Mali - Parole d'ancêtre songhay 2/2



SOMMAIRE

Contes (suite)

. Le singe qui voulait devenir roi des animaux

. Leçon de chasse

. Ma fille en sacrifice

. Pourquoi personne ne voit la mort

. Parole, ne coupez pas…

. Répands le bien autour de toi

. Un juste retour des choses

. Une femme exemplaire

. Une leçon d’humilité

 Chantefables

. Digna

. Le sel, la poule et la brebis 

. Le chien, le lièvre et la biche

. La lionne et la chamelle

. La partie de danse

. La méchante marâtre

. L’orpheline et l’arbre

. Le vieux crapaud musicien

. La force de l’amour maternel

. La jeune fille et la sorcière

. La poule et le chat

. Le bracelet de Sirou

. Le serment trahi

Devinettes

Bibliographie



Contes (suite)

Le singe qui voulait devenir roi des animaux, par Touré Seydou M’Barakou. Tombouctou

Il était une fois, un singe qui voulait devenir roi des animaux. Il alla trouver un féticheur et lui exprima son désir. L’homme lui demanda de lui rapporter un crottin de chien mâle tout frais. Le singe le lui promit et s’en alla.

Il connaissait un cultivateur qui possédait un chien mâle très féroce. Le singe, doué pour faire des grimaces, monta sur un arbre, se pendit à une branche par la queue et se mit à se balancer, à faire des simagrées et à simuler une chute. Lorsque le chien le vit, il se mit à sauter et à aboyer. Comme il n’appréciait pas la présence du singe, il voulut lui infliger une correction et le chasser hors du champ. Il hurla sans cesse avec rage au point d’effrayer le singe toujours accroché à sa branche. Le grimacier, désemparé, se sentit de plus en plus menacé. Il se cacha dans les feuillages en attendant que le chien laisse son excrément quelque part, ce qui ferait son affaire. Bien que le singe cherchât à se dissimuler, le chien l’aperçut. Celui-ci écumait de rage ; il reculait, prenait de l’élan et sautait pour tenter de l’attraper. 

Au moment où le singe voulut se raccrocher plus sûrement après les branches, il manqua sa prise et chuta. À peine eut-il touché le sol, que le chien le chargea dans un nuage de poussière et une envolée de feuilles mortes, tant et si bien qu’il s’en trouva lui-même aveuglé. 

Dans ce cafouillage, les doigts du singe sentirent quelque chose de mou. Alors il en ramassa un morceau, prit ses pattes à son cou et alla trouver le féticheur avec son morceau d’excréments. L’homme, qui souhaitait se rassurer, demanda au singe :

— Es-tu sûr d’avoir obtenu un excrément de chien, un vrai chien ?

Le singe se gratta la nuque et répondit :

— Ce que je sais, c’est que le chien et moi avons eu un terrible accrochage et, dans la bataille, j’ai ramassé cet excrément.

On fit examiner la matière et on y trouva des graines de goyave, de tomate, d’orange, bref, de tous les fruits préférés du singe.

Le charlatan[1] se doutait bien que lors d’un accrochage avec un chien mâle bien portant, le premier excrément était celui du singe.

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[1] Qualificatif d'usage courant en Afrique occidental pour désigner féticheurs et devins.


 

Leçon de chasse, par Touré Seydou M’Barakou. Tombouctou

Il était une fois, un lièvre et une hyène qui vivaient en bons voisins, et leurs enfants, qui ne se quittaient jamais, jouaient toujours ensemble. Mais le lièvre chassait seul et l’hyène en faisait autant. Cependant, au fil du temps, la famille de l’hyène dépérissait tandis que chez le lièvre, tout le monde se portait bien.

Un jour, la femme de l’hyène vint chez le lièvre chercher de la braise. Elle sentit une odeur savoureuse se dégager de la marmite posée sur le feu. Elle ressortit avec un tison mais la salive ne cessait de couler de sa bouche. Alors, elle l’éteignit et retourna en chercher un autre, en profitant pour voler un os dans la marmite. Arrivée chez elle, ses enfants, à la vue de ce morceau bien gras, se le disputèrent férocement. Surprise par cette découverte, l’hyène attendit le retour de son mari. Lorsque celui-ci arriva, bredouille comme à son habitude, elle se mit à vociférer :

— Bon à rien, paresseux, n’as-tu pas honte ? Le petit lièvre revient chaque jour avec de la chair en abondance et nourrit décemment les siens, mais toi, tu n’es qu’un incapable !

Et elle se mit à raconter ce qu’elle avait vu dans la cuisine du lièvre en cherchant du feu. Alors, l’hyène alla trouver le lièvre et le pria de lui dire comment il faisait pour trouver toujours autant de proies. Ce dernier lui donna un bon morceau de viande et lui dit d’attendre la sortie du lendemain en lui demandant de préparer une corde bien solide.

Ce soir-là, l’hyène et sa famille se régalèrent allègrement de la bonne chair.

L’hyène, aussi gourmande que pressée, se réveilla en pleine nuit et alla trouver le lièvre. Ce dernier lui conseilla d’attendre le premier chant du coq. L’hyène s’empara alors d’un bâton et alla effrayer les habitants de la basse-cour qui s’emplit de caquetages. Elle revint alors trouver le lièvre qui lui demanda d’attendre la lueur de l’aube. 

L’hyène repartit vite et alla mettre le feu aux ordures, ce qui produisit une grande lueur. Malgré tout, le lièvre et son nouveau compagnon ne partirent pas avant le petit jour. Ils arrivèrent bientôt sur les lieux du gibier recherché.

— Chut, dit le lièvre à l’hyène, fais comme moi.

À la vue des petits cochons qui dormaient là, ils se mirent à marcher sur la pointe des pieds. L’hyène voulut leur sauter dessus mais le lièvre la retint et la mit en garde. Ils s’approchèrent des animaux sans faire de bruit et chacun fit un nœud coulant qu’il passa au cou des cochons qui dormaient en ronflant, à la suite d’une journée de labeur dans la boue. Le lièvre dit à l’hyène :

— Maintenant, éloignons-nous un peu et attachons solidement l’extrémité de nos cordes autour d’un arbre.

Le lièvre, lui, fit comme il avait conseillé à l’hyène. L’hyène, quant à elle, trouva le moyen de s’écrier :

— Je ne vois pas d’arbuste suffisamment solide pour empêcher mon gibier de s’enfuir. Moi, j’attache la corde autour de ma taille et rien ne pourra lui permettre de s’échapper.

Après cela, le lièvre demanda s’il pouvait donner le signal fatal pour les cochons. L’hyène se campa solidement sur ses pattes et donna son accord. Le lièvre cria tellement fort, que les cochons effrayés dans leur sommeil foncèrent dans les bois. Ils tirèrent si violemment sur le nœud, qu’ils s’étranglèrent. Quant à la malheureuse hyène, ne pouvant résister à leur force sauvage, elle fut traînée entre les arbres et déchiquetée.

Le lièvre rapporta son gibier et raconta à la famille de l’hyène ce qui lui était arrivé, famille qui s’empressa de lui répondre que ce bon à rien, qui ne savait que grommeler, l’avait bien mérité.


 

Ma fille en sacrifice, par Touré Seydou M’Barakou. Tombouctou

Un jour, une jeune femme nommée Debbo, s’en alla chercher des branches mortes pour la cuisine. Ses pas étaient ralentis par une grossesse très avancée, néanmoins sa longue marche l’avait menée bien loin du village.

Au moment où elle allait mettre son fagot sur sa tête, elle sentit ses forces l’abandonner. Tandis que le soleil achevait sa course et que l’obscurité masquait peu à peu sa vue, la brave femme s’ingénia à trouver le moyen d’emporter son fagot, mais en vain. Le poids de son fœtus et la peur de la nuit tombante l’angoissaient. Elle implora le ciel de lui venir en aide. C’est alors que les branchages se courbèrent et les eaux de la rivière s’agitèrent sous un tourbillon, tandis qu’un monstre se glissait hors de son refuge aquatique.

Debbo, tremblante, bredouilla :

— Aide-moi à poser mon fagot de bois sur la tête.

Le monstre répliqua :

— Quelle sera ma récompense ?

— Je te promets un troupeau de ruminants, des plus petits jusqu’aux plus grands : chèvres, moutons, vaches, chameaux... et de l’or, répondit Debbo.

— Mais tout ceci n’est pas de mon goût, rétorqua le monstre de la rivière. Tu me donneras l’enfant que tu portes en ton sein lorsqu’il naîtra. Tu l’appelleras Bolo.

Contrainte, Debbo accepta et s’en retourna chez elle.

Les mois passèrent. Debbo mit au monde une belle petite fille. Ô quelle était belle, plus belle que la lune et les étoiles, plus belle que la reine et ses parures.

Les années succédèrent aux années et les hivers aux hivers. La fille de Debbo, nommée Bolo comme l’avait souhaité le monstre des eaux, atteignit l’âge de s’amuser avec les fillettes de sa génération. Sa mère lui accordait une attention particulière. Bolo ne devait jamais s’éloigner de sa demeure. Lorsqu’elle sortait, elle ne devait pas trop se faire remarquer et surtout, elle ne devait jamais accompagner ses amies au fleuve. Au village, on se moquait d’elle.

Au fil des années, Bolo posait chaque fois les mêmes questions à sa mère, questions qui restaient sans réponse. Chaque fois, ses amies renouvelaient leur invitation afin que Bolo les accompagnât au fleuve pour s’y baigner, mais chaque fois, elle répondait invariablement que sa mère ne voulait pas qu’elle y aille.

Par un jour de chaleur, les amies de Bolo vinrent la trouver et lui proposèrent de faire un tour au fleuve. Sa mère leur répondit :

— Non, Bolo doit piler le mil.

Les amies vinrent l’aider à en piler tout un panier.

— On peut maintenant y aller, dirent les amies de Bolo en se réjouissant.

— Non, elle doit maintenant laver la vaisselle, répondit sa mère.

Alors les amies s’empressèrent de l’aider à laver tous les ustensiles. Ayant surmonté tous les obstacles et bravé tous les empêchements, les petites filles finirent par obliger Debbo à accorder une permission à Bolo.

Debbo mit les enfants en garde :

— Bolo ne doit pas dépasser la rive du fleuve et personne ne doit prononcer son nom au-delà de cette limite.

Ainsi dit, ainsi promis.

Les enfants se retrouvèrent au bord du fleuve. La joie s’empara de leur esprit lorsqu’elles commencèrent à jouer au jeu d’assula[1]. Elles crièrent :

— Bolo, assula[2] !

Le monstre, qui dormait non loin de là, entendit les appels répétés du nom de Bolo. Alors les eaux s’agitèrent et les enfants s’enfuirent. Tout à coup, une tornade s’abattit sur les lieux, rendant leur fuite difficile. Le monstre pourchassa Bolo jusqu’au village où tout le monde s’était déjà enfermé. Les eaux de pluie grondaient dans les ruelles. À bout de souffle, Bolo se présenta à la porte de la maison de ses parents et cria :

— Mère, je suis en détresse. Mère chérie, je suis perdue. Ouvre vite, je suis poursuivie par le montre des eaux. Ouvre-moi, maman !

La porte resta close. Alors Bolo partit chez son fiancé.

— Chéri, ouvre-moi. Mon unique amour, ouvre-moi, je suis poursuivie par le monstre des eaux !

Ici aussi, la porte resta close. Tour à tour, Bolo frappa à la porte de tous ceux qui lui étaient chers. Le monstre, qui n’en finissait pas d’extirper son gigantesque corps des eaux du fleuve, se rapprochait dangereusement de Bolo. Elle se présenta alors à la porte de son ennemie jurée, celle qui lui tenait rigueur de ses réserves et de ses secrets.

— Ouvre-moi camarade, je suis poursuivie par le montre des eaux. Ouvre vite, j’ai froid et peur. Ouvre-moi, mon glas a sonné !

La porte s’ouvrit immédiatement. Le fiancé de son ennemie était là. Bolo eut juste le temps de se réfugier dans ses bras avant que le monstre ne glissât sa tête à l’intérieur de la maison. Le fiancé, armé d’une de ses épées utilisées d’ordinaire pour fracasser les crânes protégés par des gris-gris antichocs, trancha toutes les têtes que le monstre présenta. À la septième et dernière, il supplia le brave garçon de la lui laisser afin qu’il puisse regagner les eaux du fleuve, mais en vain. Ses yeux crachaient du feu et de sa gueule béante sortait une chaleur torride. Le jeune garçon, sourd aux prières du monstre, décida de libérer Bolo pour la vie et trancha sa septième tête.

 

« C’est dans l’adversité que l’on reconnaît ses amis. »

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[1] Jeu de cache-cache aquatique.

[2] Bolo, viens !

 

Ce chant de pilage collectif est chanté par les Bella. À Tombouctou, les Songhay font appel à eux pour piler en échange soit d'argent, soit du son du mil qu'ils préparent et consomment. Les Songhay ne chantent pas lors des pilages communautaires.

Durée : 03:28. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

Pourquoi personne ne voit la mort, par Touré Seydou M’Barakou. Tombouctou

Au début de la vie sur Terre, la mort se promenait parmi les hommes, emportant celui dont le terme était arrivé. Elle était crainte de tout le monde, mais personne n’osait la défier.

Un jour, une jeune mariée, emplie de bonheur et de gaieté, reçut la visite de la mort tandis qu’elle faisait la cuisine. Elle lui demanda d’attendre un moment, le temps de terminer son repas. La mort partit quelques instants puis revint.

— Laisse-moi au moins manger mon plat ! rétorqua-t-elle.

Alors la mort s’en alla de nouveau rôder à l’extérieur puis revint. À ce moment-là, la femme s’empara d’un pilon et lui fracassa la tête. La mort, désespérée, se traîna péniblement jusque chez le bon Dieu et lui demanda d’éloigner les hommes de sa vue, car ils l’empêchaient d’exercer son métier.


 

Parole, ne coupez pas…, par Touré Seydou M’Barakou. Tombouctou

Il était une fois, un lièvre et une hyène qui se rencontrèrent sur le chemin.

— Eh, où vas-tu grande sœur, s’écria le lièvre ?

— Je n’ai pas de temps à perdre, répondit l’hyène, hier j’ai vu les restes d’un cadavre, là-bas dans la vallée !

— Attends-moi, grande sœur, c’est loin. Vois-tu, moi je ne vais jamais aussi loin pour chercher de quoi me remplir l’estomac. J’ai découvert l’endroit où le lion cache ses proies.

À peine le lièvre commençait-il à expliquer à l’hyène, que celle-ci détala à toute allure, ignorant ses appels répétés l’invitant à écouter la fin de son récit. L’hyène arriva bientôt à l’endroit indiqué et vit pendre la corde qui servait au lièvre à passer vers l’antre du lion. Elle s’y accrocha, se balança de plus en plus fort, aperçut enfin la cachette du lion et s’y laissa tomber. Elle mangea abondamment et s’arrêta enfin. Mais lorsqu’elle voulut ressortir, la corde était revenue à sa position initiale.

L’hyène se mit alors à pleurer, car si le lion la trouvait ici, elle risquait de payer cher son aventure. Face à l’évidence, elle se dit alors :

— Tant pis, je vais rester seule dans ce creux et je deviendrai la proie du lion.

Puis, à y mieux réfléchir :

— Non, je vais attirer le vautour qui ne cesse de prêter l’ouïe à mes hurlements, il terminera les restes de mon repas.

Alors l’hyène hurla, museau contre le sol et bientôt le vautour qui planait au dessus d’elle, vint se poser sur les provisions du lion. 

Le rapace, qui se mit à battre des ailes, alerta le corbeau, l’épervier, et ces derniers, à leur tour, le chacal, et ainsi de suite. La cachette du lion grouillait d’animaux quand son propriétaire arriva.

Surpris par un tel capharnaüm, il s’arrêta et demanda :

— Qui vous a indiqué ce lieu ?

Tour à tour, chaque animal montra son informateur du doigt pour finir à l’hyène qui dénonça le sien :

— C’est le lièvre qui m’a dit qu’il y avait ici une balançoire, et quand j’ai voulu jouer, je suis tombée ici.

Le lièvre, qui était embusqué près de là, éclata de rire et lui répondit :

— Il fallait plutôt demander au singe s’il n’avait jamais vu une cachette par ici, lui qui se balance partout sans se faire attraper. Si tu m’avais écouté jusqu’à la fin, tu ne te serais pas retrouvée ici, dans ce lieu sans issue.

Alors tous les oiseaux s’envolèrent, abandonnant l’hyène et son ami le chacal à leur propre sort.

 

« Depuis ce jour, l’hyène n’accepte jamais que les carnassiers et les rapaces s’approchent de ses proies. »

 

Aubade d’oiseaux sur le fleuve Niger

Durée : 01:57. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

Répands le bien autour de toi, par Touré Seydou M’Barakou. Tombouctou

Il était une fois un berger de la brousse qui mourut à la suite de blessures infligées par un redoutable lion. Une nuit, le fauve avait voulu pénétrer dans l’enclos protégeant son bétail et le vieux berger, qui veillait sur ses animaux, avait tenté de l’en empêcher. C’est ainsi que le lion l’avait mortellement blessé. Le brave homme avait laissé un petit garçon et sa petite sœur, orphelins. Mais, avant de mourir, il les avait mis en garde contre les bêtes féroces de la brousse.

Les deux orphelins grandirent peu à peu comme les herbes en période d’hivernage. Le jeune garçon entourait sa sœur de soins et d’amour et gardait bien le troupeau. Il chassait les meilleurs animaux pour l’assiette de sa sœur adorée, ne se doutant pas que le lion, bourreau de leur père, guérirait et, un jour, reviendrait.

Le petit orphelin s’éduquait au contact de la nature et répandait le bien autour de lui. Un jour, une petite biche assoiffée s’approcha de sa hutte à la recherche d’eau. Le jeune garçon sortit et lui donna une pleine écuelle de lait. Quand la biche eut étanché sa soif, elle repartit dans les bois. Cette scène se répéta plusieurs fois.

Un jour, tandis que le jeune berger s’en était allé conduire son troupeau, le lion rancunier vint s’accroupir en face de la hutte.

L’orpheline l’apercevant à travers la paille, tremblait de peur car le lion était venu pour se venger.

À ce moment, la jeune biche arriva au galop, avec, à ses trousses, les chasseurs du roi.

La pauvre bête galopait à une vitesse inimaginable. En arrivant, elle comprit que le lion voulait du mal à ses amis. Elle continua alors sa course jusque derrière la hutte et se cacha dans un buisson. Le lion, qui entendit les bruits de sabots, vint voir qui arrivait et se retrouva face à face avec les chasseurs du roi qui, tout en continuant leur course, lui lancèrent tellement de flèches qu’il ressembla rapidement à un porc-épic en fer. Les chasseurs, fiers de leur exploit, emportèrent leur gibier au roi, oubliant la biche qu’ils pourchassaient.

La petite biche, elle aussi orpheline, avait beaucoup de génie. Elle resta dans le buisson jusqu’à l’arrivée du berger qui fut informé de l’incident par sa sœur. Alors, le petit animal sortit de sa cachette, fit un signe de reconnaissance et disparut comme un tourbillon de vent.

Le jeune berger réalisa que le bien prodigué n’était jamais perdu.


 

Un juste retour des choses, par Touré Seydou M’Barakou. Tombouctou

La polygamie a toujours existé dans les sociétés africaines traditionnelles et elle s’accompagne toujours de son lot d’inimitiés.

 

Il était une fois, un homme polygame qui avait deux femmes dans deux villages différents. Les deux épouses se connaissaient à peine, car elles étaient éloignées l’une de l’autre. Seul l’homme faisait la navette entre les deux foyers d’une façon habituelle.

Il est reconnu que toute femme veut être aimée pour elle-même, sans partage. Ainsi la première épouse alla-t-elle trouver le féticheur afin de lancer un mauvais sort à sa coépouse. Celui-ci lui demanda d’apporter un crapaud, ce qu’elle fit aussitôt. Il mit l’animal en communion avec les esprits du mal. Sur les conseils du féticheur, elle rapporta le crapaud chez elle, attendit le départ de son mari pour le second foyer et le fit suivre par l’animal.

Le crapaud bondit derrière l’homme jusqu’au fleuve. Lorsque ce dernier emprunta la pirogue de la traversée, l’animal se cacha entre les bagages, sauta dans l’embarcation et suivit le mari jusque chez la coépouse. Celle-ci, après l’accueil habituel, trouva sous la jarre, un crapaud qui faisait mine de se cacher. Ne se doutant de rien, la bonne dame lui lança de la nourriture qu’il avala de bonne grâce. 

La femme se dit ensuite : « S’il a faim, il doit aussi avoir soif ». Elle mit alors un pot d’eau près de lui et l’oublia. Le crapaud resta là où il se trouvait.

Le bien avait devancé le mal. Il y eut, chez le crapaud, plus d’envie de faire le bien que le mal et il n’avait pas l’intention de vomir le mauvais sort de sitôt. Lorsque les époux se séparèrent, le crapaud suivit de nouveau le mari qui ne s’était jamais douté de quoi que ce soit.

Lorsqu’il arriva chez sa première femme, celle-ci vit l’animal. Elle s’irrita, car elle comprit qu’il n’avait pas rempli sa mission qui était de s’introduire chez la victime désignée. Elle prit alors un bâton pour l’écraser et s’écria :

— Maudit sois-tu, retourne d’où tu viens.

Mais le crapaud se mit à gonfler de plus en plus et lorsque la femme leva son bâton, en un bond, il s’engouffra dans sa gorge.

Ainsi finit la mégère, car tous les moyens explorés ne permirent aux hommes de lui ôter le crapaud qui s’était accroché dans gorge béante.

 

« Le fruit qui fait pousser un arbre pour le mal accueillera le bois de sa ruine ».


 

Une femme exemplaire, par Touré Seydou M’Barakou. Tombouctou

Il était une fois, deux sœurs de lait qui s’aimaient autant que des jumelles, deux filles belles comme des fleurs de tanin, plus belles que la princesse du roi.

Un jour, le malheur de la guerre s’abattit sur le village alors que les deux sœurs étaient parties chercher du bois mort. Jour de malheur, jour d’angoisse et de tristesse, jour de perte. Dans les ravins du village, le sang emportait les bébés, la fumée asphyxiait les vieillards et la corde ligotait les vigoureux jeunes gens pour le chemin du marché d’esclaves.

À leur retour, les deux demoiselles ne retrouvèrent de leur village que désolation et tristesse. Les deux rescapées se mirent alors en route pour une destination inconnue. Elles marchèrent courageusement mais ne rencontrèrent ni hameau, ni signe de vie humaine. La soif et la faim leur meurtrissaient les entrailles. Elles marchèrent toujours et encore. Elles marchèrent pour survivre, mais elles marchaient derrière la mort.

La plus jeune des deux, épuisée, s’adossa à un arbre et dit à sa sœur :

— Continue ton chemin, moi je reste ici car la vie n’est plus en moi, j’ai laissé mon âme sur la ruine des nôtres.

La grande sœur la fit asseoir et lui conseilla de ne pas bouger. Elle s’avança un peu sur le chemin et, après avoir contourné le premier buisson, découvrit un feu de camp contenant des braises encore chaudes. Les bourreaux ne devaient pas être très loin. Néanmoins, elle ne se découragea pas et continua à chercher quelque subsistance pour couper la faim de sa sœur afin qu’elle pût continuer la route avec elle. Elle trouva enfin une noix de palme, de quoi étancher une soif, mais point de nourriture. C’est alors qu’elle découpa un morceau de la chair de sa cuisse et la grilla sur le feu. Quand elle apporta la nourriture providentielle à sa sœur, celle-ci était au bord de l’irréparable. Elle eut cependant la force de s’en saisir et mangea sans se poser de question. Ce n’est qu’en fin de repas qu’elle sursauta en voyant la tache de sang sur l’habit de sa sœur. Elle lui demanda :

L’autre répondit :

— Oh, ne t’en fais pas, je me suis écorchée. La viande, et bien, euh, le viande, je l’ai trouvée abandonnée par des hommes qui avaient installé leur camp près d’ici, peu de temps avant nous.

Cette explication n’avait point empêché la petite de comprendre, car de temps en temps, sa grande sœur cachait à peine sa douleur.

Ainsi continuèrent-elles leur chemin, la jeune sœur ruminant le sacrifice de son aînée. Elles arrivèrent enfin à un village et s’arrêtèrent au bord du fleuve pour s’y baigner. Le griot du roi les aperçut et vint trouver son maître :

— Ô sire, j’ai vu deux créatures sur vos terres dont je ne saurais vous décrire la beauté.

Le roi les fit aussitôt amener à sa cour. Il se posa en vain la question de savoir laquelle choisir, car toutes les deux étaient aussi belles. Même les griots de la cour ne purent, eux non plus, choisir pour le grand maître. Elles avaient toutes deux en commun la grâce, la finesse, la noblesse du geste... On ne saurait tout décrire.

Tout à coup, la grande sœur déclara :

— Veuillez nous excuser, ma maîtresse peut-elle avoir à boire, en montrant du doigt sa petite sœur stupéfaite.

Tous les démentis de celle-ci furent vains. Alors, le roi, qui ne pouvait prétendre qu’à une femme noble, prit la soi-disant maîtresse comme épouse. Et la vie continua dans le village.

L’homme le plus riche de la cité apprit que chez le roi, vivait une femme d’une légendaire beauté qui se réclamait être l’esclave de la nouvelle reine. Ce grand nabab, qui avait sillonné tout le pays sans trouver l’élue de son cœur, se rendit chez le sorcier du village et lui demanda d’interroger ses fétiches sur cette étrangère. Le sorcier s’exprima :

— Les fétiches ont parlé. Les paroles sont claires, les paroles sont vraies. Il s’agit d’une fille exemplaire, d’une noble créature qui a sacrifié ses beaux jours pour le bien-être de sa sœur. Tu peux l’épouser, mais jamais vos enfants ne devront être unis par les liens du mariage et jamais ils ne devront trahir le pacte de sang qui unit leurs deux mères.

Ainsi, les deux sœurs devinrent-elles, l’une reine et l’autre, la femme la plus riche et la plus heureuse du pays.


 

Une leçon d’humilité, par Touré Seydou M’Barakou. Tombouctou

Il était une fois, une femme qui avait eu le malheur de péter haut et fort dans sa maison. Depuis ce jour, les railleries de son mari ne lui laissèrent que peu de répit, celui-ci ne manquant jamais une occasion de la briser dans ses élans.

Lasse d’essuyer ces affronts qui se transformaient peu à peu en humiliation, la femme quitta le domicile conjugal pour se rendre au village de ses parents et fit part de ses inquiétudes à sa mère. Celle-ci, en bonne vieille mère, lui conseilla de patienter et promit de trouver une solution à son problème.

Quelques jours plus tard, comme il est de coutume, le mari vint rechercher sa femme. On ne lui demanda pas d’explications sur la cause de la discorde. Ce soir-là, sa belle-mère partit s’enquérir des conseils de la vieille femme du village, qui n’eut aucun mal à lui donner une recette convenable. Ainsi, le soir, la belle-mère prépara un somptueux dîner à son gendre à base d’une recette secrète, visant un effet particulier.

Après le dîner, on fit conduire l’homme dans sa chambre et la belle-mère prit soin de boucler la porte de l’extérieur. Au milieu de la nuit, la colique et la diarrhée réveillèrent l’homme en sursaut. Il se leva pour sortir précipitamment, mais trouva porte close. Il se débattit un instant avec l’issue condamnée, mais en vain. Il se résigna donc. Il fit un tas de ses besoins dans un coin de la chambre et s’en retourna se coucher. Un instant après, le même scénario se reproduisit et l’homme, se réveillant en sursaut, fit un second tas.

De bonne heure, la belle-mère fit appeler le griot de la famille, qui vint jouer de son instrument à cordes afin de réveiller, comme il est de coutume, les hôtes de marque. Mais lorsque celui-ci ouvrit la porte, une odeur nauséabonde l’étouffa et il s’écria :

— Mon Dieu, qui a pu nous faire ça ?

L’hôte répondit :

— Oh, un enfant est venu se soulager ici, il faut le retrouver.

On fit apporter la poudre magique et on menaça de la mettre sur l’excrément si son auteur ne venait lui-même présenter ses aveux. On rassembla tous les enfants de la famille et on lança l’ultimatum. L’hôte tenta en vain d’échapper au verdict et, au moment où le griot s’apprêtait à saupoudrer le premier tas d’excréments, l’homme avoua en disant :

— Le premier tas est de moi mais, pour le reste, je n’en sais rien.

Alors le griot s’écria :

— On vient de retrouver l’auteur d’un tas, on va maintenant saupoudrer le second. Alors, que l’auteur du second tas se déclare ou qu’il s’apprête à subir un gonflement de ses fesses !

Sur ces mots, l’hôte se glissa au dehors et prit la clé des champs, sans salutation.

Depuis ce jour, la femme, revenue au foyer, n’eut plus à se plaindre des railleries de son mari.



Chantefables

Digna, par Alassane Diahara. Tombouctou

Nous vous offrons ici le texte audio de notre collectage afin que vous puissiez écouter la voix de la narratrice en même temps que vous lirez le texte traduit au plus prêt de la narration. Un expérience intéressante !

 

Durée : 03:40. © Patrick Kersalé 1998-2024.

C’est l’histoire d’un homme qui était très très très très très très gros. Quand bien même aurait-on réuni dix personnes, lui seul était plus gros que les dix. Il s’appelait Digna. Le jour où sa mère le mit au monde, elle mourut, sa grand-mère mourut, le père de sa grand-mère mourut, ses arrière-grands-parents moururent, toute sa famille mourut la même nuit. Alors Digna alla se coucher et dit :

 

Si sa mère était vivante

Digna aurait quelque chose à manger

Si son père était vivant

Digna aurait quelque chose à manger

Je titube, je titube.

 

Les gens du village allèrent chercher Digna et l’amenèrent chez une vieille femme afin qu’elle lui donne le sein. Elle le lui donna et mourut. Digna resta de nouveau seul et cria, cria :

 

Si sa mère était vivante

Digna aurait quelque chose à manger

Si son père était vivant

Digna aurait quelque chose à manger

Je titube, je titube.

 

On égorgea sept cent cinquante bœufs. On les fit cuire juste un peu et on les lui donna à manger. Digna avala toute la viande.

 

J’ai tant de chagrin

J’ai tant de chagrin

Ô, j’ai tant de chagrin

Si sa mère était vivante

Digna aurait quelque chose à manger

Si son père était vivant

Digna aurait quelque chose à manger

Je titube.

 

On lui apporta les bœufs de cent villages qu’il mangea la même nuit, mais, malgré cela, il pleura :

 

Si sa mère était vivante

Digna n’aurait pas froid

Si son père était vivant

Digna n’aurait pas froid.

 

Il a froid…

 

Si sa mère était vivante

Digna n’aurait pas froid.

 

Il a froid…

 

Si son père était vivant

Digna n’aurait pas froid.

 

On lui donna une couverture.

 

Ils m’ont tissé une couverture de paille fraîche

Il faut me tisser une couverture de paille sèche

Je titube, je titube.

 

On prit les couvertures de cent villages, mais celles-ci ne purent couvrir plus de la hauteur de ses genoux.

— Il n’est pas bon de perdre sa mère, il n’est pas bon de perdre son père, car Digna doit se coucher par terre.

On lui apporta alors les nattes de cent villages. Mais lorsque Digna se coucha dessus, ses pieds touchaient le sol. Les gens dirent alors d’envoyer l’enfant se faire circoncire. On apporta cent couteaux, mais les cent couteaux ne parvinrent pas à le couper. Il chanta :

 

Si son père était vivant

Digna aurait quelque chose à manger

Je titube, je titube.

 

On apporta cent haches, mais les haches ne parvinrent pas à le couper. Digna dit :

— Il n’est pas bon de perdre sa mère. Laissez-moi tranquille !

Il demanda de l’eau à boire. On lui apporta l’eau de cent villages et il but tout. Alors tous les villages manquèrent d’eau et il partit. Il marcha, il marcha, il marcha. Là où il posait ses pieds se formaient des trous d’eau. Il continua à marcher, à marcher... jusqu’au-delà de Diré[1]. Il y creusa un trou et y entra et c’est le trou qui le mangea.

_____________

[1] Village situé à quatre-vingt kilomètres au sud-ouest de Tombouctou.


 

Le sel, la poule et la brebis, par Alassane Diahara. Tombouctou

Un jour, le sel, qui était un grand cultivateur, se maria avec la poule et la brebis. Lorsqu’il allait au champ se trouvant non loin de la maison, ses deux femmes avaient pour consigne de l’avertir au cas où le ciel deviendrait menaçant, car la pluie le dissoudrait et le tuerait. Un jour où le ciel s’assombrit, les deux femmes commencèrent à chanter.

La poule d’une douce voix :

 

Coucou

C’est moi la poule

C’est moi qui appelle le cultivateur

Reviens vite

Car la pluie arrive !

 

La brebis d’une voix rauque :

 

Coucou

C’est moi la brebis

C’est moi qui appelle le cultivateur

Reviens vite

Car la pluie arrive ! 

Depuis son champ, le sel n’entendit que la voix rauque de la brebis. Il courut jusqu’à la maison et arriva sain et sauf. Il la remercia mais gronda la poule en lui demandant d’élever sa voix, ce qui la rendit jalouse.

Un jour, alors que le ciel devenait menaçant, la poule dit à la brebis que l’hyène était en train de rôder et que si elle entendait sa voix, elle viendrait la dévorer. La brebis, prise de panique, se cacha. Alors la poule chanta, chanta, mais sa petite voix n’atteignit jamais le sel. La pluie se mit à tomber, le sel se dissout et mourut.

 

Ainsi la jalousie avait-elle poussé la poule à tuer son propre mari…


 

Le chien, le lièvre et la biche, par Belko Amadou dit Ororo. Tombouctou

Jadis, au temps où les animaux parlaient et vivaient ensemble, la biche était la plus belle et chacun voulait lui parler au cours de la nuit. Un jour, vers le coucher du soleil, la biche, dont la case se trouvait sur une colline, préparait son repas. Il sentait bon. Alors, le lièvre, qui flaira la bonne odeur, s’approcha de la colline à grand bruit et chanta ainsi :

 

Je suis un grand monstre

Je m’en vais vers la colline où je sens un bon plat

En marchant

Je cogne ma tête contre tout obstacle

Et j’en ferais autant contre quiconque !

 

Au moment où la jolie biche entendit cette chanson, elle quitta rapidement sa case, abandonnant sa marmite. Le lièvre arriva alors, mangea toute la nourriture et s’en alla. En revenant, la biche trouva sa marmite vide et resta le ventre creux. Ainsi, chaque jour le lièvre recommençait le même scénario.

Un jour, le lion rendit visite à la biche et la trouva si maigre qu’il lui demanda ce qui n’allait pas.

Elle lui expliqua que chaque soir, un grand monstre venait lui manger son plat. Le lion lui répondit alors :

— Aujourd’hui je vais te protéger.

Vers le crépuscule, quand la marmite de la belle biche fut prête, le lièvre commença à chanter sa chanson habituelle et à faire grand bruit. Quand il arriva près de chez la biche, le lion s’exclama :

— Ma chère, vous avez raison, je n’ai jamais entendu un tel monstre, fuyons cette case !

Alors le lièvre rentra et mangea tout.

Le lendemain, l’éléphant arriva chez la biche et s’enfuit lui aussi. Et ainsi de suite, tous les grands animaux fuirent en entendant le tintamarre du lièvre.

Arriva alors le tour du chien. Ce dernier dit à la biche de ne pas quitter sa case. À l’approche du grand vacarme, elle se mit à trembler, mais le chien la tint fermement. Quand le lièvre entra pour ouvrir la marmite, le chien bondit sur lui et l’attrapa sous les yeux de la biche. On avertit alors tous les animaux de la brousse qui se sentirent honteux.

 

« Depuis ce jour, le lièvre a peur du chien. »


 

La lionne et la chamelle, par Maïga Bouli. Tombouctou

Il était une fois, dans la brousse, une lionne et une chamelle qui vivaient sur le même territoire. L’une et l’autre avaient un enfant. Chaque matin, les deux mères partaient à la chasse, laissant leur progéniture s’amuser ensemble. Elles étaient bonnes amies, allant même jusqu’à partager leurs plats.

Mais un jour, le gibier devint rare et la chasse difficile. Trois jours durant, la lionne ne trouva rien à se mettre sous les crocs, tandis que la chamelle dénichait quelques herbes pour son enfant. Alors le fauve décida de tuer la chamelle. Il cacha sa tête et ses pattes au fond de son repaire et rapporta le reste à son lionceau. Trois jours durant, l’enfant de la chamelle attendit sa mère. Ne pouvant plus attendre, il partit à sa recherche et trouva sa tête chez la lionne. Il décida alors de se venger. Ainsi, un matin, il creusa un grand trou dans lequel il planta des sagaies acérées, referma le piège avec un pagne blanc et invita le lionceau à sauter. Ce dernier bondit dans le trou et y trouva la mort. Aussitôt, l’enfant de la chamelle prit la fuite vers le plus proche village. Quand la lionne découvrit le désastre, elle se lança à sa poursuite, mais il était déjà arrivé au village. À sa vue, les villageois s’écrièrent :

— Voici l’enfant de la chamelle !

Alors ce dernier répondit en chantant :

 

Je ne suis pas l’enfant de la chamelle

Je ne suis pas l’enfant de la chamelle

San san gourou

La lionne a tué ma mère

Et moi j’ai creusé un trou pour tuer le lionceau

Je cherche du secours !

 

Tous les villageois se camouflèrent dans leur maison, refusant de secourir l’enfant. Alors celui-ci repartit vers un autre village. Quand la lionne arriva, elle demanda si l’enfant de la chamelle n’était pas venu. On lui répondit qu’il venait de passer. Elle continua alors sa course-poursuite.

Arrivé au village suivant, l’enfant de la chamelle chanta la même chanson et obtint la même réponse. Aussi continua-t-il sa route. Au coucher du soleil, il arriva au dernier village en chantant, mais là, les villageois l’accueillirent et le cachèrent, mieux encore, ils s’armèrent pour attendre la lionne. Quand elle arriva, on se lança à sa poursuite.

 

« Depuis ce jour, le chameau est devenu un animal domestique. »


 

La partie de danse, par Maïga Bouli. Tombouctou

Un jour, une poule entendit au loin une musique. Elle se dirigea vers l’endroit d’où provenait le son et y trouva un chat jouant de la vièle[1] et d’autres frappant des calebasses[2]. Elle dit alors :

— Je veux danser avec vous.

Le vieux chat accepta et chanta ainsi :

 

Doumma a beaucoup de graisse

Et la graisse éteint le feu.

 

Les autres chats chantèrent en chœur :

 

Cherchez

Cherchez

Cherchez le feu.

 

La poule dansa sans rien comprendre. Tandis qu’elle dansait, les chats allèrent chercher du bois et allumèrent un feu. Ils attrapèrent alors la poule, l’égorgèrent et la mangèrent.

 

« Si la nuit vous entendez des bruits, ne sortez pas sans être sûr de vous. »

[1] Njerka. Vièle monocorde à manche court dont la caisse de résonance est constituée d'une demi-calebasse et la table d'harmonie d'une peau tendue.

[2] Gaasu. Demi-calebasse posée à terre sur un rembourrage d'étoffe. On frappe sa partie bombée soit avec des bâtons, soit avec des bagues métalliques enfilées sur chaque doigt.

Njerka et gaasu accompagnent les danses du rituel de possession des génies hollo-horey.

Durée : 06:52. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

La méchante marâtre, par Touré Baba. Tombouctou

La tradition orale raconte que jadis, dans l’empire songhay, vivait un chasseur nommé Kassari. Il avait épousé deux jolies femmes et chacune d’elles lui avait donné un garçon. L’enfant de la première épouse s’appelait Amadou et celui de la seconde, Lamsidi. La première femme était très méchante et jalouse de sa coépouse.

Par malheur, le père des deux enfants vint à mourir et peu de temps après, sa première femme le suivit. Les enfants avaient tous les deux sept ans. La marâtre maltraitait Lamsidi, maintenant orphelin, tandis qu’Amadou, lui, aimait beaucoup son frère.

Un jour, elle offrit un cheval blanc à son fils, mais celui-ci le refusa, exigeant que son frère en ait un aussi. Alors, la marâtre donna un âne à Lamsidi. Mais lorsque les enfants partaient aux champs, ils échangeaient leur monture. Quand la mère apprit la nouvelle, elle acheta malgré elle un autre cheval.

Un jour, à l’heure du repas, la méchante femme envoya Amadou faire quelques menues tâches à l’extérieur et, avant qu’il ne revînt, donna du son à manger à Lamsidi. Au retour de son fils, elle lui prépara un bon plat bien garni, prétextant que son frère avait déjà mangé, mais Amadou refusa de prendre son repas sans lui.

La vilaine marâtre, constatant qu’elle ne pouvait mener à bien ses méfaits, se décida à tuer Lamsidi. Aussi envoya-t-elle Amadou dans un village lointain. Avant qu’il ne revînt, elle empoisonna Lamsidi et le fit enterrer rapidement. Quand Amadou rentra, on lui apprit que son frère était mort et enterré, alors il se précipita sur sa tombe au cimetière et chanta en pleurant :

 

Lamsidi Lamsidi

Mon petit frère

Tombe de Lamsidi

Par la grâce de Dieu

Ouvre-toi.

 

Et Lamsidi de répondre du fond de sa tombe, lui aussi en chantant :

 

Amadou Amadou

Mon grand frère

Si papa avait été là

 

On ne m’aurait pas tué

Si maman avait été là

On ne m’aurait pas tué

Tombe de Lamsidi

Par la grâce de Dieu

Ferme-toi.

 

Avant le coucher du soleil, Amadou chanta une dernière fois :

 

Lamsidi Lamsidi

Mon petit frère

Tombe de Lamsidi

Par la grâce de Dieu

Ouvre-toi.

 

Et Lamsidi de répondre du fond de sa tombe :

 

Amadou Amadou

Mon grand frère

Si papa avait été là

On ne m’aurait pas tué

Si maman avait été là

On ne m’aurait pas tué

Tombe de Lamsidi

Par la grâce de Dieu

Ouvre-toi.

 

Et la tombe s’ouvrit.

Amadou retrouva son frère Lamsidi qui partit désormais vivre dans la brousse profonde, loin du village. Toutefois, les deux frères se rencontraient fréquemment.

Un jour, la mère d’Amadou était partie en brousse chercher du bois. Au moment de rentrer, elle croisa un lion affamé en quête de gibier. L’apercevant, il bondit sur elle pour la dévorer mais aussitôt, Lamsidi, qui était perché sur un arbre, sauta sur le lion et le tua. La mère d’Amadou se leva toute tremblante et pleine de honte. Puis Lamsidi prit le fagot de bois et l’apporta jusqu’au village. Arrivé là, il expliqua ce qui s’était passé.

Depuis ce jour, la mère d’Amadou devint mendiante, passant de maison en maison en chantant une chanson qui exhorte les femmes à aimer tous les enfants avec le même amour.


 

L’orpheline et l’arbre, par Touré Baba. Tombouctou

Une petite fille âgée de six ans perdit un jour sa mère et son père. Elle vécut alors avec sa marâtre qui la faisait travailler sans manger. Quand la petite fille avait terminé sa besogne, elle s’en allait pleurer au cimetière.

Un jour, une voix lui dit d’aller derrière le village. Elle y verrait un grand arbre et y trouverait à manger. En effet, il y avait là un grand arbre. Elle commença à chanter :

 

Descends, arbre des orphelins

Descends, bel arbre

Si tu n’es pas l’arbre des orphelins

Aujourd’hui je mourrai

Et il ne restera de moi que mes os.

 

Alors l’arbre se courba, la petite fille monta dessus et il se redressa. Au sommet, elle y trouva de la nourriture. Elle mangea. Quand elle fut rassasiée, elle chanta :

 

Redescends, arbre des orphelins

Redescends, bel arbre

 

Si tu n’es pas l’arbre des orphelins

Aujourd’hui je mourrai

Et il ne restera de moi que mes os.

 

L’arbre s’abaissa, la petite fille en descendit et rentra à la maison.

Mais un jour, sa marâtre constata qu’elle grossissait et devenait belle. Alors, elle la suivit en cachette jusqu’à l’arbre et entendit la chanson. L’arbre se courba, la petite fille monta et il se redressa. Puis l’arbre s’abaissa de nouveau, la petite en descendit et rentra à la maison.

Aussitôt, la marâtre vint au pied de l’arbre et chanta. L’arbre se courba, elle monta et il l’emmena à sa cime. Elle mangea, remplit ses sacs, mais elle ne connaissait pas la chanson lui permettant de redescendre, car d’en-bas, elle n’avait pu l’entendre. Alors la marâtre jura :

— Fais-moi descendre, il commence à faire nuit !

Mais l’arbre resta sourd à ses invocations.

Souffla alors un grand vent qui secoua l’arbre si fort que la marâtre chut et trépassa.


 

Le vieux crapaud musicien, par Touré M’Barka. Tombouctou

Un jour, la cigogne chassait au bord du marigot mais n’y trouva rien, car les crapauds s’étaient cachés. C’est alors qu’elle eut l’idée de faire la morte.

Lorsqu’un vieux crapaud s’aperçut que la cigogne ne bougeait plus, il avertit ses congénères de se méfier et de bien vérifier si elle était vraiment morte. Après vérification, on lui rapporta qu’elle avait bel et bien trépassé.

Les crapauds décidèrent alors de chanter et de danser autour de sa dépouille. Ils formèrent un cercle et placèrent le vieux crapaud aveugle au milieu avec sa vièle. Il chanta ainsi :

 

La cigogne est morte

En laissant son méchant bec

Bâiller dans le marigot

Quel bonheur pour nous

De la voir morte

Au bord du marigot.

Tous les autres crapauds chantèrent et dansèrent. Pendant ce temps, un de leurs très jeunes congénères s’aperçut que la cigogne avait cligné de l’œil afin d’apercevoir sa proie. Il en avertit aussitôt les autres mais, enthousiasmés par la musique, ils négligèrent l’alerte.La cigogne ouvrit alors un œil et l'un des crapauds le remarqua et dit :

— On dirait que l’œil droit de la cigogne est ouvert !

Aussitôt les crapauds s’approchèrent pour vérifier. La cigogne en profita alors pour fondre sur la foule des crapauds et en attrapa deux gros. Pendant ce temps, les autres prirent la fuite tandis que le vieux musicien aveugle continuait à chanter un moment puis, sentant le silence, demanda :

— Où êtes-vous ? Que se passe-t-il ?

La cigogne s’approcha et le piqua un peu. Le vieux crapaud dit alors :

— Si c’est une blague de mes petits-fils, il faudra cesser car on ne badine pas avec cette maudite cigogne !

Mais à peine eut-il fini de parler, que la cigogne l’attrapa et l’avala.


 

La force de l’amour maternel, par Touré Seydou M’Barakou. Tombouctou

Il était une fois, un cultivateur et sa femme qui travaillaient leur champ, tandis que leur bébé dormait sous le grand baobab dominant la mare. L’enfant, réveillé par on ne sait quel diable, se mit à marcher à quatre pattes en direction des buissons touffus de la forêt. Les parents, ne se doutant de rien, continuèrent à travailler avec ardeur. Mais, à l’heure du repos, ils constatèrent la disparition de leur bébé. Scrutant les fines traces irrégulières laissées dans l’herbe humide par l’enfant, le père partit en direction des arbres, traversa une clairière et s’arrêta enfin devant un buisson touffu. À l’instant où il se baissa pour regarder entre les feuillages, il aperçut son enfant. Il s’était glissé entre deux lionceaux tétant leur mère lionne et en faisait autant. Le père croisa le regard de la lionne et, résigné, s’en retourna.

Lorsqu’il arriva au champ, la mère était à bout de patience. Alors celui-ci essaya de la consoler en lui disant :

— Confions-nous au bon Dieu et résignons-nous, car nous n’avons plus de bébé.

La femme impatiente demanda :

— Où est le cadavre de mon enfant ?

Le père répondit :

— Il vit encore mais il est irrécupérable.

Contraint, le père raconta sa mésaventure et indiqua le lieu où se trouvait l’enfant. La mère s’élança alors vers le buisson. Arrivée sur place, elle scruta d’abord les feuillages et vit la lionne en train d’allaiter ses petits. D’un geste de la queue, elle invita la femme à approcher. Celle-ci s’empara alors de son bébé repu de lait et s’en retourna vers le village sous le regard passif de l’animal. Les gens du village, alertés, s’étaient regroupés à la lisière de la forêt. Lorsqu’ils virent revenir la femme avec son enfant, les lamentations de douleur et de détresse se convertirent en chants de joie et en éloges. Les femmes entonnèrent :

 

L’amour maternel a bravé la férocité

L’amour maternel a réalisé l’impossible

L’amour maternel est plus puissant qu’un fusil

La mère mourra là où meurt son rejeton

Le lionne elle-même en sait quelque chose.


 

La jeune fille et la sorcière, par Touré Seydou M’Barakou. Tombouctou

Il était une fois, une jeune fille nommée Djembya. Djembya avait une amie, véritable confidente à laquelle elle confiait tous ses secrets et contait ses aventures. Cependant, elle lui cachait un secret : sa mère était une redoutable sorcière qui avait bâti sa maison quelque part dans un coin perdu de la brousse.

Un jour, Djembya reçut la visite de son amie. Elle était à la fois joyeuse de sa venue et craintive, car elle avait peur qu’elle ne fût la proie de sa mère sorcière. Elles discutèrent de tout et de rien. Djembya, tout en parlant, donna à son amie une graine d’acacia à tanin, une de baobab, une autre de faidherbier et enfin une de liane goïne. Elle lui conseilla de les conserver dans un nœud au bout de son pagne, puis elles continuèrent leur causerie. La nuit venue, les deux filles se couchèrent. Djembya, toujours joyeuse aux yeux de son amie, restait craintive au fond d’elle-même. Elle lui proposa d’échanger leur couverture, arguant qu’elle la sentirait ainsi plus près d’elle durant la nuit.

 

Nuit noire

Nuit angoissante et calme

Nuit des esprits et des mystères.

 

Cette nuit-là, la vieille sorcière se glissa hors de chez elle et décrocha le trousseau macabre de ses coutelas. Tour à tour, elle testa ses couteaux :

 

Couteau tranchant et secret

Couteau de malheur des âmes sans protection

Si je me sers de toi cette nuit

Jusqu’où iras-tu ?

 

Le couteau répondit :

 

Je traverse peau et chair.

 

— Tu n’es pas efficace pour la besogne de ce soir. Et toi, redoutable coutelas de bronze ?

 

Moi je traverse peau, chair et ligaments

Seuls les os peuvent m’arrêter.

 

— Toi non plus, tu ne feras pas mon affaire, répondit la sorcière.

À l’extrémité du trousseau, dormait le couteau que rien ne pouvait arrêter. La sorcière le sortit et lui demanda :

— Dis-moi, es-tu prêt pour cette nuit ?

 

Je traverse tout sur mon passage

Je coupe n’importe quoi

Seule la terre est mon obstacle.

 

La sorcière venait de trouver son instrument pour cette nuit-là.

 

Yeux de feu et de sang, doigts en tenaille, démarche de tigresse chasseresse, la sorcière se glissa dans la chambre des deux jeunes filles en chantonnant :

 

Je m’abreuverai de sang chaud et succulent

De sang nourrissant et délicieux

De sang de jeune fille

Du sang de la petite amie de Djembya.

 

Dans l’obscurité, la vieille sorcière repéra la couverture de l’amie de Djembya, se jeta sur la jeune fille dissimulée par l’étoffe et, en tour de main, lui trancha la tête sans qu’elle eût le temps de lancer le moindre cri. La sorcière s’abreuva de son sang chaud et s’en retourna terminer sa nuit. L’amie de Djembya, réveillée au milieu de son sommeil par on ne sait quel diable, secoua en vain son amie pour lui confier quelques mots, mais celle-ci ne bougeait plus. Ses mains baignaient dans le sang chaud qui se déversait sur le sol. Elle réalisa bientôt l’ampleur du drame et se glissa hors de la maison.

Le cœur meurtri, elle prit ses jambes à son cou, traversant plaines et rivières, parcourant sentiers et forêts en direction de son village.

De bonne heure, comme à l’accoutumée, la vieille sorcière envoya un disciple réveiller sa fille chérie. Celui-ci revint, tremblotant, annoncer que Djembya était décapitée. La vieille sorcière, prise d’une colère soudaine, fracassa le crâne du malheureux messager et en envoya un second qui subit le même sort. Un troisième revint braver la colère de la maîtresse :

— Que tu m’ôtes la vie ou que tu me la laisses, Djembya n’est plus car elle n’a plus de tête.

La vieille sorcière, assurée de son erreur, s’engagea tel un éclair à la poursuite de l’amie de Djembya. Rapidement, elle parcourut toute la distance que, des heures durant, la pauvre fugitive avait mit à parcourir.

Jetant son regard de lumière, la sorcière aperçut sa proie et lui lança :

 

Attends, que je te dise

Amie de Djembya, attends

Yeux d’étoile, attends

Doigts de boussole, attends

Ruse du diable, attends

Djembya n’est plus.

 

La pauvre fugitive répliqua :

 

Mère de Djembya

Yeux de feu, adieu

Doigts d’acier, adieu

Cœur de fer, adieu

Adieu, mère de mon amie

Adieu, mère maudite

Adieu.

 

La sorcière se rapprochait de plus en plus, alors l’amie de Djembya se rappela les graines cachées dans le nœud de son pagne. Elle en jeta une dans la plaine. Il y poussa immédiatement des acacias à tanin comme jamais il n’en avait poussé ici. Ils croisèrent leurs cimes et étalèrent leurs branches jusqu’à couvrir toute la surface du sol. La sorcière sortit de sa cuisse des forgerons, hommes et femmes qui transformèrent les bois en pilons et en mortiers. Jetant un coup d’œil derrière elle, la fugitive s’empressa de jeter les graines restantes et la vallée se transforma en une immense forêt vierge. La sorcière y cracha du feu et décima tout ce qui y avait poussé.

La pauvre fille, arrivant au bord du fleuve, sauta dans la pirogue d’un jeune Bozo* qui assurait la traversée. À peine l’embarcation eut-elle quitté la rive, que la méchante sorcière arriva à son tour, ordonnant au piroguier de rebrousser chemin. Mais les supplications de la fugitive l’emportèrent sur les cris de colère de la mécréante. Le passeur s’empressa de déposer la jeune fille sur l’autre rive avant de répondre aux appels de la maudite qui s’était enflammée d’une colère sans précédent. Elle sauta dans la pirogue et le piroguier rama de toutes ses forces sous ses menaces. Au beau milieu des eaux, dans le lit du fleuve, elle s’écria :

— Entêté, mets tes pagaies en travers de ta pirogue afin que je vide mes intestins avant d’attraper cette maudite fille !

Le jeune Bozo s’exécuta et, grâce à une ruse soudaine, il renversa le bourreau dans les eaux tumultueuses.

L’amie de Djembya venait d’être sauvée.

 

En pirogue sur le fleuve Niger. Pagayage d’un pêcheur Bozo

Durée : 01:55. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

La poule et le chat, par Touré Seydou M’Barakou. Tombouctou

Un jour, la poule décida de se marier avec le chat et partit annoncer la nouvelle à tout le village. Les villageois, surpris, lui dirent :

— Mais pourquoi veux-tu te marier avec le chat, ne sais-tu pas que les chats mangent les poules ?

Elle répondit :

— Je suis amoureuse du chat, je veux donc me marier avec lui !

Alors tous les oiseaux se réunirent et dirent :

— Puisque tu as décidé de te marier avec le chat, nous allons t’amener chez lui et célébrer ce mariage.

La maison du félin était située à la sortie du village. Le coq fut chargé de frapper le tam-tam, afin de rassembler tout le monde. Lorsque tous furent réunis, les jeunes poules tressèrent la tête de la future mariée. Puis le coq frappa de nouveau le tam-tam et les poules se mirent à chanter :

 

Si tu veux que l’on t’amène

On va t’amener

 

Mais nous

On ne s’arrêtera même pas devant la porte.

 

Ainsi, les poules amenèrent la future mariée devant la porte de la maison du chat, la poussèrent chez lui et déguerpirent.

Le lendemain matin, les poules décidèrent de venir tresser de nouveau la tête de la jeune mariée. Elles se présentèrent devant la maison du chat et lui dirent :

— Nous sommes venus tresser la tête de la jeune mariée.

Alors, le chat qui était resté à l’intérieur de sa maison, répondit :

 

J’ai mangé la poule

Mais il reste la tête et les pattes

Alors si vous voulez tresser la tête, la voici !

 

Lorsque le chat lança la tête de la jeune mariée, toutes les poules s’enfuirent sans plus de palabres !


 

Le bracelet de Sirou, par Touré Seydou M’Barakou. Tombouctou

« Ce que l’amour a scellé, la mort l’a brisé et la coutume l’a adopté. L’amour naît avec la femme et ne meurt qu’avec elle. »

 

Lorsque les seins de Binta commencèrent à se dessiner sous son vêtement et que des yeux admirateurs s’attardaient sur ses hanches modelées à la façon des aubergines de saison froide, elle prit garde de trop fanfaronner. Belle luciole et feu follet, personne parmi les jeunes et les braves garçons du village n’avait pu jusqu’alors l’observer. Les lunes qui défilaient, apportaient à Binta du caractère et de la magnificence.

Un jour, sa mère lui mit au poignet, un joli bracelet en argent, ajoutant de l’éclat à ses gestes déjà fort gracieux. Mais la beauté humaine possède aussi ses revers. Sur les places et sous les arbres, s’affrontaient constamment les opinions des admirateurs et des détracteurs de Binta. Rares ici étaient les jeunes gens calmes. Parmi eux, Sirou était considéré comme un garçon sans ambition, car il ne confrontait jamais ses pensées en public. Binta avait pris l’habitude d’éviter ces groupes de jeunes gens, préférant aller se baigner à l’écart des foules, marcher sur l’herbe tendre ou laisser venir les eaux de la rivière prier à ses pieds. Cependant, quelques voyeurs ne manquaient jamais de suivre ses mouvements.

Un doux après-midi tombait en voile sur la plage peu fréquentée, quand Binta, évitant les regards indiscrets, se glissa dans l’eau ondulante et cacha ses traits sous la fraîcheur et la douceur aquatique.

Un petit cheval, qui broutait l’herbe tendre du rivage, sentit ce bonheur envahir cette terre nourricière et se mit soudain à gambader, à sautiller et à ruer. Il fuyait son ombre, évitait les vagues sur la plage et courait après les papillons. Lorsqu’il aperçut la robe aux couleurs de fleurs posée sur l’herbe, il s’en empara du bout de sa bouche et continua son jeu. « Binta, quel malheur t’a-t-il envoyé, se demanda la jeune fille ? Plutôt mourir comme les appâts dans ces eaux, que d’essuyer l’affront de me montrer nue sur cette plage ! »

En vain, elle implora les cieux et les eaux. Mais le petit cheval n’en fit qu’à sa tête.

Sirou qui, du dos de sa monture, observait cette scène, caracola, et dans un nuage de poussière, laissa tomber sa cape sur le rivage. Aussitôt, Binta se drapa de la providence et rentra au village en tout bien tout honneur.

Le lendemain, lorsqu’elle renvoya la cape à Sirou, elle mit dans sa poche le bracelet d’argent que sa mère lui avait offert.

Au petit soir, Sirou arriva à cheval pour annoncer une triste nouvelle : « les redoutables vassaux du nord venaient d’envahir leur territoire ». Partout on réarma les bataillons et Sirou en devint brave capitaine.

Binta fredonnait de plus en plus souvent des éloges pour son pauvre cavalier charmant, à se languir et à s’isoler, au point d’en éveiller les soupçons de sa mère qui voulut connaître l’heureux élu. Cette dernière découvrit qu’elle ne portait plus son bracelet d’argent. Alors, elle la somma de le récupérer en quelques mains qu’il se trouvât. Elle ne pouvait se douter qu’il était au poignet d’un capitaine de guerre envoyé sur le champ de bataille.

Binta, comme une lionne effrayée, s’irrita de ces paroles et partit sur les traces des chevaux vers les champs de bataille. À chaque village elle fredonnait :

 

Rendez-moi Sirou, rendez-moi mon cœur

Sinon rendez à ma mère son bracelet

Rendez-moi ma joie et ma beauté

Demandez plutôt mes poignets à mes parents

Pour que je sente la chaleur du soleil

Pour que je rencontre le bonheur

J’échange ce bracelet contre mes mains

Ainsi ma mère comprendra.

 

Mais Sirou était déjà mort au champ de bataille avec les siens, tous les siens, faisant le festin des charognards.

La jeune fille erra dans les ténèbres, dans la poussière des sentiers et les gens ne manquaient pas de maudire la femme qui avait laissé cette fille sur ces chemins perdus. Binta ne trouva nulle part son prince charmant. Au septième jour d’errance, un charognard, survolant Binta, lança un cri funèbre et laissa tomber le bracelet comme pour lui dire : « Remets ceci à ta pauvre mère mais désolé, je ne reste rien pour toi ! »

Binta comprit alors que les gens honnêtes et loyaux comme son cavalier n’étaient pas toujours les mieux récompensés.

 

« Depuis ce jour, on colla à la plus belle fille du village, une étiquette de porte-malheur. Les mauvaises langues sont pis que la foudre ».


 

Le serment trahi, par Touré Seydou M’Barakou. Tombouctou

Il était une fois, une communauté dans laquelle les gens étaient très stricts sur la fidélité aux serments de la société. On conseillait notamment aux jeunes filles de ne prononcer le nom de leur beau-père sous aucun prétexte.

Un jour, on accorda à un jeune homme, la main d’une belle jeune fille. Comme il était de coutume, les futurs époux ne devaient pas faire connaissance avant le jour de leur mariage. Mais le jeune homme, impatient de voir sa fiancée avant son voyage pour l’aventure, s’en alla trouver la vieille femme du village, qui lui conseilla de ne pas chercher à violer cette coutume. Mais, insatisfait, il alla demander conseil à sa confidente, qui lui concocta un plan.

C’est ainsi, qu’un jour de chaleur, il se rendit au bord du fleuve, là où venaient se rafraîchir toutes les demoiselles du village après leurs palabres quotidiennes, ramassa leur pagne et grimpa sur un grand tamarinier dominant la berge. Les demoiselles affolées se précipitèrent hors de l’eau et vinrent supplier le jeune homme. Parmi elles, se trouvait la promise. À demi nues, leurs formes se dessinaient sous leurs rares vêtements mouillés, leurs seins dodelinaient en frisant la provocation. Le jeune homme les fit chantonner une à une afin que chacune puisse récupérer ses vêtements :

 

Tilé tilé, Mamadou

Mamadou, fils de Bandjougou

Remets-moi mon linge.

 

Convaincu de ne pas avoir face à lui l’âme chérie, il remettait à chaque jeune fille son pagne et ainsi jusqu’à la dernière.

Pendant ce temps, le ciel s’était mis à cracher sur la terre, un vomissement d’eau fraîche et de grêle. La dernière jeune fille, trempée et transie s’approcha, le regard baissé, le geste noble et calme. Elle s’agenouilla en disant :

— S’il te plaît, donne-moi mon vêtement, le froid a pénétré mes os et la honte a emporté mon énergie. Mamadou, fils de grand guerrier, fils de l’homme, donne-moi mon vêtement.

Sa supplication resta vaine. Le jeune homme demeura là, à admirer cette créature rare. Pendant un instant, le tonnerre gronda, comme pour accompagner les prières de la jeune fille et les éclairs déchirèrent le ciel. C’est alors que le pagne glissa des mains du jeune homme pour finir sur la tête de la demoiselle. Elle l’enfila et prit seule le chemin du village, toutes ses compagnes étant déjà à l’abri dans leur case. Elle courut avec tout ce qui lui restait d’énergie et alla se présenter chez sa mère qui, déjà informée, lui refusa l’entrée, convaincue qu’elle avait trahi le serment. Elle eut beau jurer, supplier, en vain. La grêle lui martelait la tête et le froid lui tétanisait le corps. Elle courut devant la porte de tous ses intimes, mais tout le monde eut peur de partager le destin qui châtie ceux qui trahissent les serments. Ne sachant plus où aller, elle alla trouver son ennemie jurée. Celle-ci écouta ses prières et lui ouvrit sa porte, la sauvant ainsi d’une mort certaine.

 

« C’est dans l’adversité que l’on reconnaît ses vrais amis. »



Devinettes

Une petite femme à la bouche noire.

Le four à pain. (Dans les rues de Tombouctou, on trouve aujourd’hui encore des fours en banco* en forme de cloche dans lesquels les femmes cuisent au feu de bois leurs pains ronds takula.)

 

Il y a des pains (takula) jusqu’à la Mecque.

Les traces du chameau. (Les pains ronds takula font penser aux traces des pattes de chameaux laissées sur le sable).

 

Un miroir sur un terrain plat.

Un excrément de diarrhéique luisant au clair de lune.

 

J’ai étalé mon couscous au soleil et, le matin, il a disparu.

Les étoiles (grains de couscous) apparaissent au crépuscule et disparaissent à l’aube.

 

J’ai chevauché toute la journée mais n’ai rencontré qu’un seul excrément.

Même si je baratte ma crème pendant longtemps, une seule boule de beurre en sortira.

 

Des vaches partent au pâturage sans corne mais reviennent avec.

Des femmes revenant de brousse avec du bois de chauffe (sur la tête).

 

Une case dans l’eau.

Un crocodile.

 

Un arbre dans l’eau.

Un hippopotame.

 

Un bois dans l’eau.

Un silure (poisson-chat).


Bibliographie

Pour en savoir plus sur les Songhay…

BOULNOIS, Jean

  • 1954 L'empire de Gao, histoire, coutumes et magie des Sonrai - Adrien-Maisonneuve.

DUCROZ, Jean-Marie

  • 1982 L'homme Songhay tel qu'il se dit chez les Kaado du Niger - L'Harmattan.

HAMA, Boubou

  • 1974 L'empire Songhay, ses ethnies, ses légendes et ses personnages historiques - P.J. Oswald.
  • 1968 Histoire des Songhay - Présence africaine.

OLIVIER DE SARDAN, Jean Pierre

  • 1976 Quand nos pères étaient captifs... - Nubia.

ROUCH, Jean

  • 1943 Aperçu sur l’animisme sonrai - Notes africaines, n°20.
  • 1954 Les Songhay - Presses Universitaires de France.
  • 1960 Essai sur la religion songhay - diss., U. of Paris.
  • 1975 Le calendrier mythique chez les Songhay-Zarma (Niger) - Cahier Système de Pensée en Afrique Noire, Paris, n˚1, pp.52-62.
  • 1976 Sacrifice et transfert des âmes chez les Songhay du Niger - Cahier Système de Pensée en Afrique Noire, Paris, n˚2, pp.55-64.
  • 1989 La religion et la magie songhay, 2è Ed. revue et augmentée - Université de Bruxelles, 1989.
  • 1997 Les hommes et les dieux du fleuve. Essai ethnographique sur les populations songhay du moyen Niger 1941-1983 - Artcom', Collection Regard d'ethnographe.

SURUGUE, Bernard

  • Contribution à l’étude de la musique sacrée zarma songhay. Études nigériennes N°30 (Niger) - ORSTOM.

Pour en savoir plus sur Tombouctou…

ABITBOL, Michel

  • 1979 Tombouctou et les Arma : de la conquête marocaine du Soudan nigérien - Maisonneuve et Larose.

BONNIER, Gaëtan

  • 1926 L'occupation de Tombouctou - Les éditions du monde moderne.

CISSOKO, Sékéné-Mody

  • 1975 Tombouctou et l'empire Songhay : épanouissement du Soudan nigérien - Dakar ; Abidjan : les nouvelles éditions africaines.