible d’aimer le silence et de vivre sereinement une certaine solitude sans croire en la dimension intérieure de l’individu et de l’humanité.
Si le silence équivaut à une absence de parole, il n’est pas pour autant absence de pensée. La sagesse populaire ne nous conseille-t-elle pas de « tourner 7 fois notre langue dans notre bouche avant de nous exprimer » ? N’est-ce pas là une façon de nous rappeler qu’il nous faut prendre le temps nécessaire de la réflexion sur la justesse et la pertinence des mots, car il est un temps pour se taire et un pour s’exprimer. Le temps, aussi, de nous détacher de nos désirs, de maîtriser nos pulsions et conflits intérieurs qui, dans une confiance excessive ou une crainte désordonnée, sont souvent à l’origine de mots inutiles, blessants, stupides et de malentendus que l’on finit par regretter car, comme l’évoque ce proverbe oriental : « le mot que tu n’as pas dit est ton esclave, mais celui que tu as dit est ton maître ». Sans doute raisonnerions-nous mieux si, dans le silence, nous écoutions d’avantage ce qui résonne en nous. Jiddu Krishnamurti affirme que « nous n’écoutons pas le silence parce que nos oreilles sont pleines du bavardage de notre esprit. »
La condition souveraine du savoir est donc le silence, celui qui fait de chacun un réceptacle et, comme le disait Eugène Ionesco « la garantie du mot doit être le silence », ce qui nous conduit à ce célèbre aphorisme : « ceux qui parlent ne savent pas, ceux qui ne parlent pas savent ».
Tous les grands mystiques nous invitent au silence comme à l’expérience, sensible, spirituelle ou sacrée de l’autre. C’est l’instant particulier où, seul face à lui-même, sans plus aucun directeur de conscience, chacun peut toucher le fond même de son être et de sa relation fondamentale au divin et qui fait dire à Hermann Hesse : « Tu ne sais rien de la sagesse tant que tu n’as pas fait l’épreuve des ténèbres qui te retranchent d’un chacun, sans recours et sans bruit ».
Ce silence devient un lieu de conversion où nous passons de l’Homme narcissique à une ouverture aux autres, désirés et aimés pour eux-mêmes. Dans les traditions spirituelles chrétiennes, et particulièrement dans les exercices spirituels d’Ignace de Loyola, il est fait référence à un aboutissement de cette quête mystique et silencieuse appelée “l’option fondamentale”. C’est le point ultime recherché par les grands contemplatifs et le silence en est l’instrument, l’outil, la voie.
Ernest Psichari et Antoine de Saint-Exupéry, deux amoureux du désert aux itinéraires humain et spirituel si différents, ont fort bien illustré combien le silence a été un lieu privilégié de maturité humaine et spirituelle, un maître de vérité et d’amour. Ainsi, celui ou celle qui désire trouver la réalisation harmonieuse et paisible de sa vie, doit au préalable traverser le silencieux désert intérieur de son cœur.
Il serait malhonnête de faire croire que le silence est un chemin facile et clairement balisé vers le repos du cœur. Il est souvent le lieu de combats parfois redoutables face à des obstacles aux multiples visages. Toute traversée du désert est une épreuve qui nous dépouille de nos masques, de nos pseudo-sécurités, de nos mensonges. Elle est également un temps privilégié où, mis à nus, nous sommes amenés à assumer notre pauvreté d’âme, à nous interroger sur notre finitude, et finalement à prendre conscience que nous sommes des êtres inachevés en quête d’accomplissement.
Après ceci, il est facile d’obtempérer quand Euripide commande : « parle, si tu as des mots plus forts que le silence ou bien garde le silence ».
Sachons donc regarder pour mieux voir et nous taire pour mieux percevoir le message du discernement, de la tolérance, du respect, de l’humilité, de la modestie et de l’Amour, bien sûr !
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1. Michelle Brière, française d’origine extrême orientale, voyage de manière solitaire en Asie où elle s’est imprégnée des philosophies de ces régions au fil des ans. Elle s’exprime tantôt par la plume, tantôt à travers l’image photographique.