Les Indiens Tarahumaras sont des Amérindiens vivant au nord-ouest du Mexique, dans les montagnes qui portent leur nom. Aujourd’hui, ils sommes environ 50 000. Les Blancs les appellent Tarahumara mais ils se nomment eux-mêmes Rarámuri, c’est-à-dire "les coureurs à pied" ou encore "ceux qui courent". Ils sont très résistants et capables de parcourir, en marchant ou en courant, de très grandes distances. L’exemple le plus remarquable est celui de l’un des leurs, Andy Payne, qui parcourut en 1928, 5 507 kilomètres en 84 jours ! Hormis cette performance hors du commun, ils peuvent aisément parcourir plus de cent kilomètres par jour pendant une semaine.
La fête est au centre de leur vie. Ils vivent pour danser et l’on pourrait même affirmer qu’ils dansent pour vivre. Le cycle de leur vie pourrait se résumer ainsi : « Pour vivre, les Tarahumaras ont besoin du maïs, le maïs a besoin de la pluie et de la faveur de Dieu, la pluie et Dieu ont besoin que l’on danse, les danseurs ont besoin du tesgüino... »
© Patrick Kersalé 2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 18 juillet 2024.
SOMMAIRE
. Cano, le géant qui mangeait les enfants
. Le riche et le pauvre
. Le loup et la grenouille
. L'engoulevent
. Le chien qui voulait être soldat
. Pourquoi la viande de biche est-elle si tendre ?
. La souris changée en chauve-souris
. Pourquoi le coyote a-t-il le pelage ras ?
. Le coyote et la tortue
. Le taureau prédicateur de pluie
. La vieille femme qui fabrique la neige
. Batuchari, l'annonciateur de pluie
. Le tourbillon
. L'arc-en-ciel
. Le déluge
On raconte que jadis, dans une grotte, vivait avec sa famille, un homme qui s’appelait Cano. Il était si grand et si fort qu'il pouvait aisément arracher des sapins et était capable de faire toutes sortes de travaux. Malheureusement, son salaire quotidien était constitué d’enfants qu'il mangeait au cours de ses repas, et il en mangeait beaucoup. Voilà pourquoi il était devenu si grand et si fort. Parfois les gens l'embauchaient pour déblayer le sol ou arracher des arbres et tandis qu'il travaillait, sa femme et son fils s'affairaient autour des maisons pour chercher des enfants. Quand ils en trouvaient, ils les emportaient dans leur grotte, les tuaient et les cuisinaient pour Cano lorsqu'il rentrait du travail.
Les gens étaient très effrayés par cette famille car ils étaient si grands et si forts qu'ils étaient impuissants. Ils avaient aussi très peur qu'ils se multiplient. Une nuit, les gens se réunirent et discutèrent de la manière d'éliminer Cano et sa famille. Ils décidèrent d'embaucher Cano pour arracher des arbres et déblayer le sol. Pour son souper, ils lui cuisineraient une grande marmite de chilicote, des haricots poisons, juste pour lui.
Le jour venu, quand Cano eut terminé son travail, ils l'invitèrent à la maison où le repas lui avait été préparé et lui servirent son souper. Il mangea avec grand appétit et s'exclama : « C'est vraiment bon, très savoureux ! » Et il en demanda de plus en plus, jusqu'à terminer la marmite presque toute entière. Cependant, les gens en gardèrent un petit peu, si bien que Cano pourrait en prendre pour sa femme et son fils. Quand il eut fini de manger il partit, très content, emportant le reste des haricots dans un pot. Mais en chemin il tomba malade et mourut.
La femme de Cano devint veuve. Alors, un jour, les gens lui dirent qu'il allait pleuvoir et neiger pendant longtemps et que cette eau submergerait presque le monde. Ils lui dirent que si elle et son fils ne rentraient pas dans une grotte, il mourraient de froid. Alors, une fois entrés dans la grotte, les gens empilèrent des branchages secs à l'entrée et y mirent le feu.
Voilà comment les gens se débarrassèrent de la famille de Cano. Tous étaient si heureux qu'ils organisèrent une grande fête.
Il y avait une fois qu'un homme très riche. Il avait un ami pauvre qui venait le visiter chaque jour et chaque jour, l'homme riche sortait un fromage en disait au pauvre :
— Pourquoi n'as-tu pas de fromage ?
— Parce que je n'ai pas de couteau pour le couper, répondit le pauvre.
Le lendemain, l'homme pauvre revint dans la riche demeure.
— Ne donne pas de nourriture à notre ami, dit l'homme riche à sa femme, nous le nourrissons depuis déjà longtemps et il me fatigue. Fais une boule de pâte de maïs et cache-la. Notre ami pourra alors venir.
Elle fit donc une boule de pâte de maïs, la cacha, et s'essayèrent avec le l'homme pauvre sans dire un mot. Mais l'homme pauvre ne semblait n'avoir aucune intention de partir. Il resta assis-là toute la journée. À la tombée de la nuit, il était encore là. Tard dans la nuit, le riche se leva.
— N'as-tu donc rien à manger ? chuchota-t-il à sa femme.
— Si, répondait-elle, j'ai la pâte de maïs. Je peux te faire une tortilla et un toast sur les braises.
Alors, elle fit une tortilla tout en la tapotant si doucement que le pauvre n'entendit rien. Mais soudain il se leva et vint s'assoir près du feu, là où la tortilla cuisait sous les braises. Il prit une brindille et commença à pousser par les braises comme s'il labourait.
— C'est ainsi que je fais à la maison, dit-il.
Il cassa un petit morceau de la tortilla. Alors l'homme riche dit à sa femme en chuchotant :
— Regarde ce qu'il a fait, notre tortilla est toute brisée !
Le couple s'endormit, mais l'homme riche se réveilla bientôt.
— N'as-tu rien à me donner à manger ? demanda-t-il à sa femme.
— Il y a du maïs, répondit-elle. Je peux t'en faire du gruau.
— Bien, dit l'homme, mais fait le discrètement.
Elle mélangea le gruau et le mit à bouillir sur le feu. Mais soudain l'homme pauvre se leva une fois encore.
— Qu'est-ce c'est ? demanda-t-il.
La femme lui répondit :
— Hier, je n'avais pas terminé de laver les vêtements, alors je bous ce qui restait pour faire partir la saleté.
— Ah, ma chemise est pleine de poux, dit l'homme pauvre, je vais la mettre dedans !
Et il mit sa chemise dans le gruau.
— Oh là là, votre ami est un mauvais homme ! chuchota la femme à son époux.
Mais bientôt, il durent se rédigner. Juste avant l'aurore, l'homme riche se leva et dit à sa femme :
— Je vais au champ pour cueillir quelques épis de maïs que je mangerai avec du fromage.
L'homme pauvre surveilla son départ et le suivit. Il coupa un bâton et se faufila tout au long du chemin afin de ne pas être vu, comme s'il suivait un étranger, quand soudain il s'écria :
— Vous volez mon ami ?
Et il se mit à battre le prétendu voleur jusqu'à ce qu'il fut satisfait. Alors il feignit reconnaître son ami, bien qu'il le connaissait déjà.
— Vous êtes mon ami, dit-il disait, et je ne vous reconnaissais pas ! Et je vous ai frappé plusieurs fois !
Alors l'ami riche dit :
— J'étais très affamé. C'est pourquoi je suis venu ici. Permettez-moi de prendre quelques épis de maïs pour emporter à la maison, je les grillerai et les mangerai avec du fromage. Et ensemble ils revinrent à la maison, grillèrent les épis de maïs et les mangèrent. Puis, un court moment après, ils en grillèrent d'autres…
On raconte, qu’il y a fort longtemps, se rencontrèrent le loup et la grenouille. Ce jour-là, le loup se moqua de la grenouille en riant et l'appela “ventre-pot”. Alors la grenouille défia le loup et l'invita à faire une course pour voir qui la gagnerait.
Le jour de la course arriva et beaucoup d’animaux vinrent y assister : des souris, des busards, des coyotes, des lapins, des hérons… La course commença et la grenouille, en un saut, la remporta, laissant le loup loin derrière. Alors tous les autres animaux rirent énormément de voir comment la grenouille avait gagné aussi rapidement.
Pour fêter cet événement, ils organisèrent de grandes réjouissances. Le coyote et la moufette commencèrent à danser le pascol* tandis que le lapin jouait du violon. Le coyote et la moufette avaient beaucoup bu, et le coyote commença à hurler, comme il le fait aujourd'hui encore. Alors le lapin musicien ramassa un morceau de sève de pin incandescente et mit le feu au deux compères.
Depuis ce jour, le coyote et la moufette empestent.
L'engoulevent a un pouvoir sur les couvertures. Parfois, on entend l'oiseau dire : « coche o'cochire » (où dormez-vous ?). Si vous entendez l'un d'eux chanter ainsi dans la soirée et que vous imitez sa chanson en sifflant pour lui répondre, votre couverture sera brûlera la nuit même, si vous dormez à proximité du feu.
« Un jour je serai soldat ! » disait jadis le chien. « Je m'assiérai en bas, dehors, près de la porte et je vous garderai. Vous me donnerez un petit peu de tabac et, la nuit, tandis que vous irez danser, je prendrai soin de vous. » Ainsi s'expliquait le chien voici bien longtemps. Voici pourquoi aujourd'hui il est un très bon soldat. Il prend soin de moi tel l'ange gardant les morts au ciel. Mais aujourd'hui, nous n'entendons plus les chiens parler ainsi.
Un jour, un homme partit dans les bois pour chasser la biche, prenant avec lui ses deux bons chiens de chasse. Alors qu'ils longeaient la lisière du bois, arriva une biche. Les deux chiens de chasse donnèrent l’assaut et l'homme se mit à courir derrière eux. Quand les chiens commencèrent à gagner du terrain sur la biche, l'animal se transforma soudainement en une femme parée de beaux vêtements. La biche devenue femme s'arrêta et demanda à l'homme :
— Pourquoi vos chiens hurlent-ils autant ?
L'homme répondit alors :
— Parce qu'une biche courait par ici.
La femme dit :
— Je suis cette biche et il n'y a aucune autre biche ici.
Alors ils partirent ensemble à la maison de l'homme. Mais, chemin faisant, ils tombèrent amoureux l'un de l'autre. Ils marchèrent en chantant joyeusement. Ils se marièrent bientôt et eurent beaucoup d'enfants.
Voici pourquoi la viande de biche est si tendre : elle possède une partie humaine.
Quand elle grandit, la souris se transforme en chauve-souris. Elle vole la nuit. Pendant le jour, elle reste dans une grotte, suspendue la tête en bas. La chauve-souris n'a pas de plume. Il est comme une souris. Elle n'a pas de bec comme les oiseaux. Elle est simplement comme une souris. Le soir venu, beaucoup de chauve-souris volent dans le ciel, attrapant et mangeant de petits insectes. Quand le jour point, elles se rassemblent dans une grande grotte où elle répand sa fiente. Et nous, les Tarahumaras, nous l’utilisons comme engrais pour faire pousser notre maïs.
Un jour, le petit coyote dansait au milieu d'une parcelle de joncs. Pendant ce temps, un homme qui se trouvait au bord de cette parcelle y mit le feu. Alors il dit au coyote :
— Tu aurais mieux danser encore si le monde n'était pas arrivé à sa fin ! Ne l’entends-tu pas tomber ?
Alors le coyote dansa de plus belle au milieu de la parcelle de joncs. Et tandis qu'il dansait, la moitié de ses poils brûlait. Quand il ressortit de la parcelle de joncs, il lui restait seulement quelques touffes de poils. Il avait l'air très pauvre et très laid. À cause de cela, et depuis ce jour, le coyote est laid et un peu noirâtre. Cela est arrivé il y a bien longtemps.
Le coyote a été créé imbécile. Quand il entre dans un corral, il ne laisse rien, il tue même les grands boucs. Mais l'homme qui a brûlé la parcelle de joncs était lui aussi un imbécile. Il a brûlé le coyote parce qu'il était la sorte d’être qui s'occupe toujours des affaires des autres.
Un jour, le coyote dit à la tortue :
— Vous ne marchez pas très vite ! N'importe où vous allez, vous marchez même très lentement. Je commence à avoir envie de vous manger, compère. J'envisage même de vous manger dès maintenant !
Alors la tortue répondit :
— Faisons une course, et si vous gagnez, vous pourrez me manger. Courons dans la descente.
Ils partirent ensemble et la tortue gagna.
Elle, avait roulé sur la pente et laissé le coyote loin derrière.
Le taureau est très sage. En hiver, à l'approche de la pluie, il meugle beaucoup. Alors, après avoir beaucoup meugler, une grande pluie arrive. Pour la pluie, le taureau est un bon prédicateur. Il est très sage. C'est pour cela qu'il est ici, sur la terre. Il sait très bien quand il va pleuvoir. Partout où les taureaux meuglent, il pleut beaucoup.
L'hiver, lorsqu'il y a beaucoup de neige, on raconte qu'elle est faite par une vieille femme. Cette vieille femme passe tout son temps à la mouler, la mouler, la mouler puis à la jeter. On l’appelle arrière-grand-mère car elle a une belle chevelure blanche. Certains disent que cette vieille femme met la neige sur un arbre énorme qui est là-haut dans le ciel et qu'elle le secoue.
Quand l'insecte appelé batuchari s'envole vers les cimes, il crie, et les gens disent qu'il va pleuvoir. Dieu a créé cet insecte, juste pour appeler la pluie. Alors, quand il s'envole là-haut, sur la crête, la pluie arrive.
On raconte que très loin d'ici, dans une petite caverne au creux de la montagne, enfoui dans le sol, vit un tourbillon. Il est très méchant et très violent. Quand il sort de son antre, il s'élève presque jusqu'au ciel. Il capture alors les âmes des enfants et les bat. Ensuite les enfants tombent malades. Ce malheur arrive même aux enfants d'ici. Ainsi agit celui qui se nomme tourbillon…
L'arc-en-ciel erre tout autour de nous. Il épouse souvent des femmes Tarahumaras. Par exemple, lorsqu’il surprend une femme gardant ses moutons, celle-ci s'évanouit. Cet être aquatique est très méchant. Il vole aussi des enfants, dit-on. Il les transporte chez lui, les habille bien et prend soin d'eux comme s'il était un bon Tarahumara. Voilà ce que l'on dit de l'endroit où vivent les arcs-en-ciel. On dit aussi que celui qui vole les enfants ressemble à une femme, à une señora mexicaine.
L'arc-en-ciel paraît vous suivre, se déplacer quand vous vous déplacez, on dirait un homme. Il est ainsi, nous ne pouvons pas le comprendre.
Celui qui erre autour de nous est un voleur. L'arc-en-ciel vole des enfants parce qu'il n'en a pas lui-même.
Quand l'arc-en-ciel se déploie, il range toujours ses couleurs dans le même ordre.
La partie rouge au-dessus est un petit enfant qui a été volé et toutes les autres couleurs sont aussi des enfants, placés les uns au-dessus des autres.
Quand l'arc-en-ciel se déploie, il ne permet pas à la pluie de tomber. La pluie s'arrête.
Si l'arc-en-ciel et moi nous marions ou s'il épouse une autre femme, il ne permettra pas d'avoir des enfants. Voilà ce qui arrive avec l'arc-en-ciel. Quand le petit enfant grandit dans le ventre de la mère, l'arc-en-ciel le tue. C'est pour cela que certaines femmes n'ont pas d'enfants. Si l'arc-en-ciel devait m'épouser, je n'aurais pas un seul enfant. Cet arc-en-ciel me traitera toujours mal s'il m'épouse. Les femmes qui n'ont pas d'enfants sont très affligées. Certaines femmes n'ont pas même un seul enfant.
Ainsi est l'arc-en-ciel.
Jadis, au temps des Anayáwari1, la lune brillait le jour et était toujours pleine, tandis que le soleil venait selon un cycle et brillait la nuit. Chaque mois, le soleil disparaissait et tout était dans l’obscurité. L'obscurité durait deux jours et partout où elle était, on pouvait entendre le géant Cano crier, comme une voix venant du ciel.
Alors, vint une grande inondation. Comme la rose d'eau, une montagne sortit de l'eau. Tous les gens s'enfuirent sur la montagne pour échapper à la noyade. Tous les animaux, les oiseaux et les gens partirent ensemble. Les animaux sauvages ne luttaient plus ou devenaient fous par peur de l'eau.
Le matin du troisième jour, l'eau commença à redescendre et tout commença à sécher. Alors les gens dansèrent jour et nuit. Ils remercièrent Dieu et le maïs tomba du ciel sur l'aire de danse. Les gens partirent en divers endroits pour le planter. Le maïs grandit très vite. En un mois, ils purent le récolter. Ils mirent le maïs sur leurs oreilles, dans leurs bras repliés, partout où il le pouvait, et le portèrent sur les hautes crêtes. Là, ils bâtirent des silos ronds. Ces Anayahuari, eux, ne vivaient pas dans des maisons mais dans des grottes.
1. Ancêtres des Rarámuri (Tarahumaras).