Parole d'ancêtre Gan


Le royaume gan est situé au Sud-Ouest du Burkina Faso, dans la province du Poni. Sa musique et ses chants sont singuliers à de nombreux égards. GeoZik y a effectué de nombreuses missions entre 1994 et 2003 grâce au soutien de plusieurs acteurs locaux, dont Sa Majesté le 28e roi et Koffi Farma, attaché à la culture pour le royaume. Comme les Gan n'ont pas d'écriture, ils ont développé une vaste littérature orale dont nous avons collecté et traduit quelques bribes.

 

Collectage et transcription : Patrick Kersalé. Traduction française : Koffi Farma. © Koffi Farma, Patrick Kersalé 1994-2024. Dernière mise à jour : 14 septembre 2024.


SOMMAIRE

> Généralités sur le royaume gan

Contes

. Le mors de cendre et d'huile

. Interrogatoire du cadavre

Chantefables

. L’homme qui voulait épouser une femme sans scarifications

Devinettes

Énigmes

. La juste propriété

Proverbes et métaphores

. De la peur des ennemis et de la sorcellerie

. De la peur de la mort

. Bien conduire sa vie

. Ne pas nuire à autrui sans raison

. Conservation d'un secret

. Ouverture d'esprit

. Éducation rustre

. Imiter les valeureux

 

. Entraide

. De la peur de Dieu

. De l'importance de Dieu

. De la bonté divine

. Du paraître

. De la nature humaine

. Problèmes modernes : le SIDA

Prières

. Prière sacrificielle

 

PAE associés

> Le royaume gan et sa musique

> Le royaume gan et ses chants

 

DOCU associés

> Musique et harmonie au royaume des Gan

> Akouna Farma, messager du royaume



Contes

Sur le plan éducatif, les contes forment essentiellement aux bonnes mœurs et mettent en garde contre les travers de l'Homme en comparant la nature humaine au comportement de certains animaux.

 

Le mors de cendre et d’huile

« Il était une fois, un roi très sévère qui avait rassemblé tous les enfants de sa région. Ils leur demanda à tous d’appeler leur père. Les enfants obéirent et le roi les tua un à un. Mais un des enfants avait creusé un trou et y avait caché son père. Il l’approvisionnait régulièrement en nourriture. Après avoir tué tous les pères, le roi proposa aux enfants de faire un travail qui consistait à fabriquer un mords de cheval avec de la cendre et de l’huile. Aucun ne parvint à réaliser une telle prouesse et tous furent frappés à mort. Chaque jour, le roi réitérait sa demande mais aucun enfant ne parvenait jamais à fabriquer un mords avec de la cendre et de l’huile et, sans relâche, ils étaient frappés à mort.

Un soir, l’enfant qui avait caché son père dans le trou, alla trouver celui-ci et lui dit :

— Père, si un jour vous ne me voyez plus, c’est que je suis mort, car le roi nous a confié un travail impossible à réaliser.

Le père demanda :

— Quelle est cette tâche ?

L’enfant répondit :

— Le roi nous a demandé de fabriquer un mords avec de la cendre et de l’huile.

Le père rétorqua alors :

— Mais mon fils, ceci n’est pas un travail ! Lorsque ton tour arrivera et que le roi te demandera de construire un mords avec de la cendre et de l’huile, dis-lui que tu acceptes de le faire à condition que Sa Majesté te présente l’ancien modèle fait de cendre et d’huile. Ainsi, tu pourras le reproduire, car il n’est pas possible de fabriquer une chose sans avoir un modèle.

Le jour où le tour de l’enfant arriva, il dit ceci :

— Votre Majesté, j’ai quelque chose à dire avant de mourir. Je souhaiterais voir un modèle du mors que vous nous demandez de fabriquer, même s’il est brisé et que seul un morceau subsiste.

Le roi demanda à isoler l’enfant pendant un moment. Le soir venu, le monarque le fit appeler et lui dit :

— Ton père est vivant.

L’enfant rétorqua que son père n’était pas vivant, mais le roi insista et affirma que son père était vivant. Il lui demanda de l’amener, précisa qu’il ne le tuerait pas, mais lui ferait une proposition. Trois jours passèrent durant lesquels l’enfant nia toujours que son père était vivant. L’enfant s’en alla alors trouver son père et lui expliqua la situation. Le père répondit :

— Ce n’est pas grave, même si le roi doit me tuer, j’irai le trouver. Je préfère mourir à ta place.

Ils partirent alors tous les deux chez le roi. Arrivés-là, le monarque les reçut. Il prit sa lance, traça une ligne sur le sol et dit ceci :

— Au delà de cette ligne, vous-même et votre père commanderez ce territoire, car vous êtes le plus intelligent. Vous n’avez pas voulu tuer votre père. S’il était mort, vous seriez mort vous aussi. Moi je commanderai le territoire se trouvant de l’autre côté de cette ligne. »

 

Interrogatoire du cadavre

Il était une fois, un lièvre et une hyène qui cultivaient chacun leur champ de haricots. À la période de la floraison, l’hyène alla trouver le lièvre et lui dit :

— Mon ami, sais-tu que tes haricots sont infestés par une grave maladie. Va chercher des verges et fouette tes haricots en fleurs, sinon tu ne récolteras rien cette année !

Le lièvre, qui n’avait rien saisi de la ruse de l’hyène, l’écouta béatement et suivit le conseil. Toutefois, il laissa un pied de haricots en fleurs afin de savoir quel genre de maladie avait bien pu attaqué ses plantes en pleine saison hivernale. À la période des récoltes, le seul pied qui lui donna des haricots fut celui qu’il n’avait pas fouetté. Il comprit alors que l’hyène l’avait berné, hyène qui fit cette année-là une superbe récolte et remplit son grenier. Quant au lièvre, la famine sévit dans sa cour[1] mais il ne voulut pas s’avouer vaincu et fomenta à son tour une ruse. Il fabriqua un brancard[2] sur lequel il enveloppa sa mère, des houes, des vêtements, en un mot tout ce dont un homme peut avoir besoin pour vivre aisément. Puis s’en alla informer l’hyène :

— Mon amie, ma mère vient de mourir, comme tu es pour moi un grand frère, je ne peux me passer de toi et je souhaite vivement que tu assistes à l’interrogatoire du cadavre de ma mère.

L’hyène accepta.

Le lièvre commença l’interrogatoire : « Mère, vous nous quittez, avant de partir au pays des morts, qu’allez-vous nous laisser pour que nous puissions continuer à vivre ici ? »

La mère du lièvre, qui n’était bien sûre pas morte, laissa tomber un objet.

Le lièvre reprit son interrogatoire : « Mère, vous nous quittez. Avant de partir au pays des morts, qu’allez-vous nous laisser pour que nous soyons heureux sur cette terre ? »

Ainsi de suite, la mère du lièvre laissa choir peu à peu tout ce qui pouvait rendre heureux ses enfants.

L’hyène, bête qu’elle est, dit alors au lièvre :

— Après l’inhumation de ta mère, rejoins-moi à la maison, je vais tuer la mienne afin qu’elle me donne, à moi aussi, tout ce qu’il faut pour être heureuse.

— Va, je pourrai inhumer ma mère tout seul, renchérit le lièvre.

L’hyène n’en demandait pas plus et se précipita chez elle. Sans plus attendre, elle ramassa un pilon et assomma sa mère qui s’écroula sur le champ. Aussitôt elle fabriqua un brancard et enveloppa la dépouille de sa mère.

Dès que le lièvre arriva, ils partirent ensemble effectuer l’interrogatoire.

L’hyène commença : « Mère, vous nous quittez. Avant de partir au pays des morts, qu’allez-vous nous laisser pour que nous puissions continuer à vivre ici ? »

Rien ne se passa.

Elle continua : « Mère, vous nous quittez. Avant de partir au pays des morts, qu’allez-vous nous laisser pour que nous soyons heureux sur cette terre ? »

Toujours aucun geste. Désappointée, l’hyène s’en alla inhumer sa mère et revint avec beaucoup de tristesse.

Un jour de marché, le lièvre dit à sa mère :

— Mère, habille-toi et va au marché comme si tu arrivais du pays des morts.

Le lièvre courut alors chez l’hyène :

— Mon amie, allons au marché, peut-être nos mères y viendront-elles ?

Ensemble, ils prirent la route. Arrivés là, le lièvre scruta sous les kiosques à boissons et y aperçut sa mère. Il courut et l’embrassa très fort en lui souhaitant la bienvenue. Quant à l’hyène, elle scruta et attendit et vain. Le lièvre lui dit :

— Ma mère fut la première à mourir, c’est peut-être la raison pour laquelle elle est venue la première.

 

Moralité : « Le plus rusé est dans la poche du fou. »[3]

_____________

[1] Terme de français africain désignant couramment la concession formée de la cour elle-même autour de laquelle sont distribuées les cases et les dépendances.

[2] Brancard de branchage utilisé pour l’interrogation du cadavre comportant 3 branches longitudinales et 3 transversales pour un homme et 4 x 4 pour une femme.

[3] Il ne fait pas faire mauvais usage de son intelligence.


Chantefables

Les chantefables ont le même objet que les contes, mais permettent en plus à l'assistance de participer en chantant des refrains.

 

L’homme qui voulait épouser une femme sans scarifications

Durée : 03:07. © Patrick Kersalé 2017-2024.

Il était une fois un homme qui voulait épouser une femme sans scarification. Un chien, ayant appris la nouvelle, décida de se transformer en une telle créature. Le jeune homme la courtisa alors et l’épousa.

Un jour, le mari partit à la chasse et rapporta du gibier que sa femme prépara. Elle lui donna toute la viande et lui demanda de lui remettre les os afin qu’elle aille les jeter. Ainsi, elle partit en brousse, mais au lieu de jeter les os, elle se mit à les croquer.

 

Refrain

Le mariage, ce n’est pas difficile

Je prépare la viande pour vous

Vous la mangez

Et moi je vais jeter les os.

 

La femme insista : « Il ne faut pas laisser les os dans la maison car quelqu’un risquerait de se blesser. »

 

Refrain

Idem

 

Un jour, un vieil homme surprit la femme en train de manger les os. Aussitôt, il informa le mari : « Votre femme n’est pas une femme mais un chien déguisé en une belle femme. »

Le jeune homme se fâcha, pensant que le vieil homme voulait faire rompre son mariage. Mais ce dernier réfuta l’opposition et invita le jeune homme à venir se cacher dans un buisson et observer la scène.

Ainsi, le lendemain, le jeune homme partit à la chasse, rapporta un gibier que sa femme prépara, mangea la viande, remit les os comme à l’accoutumée, se leva et partit se cacher dans un buisson. Il vit alors son épouse arriver en chantant :

Refrain

Idem

 

Dès la chanson terminée, sa femme commença à manger les os. À la fin du repas, elle ramassa le récipient les ayant contenu et rentra à la maison. Lorsque le jeune homme revint à son tour, le vieux lui demanda : « Qu’as-tu vu ? »

Le jeune homme avoua alors la réalité des faits annoncés puis repartit à la chasse, rapportant un nouveau gibier que sa femme prépara. Celle-ci commença par mijoter la sauce puis confectionna le to. Alors, le jeune homme se saisit de son arc musical à bouche kɑ̃gɑnɩmɑ et joua la chanson de la femme :

 

Refrain

mm mm mm mm mm...

 

Celle-ci, surprise, lui demanda : « Où as-tu entendu cette chanson ? »

L’homme répondit : « C’est une chanson ancestrale de chez nous. »

La femme répliqua : « Cette chanson est notre tabou et nous ne devons pas la chanter lorsque l’on travaille ! »

Le mari continua cependant à jouer la chanson sur son arc à bouche :

 

Refrain

mm mm mm mm mm...

 

Alors, la femme commença à changer d’apparence. Au moment où sa tête redevint celle d’un chien, l’homme prit l’arc à bouche pour lapider l’animal, le frappa et l’instrument se transforma en queue de chien.

 

Moralité : C’est depuis ce jour que le chien a une queue.



Devinettes

Les devinettes sont la base même de l'éducation des enfants à l'environnement naturel et social. Elles permettent d'aiguiser leur discernement et de faire travailler leur mémoire. 

  • « Je suis parti à l’étranger. On m’a donné une natte mais je n’ai pas su déterminer lequel était le bon côté. Qu’est-ce que c’est ? » Le rayon des abeilles (qui, comme la natte, a deux côtés semblables)
  • « Les courtes femmes préparent de la bonne bière de sorgho. Qu’est-ce que c’est ? » Les abeilles. (Elle sont petites mais font du bon miel).
  • « Nous sommes allés en brousse. Qui t’a dit de venir raconter ce qui s’est passé ? » Le fusil. (Le chasseur et son fusil sont ici considérés comme deux personnes humaines. Quelqu’un a entendu la déflagration et est venu en demandant au chasseur ce qu’il avait tué).
  • « Mon père avait trois chiens. L’un est mort et les deux autres n’ont pas pu manger. Qui est-ce ? » Le foyer. (Les gan utilisent un foyer tripode en pierre ou en banco. Si l’un des pieds vient à manquer, on ne peut plus cuisiner).
  • « Le roi est toujours sur son cheval. Qu’est ce que c’est ? » Le toit du grenier.
  • « Un bébé avec lequel on ne peut s’amuser. Qu’est-ce que c’est ? » La jeune igname. (Lorsque la jeune pousse d’igname sort de terre, elle est très fragile et casse si on la touche).
  • « Un jeune enfant plein de sorcellerie. Qu’est-ce que c’est ? » Le piment.
  • « Un fil qui fait le tour du monde. Qu’est-ce que c’est ? » La mort. (Qui tue partout).
  • « Le lièvre de la nuit court sans cesse. Qu’est-ce que c’est ? » La rivière.
  • « Le chef de la cour est chauve. Qu’est-ce que c’est ? » Le tambour koto. (Le tambour koto est considéré comme une personne humaine car il peut informer d’un décès comme le ferait un chef de famille avec sa propre parole).
  • « Les dents blanches. Qu’est-ce que c’est ? » Les étoiles.
  • « J’ai enfermé mon bœuf. Une corne est sortie au dehors. Qu’est-ce que c’est ? » La fumée. (Qui sort de la case).
  • « Je suis allé accompagner ma fiancée et elle me suit. Qu’est-ce que c’est ? » La cendre. (Qui vole à tout vent).
  • « J’ai déposé des cauris au bord de la route en partant en voyage. À mon retour, ils n’y étaient plus. Qu’est-ce que c’est ? » Le crachat.
  • « J’ai cultivé un grand champ mais quand j’ai récolté cela tenait dans ma main. Qu’est-ce que c’est ? » La chevelure. (Le champ est ici la tête et la récolte les cheveux).
  • « Plusieurs femmes ont essayé de balayer la cour mais aucune n’y est parvenu. Une seule femme est venue et l’a balayé. Qu’est-ce que c’est ? » La lune. (Les nombreuses étoiles n’éclairent pas mais l’unique lune éclaire en reflétant la lumière du soleil).
  • « Ce matin j’ai salué ma belle-mère, elle ne m’a pas répondu. À midi, je l’ai saluée, elle m’a répondu. Qu’est-ce que c’est ? » Les feuilles mortes. (Le matin elles sont ramollies par la rosée et à midi elles sont sèches et craquent sous les pieds).
  • « Je vois mon père et ma mère arriver. Je ne sais lequel rencontrer. Qu’est-ce que c’est ? » Les noix de karité mûres et non mûres. (Au moment de la récolte, on ne peut distinguer, parmi celles qui tombent de l’arbre, celles qui sont mûres de celles qui ne le sont pas).
  • « Un petit garçon avec une grande culotte. Qu’est-ce que c’est ? » L’aiguille. (Lorsque l’on enfile une aiguille, le fil est plus long qu’elle).
  • « Le cadavre de la nuit s’interroge lui-même. Qu’est-ce que c’est ? » L’épis de sorgho. (L'épis de sorgho se balance au gré au vent comme le cadavre durant son interrogatoire. Voir Interrogatoire du cadavre).
  • « J’ai grillé mon mil et je l’ai semé. Il a poussé. Qu’est-ce que c’est ? » L’herbe. (Même après le passage du feu, l’herbe repousse).
  • « Approche… Qu’est-ce que c’est ? » Le tabouret. (Lorsque l’on est assis dessus, on l’approche en même temps que soi).
  • « Les dents blanches. Qu’est-ce que c’est ? » Les étoiles.
  • « Je suis arrivé dans un village où tous les habitants portent un bébé. Qu’est-ce que c’est ? » Le champ de maïs.

Énigmes

Les énigmes ont pour rôle de faire réfléchir et s'exprimer chacun selon un argumentaire personnel, sur un problème posé de manière originale et ludique.

 

La juste propriété

« Il était une fois, trois hommes qui effectuaient ensemble un voyage à pied : le premier avait un chien, le second du manioc emballé dans des feuilles et le troisième des arachides. Les trois hommes cheminaient ensemble. Ceux qui avaient les arachides et le manioc s'échangeaient leur nourriture, se régalant sans penser à celui qui avait le chien. Quand il eurent fini de manger, l'homme qui avaient les arachides jeta les coques en brousse. En tombant, la boîte contenant les coques fit un grand bruit qui attira l'attention du chien. L’animal s'enfonça aussitôt dans la brousse mais ne revint pas. Alors son maître partit à sa recherche. Quand il le retrouva, le chien se tenait près d’une énorme défense d’éléphant et se repaissait des restes du pachyderme. L'homme se chargea de l'ivoire et rejoignit ses compagnons.

L'un deux dit :

— C'est grâce à moi si ton chien a trouvé l'ivoire car c'est moi qui ait jeté les feuilles qui ont attiré son attention, nous devons partager l'ivoire entre nous deux.

L'autre homme déclara à son tour :

— C'est grâce à moi si tu as fini de manger tes arachides à cet endroit précis et que tu y as jeté les coques, donc nous devons partager l'ivoire à trois.

Ne pouvant trancher le litige, les trois hommes demandèrent que justice soit rendue par la cour royale. »

 

« Lequel des trois compagnons doit-il garder l'ivoire ? »


Proverbes et métaphores

Voici, classés par thèmes, des exemples de proverbes et de métaphores extraits de chants polyphoniques interprétés lors des dernières funérailles, du tok kpoko ou sur la meule.

 

De la peur des ennemis et de la sorcellerie

Ce thème est probablement celui qui a la plus grande fréquence dans les chants. Il traduit les difficultés de la vie villageoise où la promiscuité contribue à ce que chacun sache tout sur autrui et utilise ces informations pour nuire soit directement, soit par sorcellerie.

 

« Si tu connais un ennemi, fais-t’en un ami. » Pour éviter le courroux de quelqu’un, il faut savoir être stratège.

 

« Si l’homme et l’homme s’entendent, c’est parce qu’il y a à manger. » Tant que l’on partage sa subsistance, on a des amis, mais lorsqu’on ne la partage plus, on se fait des ennemis.

 

« Le lièvre est au bord de la route, si de nombreux chiens le voient, il n’est plus la peine qu’il se dise que Dieu est grand mais plutôt que son heure est arrivée. ». Cette métaphore animalière exprime le fait que plus les ennemis d’une personne seront nombreux, moins elle aura de chance de leur échapper.

 

« Abeille, si l’homme disait que l’abeille s'était égarée, l’abeille est revenue. » L’abeille symbolise l’ennemi. Si l’homme croit  que son ennemi a disparu, il se trompe. Un ennemi finit toujours par réapparaître.

 

De la peur de la mort

Le thème de la mort est très présent dans les chants.

 

« Quelle que soit votre souffrance, le crapaud du grand marigot vous en délivrera. » La mort libère l’homme de ses souffrances terrestres.

 

Bien conduire sa vie

« Si le mil a de bonnes racines, aucune mauvaise herbe ne pourra le tuer. » Qui naît avec la richesse et acquiert de solides connaissances, a de meilleures chances de réussir sa vie.

 

Ne pas nuire à autrui sans raison

« Il existe deux espèces d’éperviers dont une ne peut attraper que de petits poussins. » Mieux vaut confier un bien à un homme valeureux qui l’utilisera à bon escient plutôt qu’à un être peu scrupuleux qui n’en saura que faire de bon.

 

« Pourquoi tuer un étranger dont vous n’hériterez pas, pourquoi tuez le gecko que vous ne mangerez pas. » Ne tuez ni animal, ni personne sans raison.

 

« Celui qui fait le bien trouve le bonheur, celui qui fait le mal trouve le malheur. »

 

Conservation d'un secret

« Il ne faut jamais se concerter à plus de deux personnes. » Si un secret était dévoilé à une troisième personne, il y aurait toujours le doute sur celui qui l’a violé, alors qu’à deux c’est forcément l’autre si ce n’est pas soi-même.

 

Ouverture d'esprit

« Il faut sortir de sa maison pour voir et comprendre le monde, pour évoluer, constater qu’il y a des riches mais aussi des gens plus pauvres que soi. »

 

Éducation rustre

« Celui qui refuse les conseils de quelqu’un, défèque dans le marché ». Il est admis, dans la coutume, qu’un enfant têtu qui n’écoute pas les conseils, comprendra enfin après avoir été frappé et humilié sur la place du marché et après avoir déféqué sur le sol... »

 

Imiter les valeureux

« Il ne faut pas nuire à celui qui vaut mieux que soi mais plutôt suivre son exemple car il a souffert. »

 

Entraide

« Un seul doigt ne peut ramasser un caillou. » Une seule personne ne peut faire la guerre.

 

« La dent de Maafi n’est pas une dent à enlever. » Il ne faut pas essayer d’aider quelqu’un qui a un malheur qu’il mérite, car ce dernier risquerait de revenir sur celui qui aide.

 

Après le départ du roi Tʋkpɑ̃-Piré (7e roi des Gan) pour Bᴐbtɑ̃, les gens se sont dit : « Unissons-nous et entendons-nous afin de n’être pas trahis par un autre peuple. »

 

De la peur de Dieu

« Le Dieu d’aujourd’hui n’est pas bon ». Dieu a changé d’attitude. Auparavant, lorsque quelqu’un voulait faire le mal, il mettait en garde ; aujourd’hui, il ne dit dans l’instant mais juge ultérieurement.

 

De l'importance de Dieu

« L’homme ne réussit pas sans l’aide de Dieu ». Les Gan considèrent que Dieu est responsable des bons comme des mauvais événements de leur vie.

 

De la bonté divine

« Les termites n’ont pas de canari mais dorment dans une maison. » Les pauvres bénéficient de l’aide divine.

 

Du paraître

« Il y a beaucoup d’oiseaux dans la forêt et l’on dit que ma bouche (voix) est mélodieuse. » Tout le monde bavarde pour ne rien dire. Si quelqu’un dit des choses intelligentes, on le fera taire par jalousie.

 

De la nature humaine

« Si l’homme était Dieu, ce serait de mauvaise augure... » Il aurait en effet trop de pouvoir et voudrait régner sur toute chose.

 

Problèmes modernes : le SIDA

« Ceux qui reviennent de Bouna ont rapporté le SIDA ; les Abidjanais sont venus avec le SIDA ; si vous le voyez prier c’est qu’il a le SIDA... » Le SIDA est, dans tous les chants, liée à la débauche et au séjour dans les grandes villes.


Prières

Le sacrifice est l'acte le plus important que puisse faire un Gan pour honorer ses entités spirituelles. Le sacrifice peut être offert pour diverses raisons : compenser ce qui est prélevé dans la nature (arbre, feuillage, racine, mil, maïs, igname), sacraliser un objet ou, au contraire, désacraliser ce qui est sacré (céréale, objet de culte, grenier), obtenir une réponse à une question posée à une entité spirituelle (dans le cas où l'on sacrifie un poulet ou un poussin, s'il expire sur le dos la réponse est positive ou la requête acceptée, s'il meurt sur le ventre la réponse est négative ou la requête refusée, s'il s'éteint sur le côté, il faut reprendre ou abandonner la procédure car il réponse est nulle). La nature du sacrifice à effectuer est déterminée par divination. Il peut être unique ou multiple, de même nature ou de natures multiples. Sur le plan de la nature, on considère une hiérarchie qualitative des sacrifices, certains ayant cependant une certaine équivalence, ainsi du moins important au plus important : petit mil délayé dans de l'eau, bière de sorgho, cauris, monnaie (depuis l'introduction de cette valeur par le monde occidental), poussin, poule ou coq (avec notion de couleur, de présence ou non d'ergot s'il s'agit d'un coq, chèvre, mouton, chat, chien, bœuf, personne humaine (sacrifice autrefois nécessaire pour honorer le tambour et le siège royal, plus récemment remplacé par un âne puis finalement totalement aboli sous le règne du roi ɩkhʋmɛsɩsɑ.

Le sacrifice et l’incantation sacrificatoire qui le précède sont toujours conduits par au moins deux personnes : yeera (celui qui conduit l’incantation) et hɩ̃gɩ̃nɑ (celui qui suit). Dans le texte ci-après, les mots près de la marge sont prononcés par le conducteur et ceux en retrait par le suiveur. Si la phrase du premier comporte plusieurs mots, celui qui suit ne répète que le dernier mot ; si la phrase comporte un seul mot, celui-ci sera répété.

 

Prière sacrificielle

Les Gan croient (comme la plupart des peuples animistes d’Afrique de l’Ouest) en un dieu unique. Pour communiquer avec cette entité supérieure, ils disposent d’intermédiaires que les Gan eux-mêmes nomment, en français : esprit, génie, ancêtre, matérialisé ou non. La matérialisation peut être une statuette, une pierre ou un amas de cailloux, une poterie, des branchages… En Afrique occidentale francophone, ces représentations physiques sont dénommées “fétiches”.

Chez les Gan, le sacrifice et l’incantation qui le précède sont toujours conduits par au moins deux personnes : « celui qui conduit l’incantation » et « celui qui suit l’incantation ». Si la phrase comporte un seul mot, il est répété par le suiveur ; si elle en comporte plusieurs, seul le dernier est répété.

Le poulet a un double usage : simple offrande à l’entité que l’on souhaite honorer et/ou vecteur de la communication entre Dieu et les hommes. Il ne faut surtout pas mésestimer la valeur d’un poulet pour la plupart des Africains vivant en brousse, il représente une partie de son patrimoine, lequel s’élevant bien souvent à seulement quelques centaines d’euros.

 

Nous présentons ici une prière sacrificielle accompagnant un sacrifice recommandé par un devin. Il s'agissait d'un homme qui essayait de faire aboutir un projet mais n’y parvenait pas. Il décida alors de consulter le devin pour connaître la cause de son échec. Celui-ci lui conseilla, après avoir interrogé ses entités spirituelles, d’offrir en sacrifice un poulet à un esprit spécifié afin que celui-ci s’opposât à la cause de son échec. Dans certains cas, pour résoudre le même problème, la réponse aurait pu être plus directe, révélant plus ou moins clairement la (les) personne(s) ou l'entité spirituelle responsables. Cette prière est dédiée à un esprit mais elle pourrait à l’identique, hormis le nom de l'entité évoquée, l’être à un génie ou un ancêtre.

La prière est conduite par deux devins : en caractères droits celui qui conduit la prière, en caractères italiques, celui qui suit en répétant chaque mot ou la fin de la phrase.

 

Lieu & date : Village d’Obiré. Décembre 1999.

Durée : 03:05. © Patrick Kersalé 1999-2024.


 

La séquence pas-à-pas

00:00 - Situation géographique de l’événement.

00:29 - Trois hommes se sont associés pour ce sacrifice. Le commanditaire est celui qui tient le poulet. L’entité spirituelle est représentée par des branchages plantés en terre. Sur le sol, des cauris sont disposés en ligne. Des crânes d’animaux sacrifiés et des plumes de poulet sont accrochés aux branchages. Une prière introductive est accompagnée d’une offrande d’alcool blanc à l’entité spirituelle.

00:44 - L’entité spirituelle est éveillée à l’aide d’une clochette de fer kerige.

00:50 - « Dieu suprême, si j’appelle Dieu, j’appelle le père. J’ai appelé le père. J’appelle les ancêtres. Si j’appelle les ancêtres, j’appelle l’autel de la terre, j’appelle l’esprit[1]. J’ai pris des cauris pour aller consulter le panier de divination de hɛrkɛrɛ[2]. Dans le panier, tu as pris la lame (du couteau) et tu m’as donné le fourreau[3]. Colle les plumes du poulet[4]. Si tu vois ceux qui cherchent aujourd’hui à nuire à ma réputation, alors que j’ai essayé en vain de résoudre mes problèmes, si c’est seulement cela qui en est la cause, je ne vais pas plus discuter, prends ce poulet sur le dos. »

01:16 - Le sacrificateur égorge le poulet et le pose à terre. Il bat des ailes avant d’expirer. Il s’arrête tout d’abord sur le côté puis bat de nouveau des ailes avant d’expirer sur le côté. (Dieu a parlé à travers l’oiseau, symbole de l’innocence. Le commanditaire du sacrifice ne connaît donc pas la raison de son échec. Il va devoir continuer à investiguer en consultant de nouveau les entités spirituelles par l’intermédiaire du devin. Une offrande plus importante sera peut-être réclamée).

__________

[1] Celui que l’on invoque en ce moment.

[2] Sorte de panier tressé contenant les cauris, utilisé pour la divination, ici attribut de l’entité spirituelle hɛrkɛrɛ, dédié à la première épouse premier roi Gan.

[3] Métaphore : « la lame représente la vérité et le fourreau, ce qui cache cette vérité ».

[4] C.-à-d. « fait expirer le poulet sur le dos » ce qui signifie : obtenir la vérité. Si l’animal mourrait sur le ventre, c’est qu’il refuserait la requête.

 

Organisation de la prière

La prière est conduite par un meneur et un suiveur. Le premier prononce les paroles en caractères droits et le suiveur en caractères italiques.

 

« khɑyekire / wᴐnnɑ / nɑmɩyɩ / yɩ / yekire / yekire / mɩyɩ / mɩyɩ / siI / siI / mɩyɩsɑ / yɩsɑ / siI / siI / mɩyɩ / yɩ / khɑ̃gɩbɑ / khɑ̃gɩbɑ / nɑmɩyɩsɑ / yɩsɑ / khɑ̃gɩbɑ / khɑ̃gɩbɑ / mɩyɩ / yɩ / sɩrgɑ / sɩrgɑ / mɩyɩ / yɩ / mʋsɩ̃mɑ / sɩ̃mɑ / mɩkhoro / khoro / kheere / kheere / ɩ̃yoo / yó / hɛrkɛrɛ / hɛrkɛrɛ // wá / kpᴐmbɩbʋ / kpᴐmbɩ / mʋkhoro / khoro / biInɑ / biInɑ / yɛhɑ̃ɑmɩ / hɑ̃ɑmɩ / the'nɛ / the'nɛ / sũdoogɩrɑ / doogɩrɑ / mɑɑgɩ / mɑɑgɩ / yɛná / ná / khɑ'mʋnɩ / khɑ'mʋnɩ / mʋnyɑtᴐᴐwɑ' / tᴐᴐwɑ' / de / de / pɩ̃ɩnɑ / pɩ̃ɩnɑ / horo'ri / horo'ri / nánɑmɑ / nɑmɑ / ɩ̃khɑbɑ / khɑbɑ / mʋná / mʋná / bɑbu' / bu' / nyisige / nyisige / tɩrɑ / tɩrɑ / deeri / deeri / sɑ̃gɑ / sɑ̃gɑ / fɛɛrɑ / fɛɛrɑ // mʋ / kᴐ' / kᴐ' // mʋ / mɩɩnyɩnɑ / mɩɩnyɩnɑ / yɛɛ / yɛɛ - / kpũne / kpũne // ná / tɩrɛ / tɩrɛ / deeri / deeri / sɑ̃gɩrɑ / sɑ̃gɩrɑ // mɩ / thɩɩwɑ' / thɩɩwɑ' / ɑkhɛmɑ / khɛmɑ / sũminɑ / sũminɑ / pɑ̃ɑnᴐ » / kóko »

« Dieu / « suprême / si j’appelle / appelle / Dieu / Dieu / j’appelle / j’appelle / le père / père / j’ai appelé / appelé / le père / père / j’appelle / appelle / les ancêtres / ancêtres / si j’appelle / j’appelle / les ancêtres / ancêtres / j’appelle / appelle / l’autel de la terre / autel de la terre / j’appelle / appelle / l’autel de la terre / autel de la terre / j’appelle / appelle / l’esprit / esprit / j’ai pris / pris / des cauris / cauris / je suis allé / allé / dans le panier de la divination / le panier de la divination / pour / pour / dans le panier / panier / tu as pris (dedans) / pris / la lame (du couteau) / lame / et me donna / donna / le fourreau / fourreau / les plumes du poulet / plumes / coller les plumes du poulet / coller les plumes du poulet / si tu / si / tu dis / dis / tu n’as rien vu / rien vu / que / que / l’ennemi / ennemi / couru / couru / est arrivé / arrivé / il a dit / dit / tu / tu / auras / auras / un nom / nom / de ce qui a / qui a / fait / fait / la cause / cause / aujourd’hui / aujourd’hui / tu / tu / attrapes / attrapes / tes / tes / choses (problèmes) / choses / (marque le passé) / - / en vain / en vain / c’est / c’est / ce / ce / qui a fait / qui a fait / la cause / cause / je / je / ne bavarderai pas beaucoup / ne bavarderai pas beaucoup / on prend / prend / poulet / poulet / sur le dos » / le dos. »