Les confréries de chasseurs, piliers des sociétés traditionnelles en Afrique de l’Ouest, incarne un système de valeurs et de pratiques qui dépasse la simple chasse. À travers des récits, des chants et des danses, les chantres attachés aux confréries célèbrent les exploits individuels des chasseurs. Les éloges qui leur sont adressés, offrent un aperçu captivant de cette tradition, mêlant poésie, enseignement moral et spiritualité. Cette littérature orale, souvent empreinte de mysticisme, témoigne de la profondeur symbolique et de la richesse des rituels de ces confréries. GeoZik a réalisé ces enregistrements en 1996, en prémices du tournage du film “Les maîtres du nyama”.
Textes originaux : © Issa Diabaté. Traductions : © Bakari Barro. Photos © Patrick Kersalé 1996-2024. Dernière mise à jour : 4 décembre 2024.
SOMMAIRE
Les confréries de chasseurs sont présentes dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest où elles jouent un rôle culturel et spirituel central. Au Mali, considéré comme leur berceau, ces confréries incarnent un patrimoine riche lié à la chasse et à la médecine traditionnelle. Au Burkina Faso, particulièrement dans les régions comme le Kénédougou et le Comoé, les chasseurs donso perpétuent des rites initiatiques et protègent les communautés. En Côte d’Ivoire, on les trouve dans le nord et l’ouest, où elles restent influentes dans les domaines de la sécurité et des pratiques rituelles. En Guinée, elles participent également à la transmission des savoirs culturels et spirituels. Le Sénégal et des pays limitrophes comme le Libéria et la Sierra Leone abritent des traditions similaires, bien que sous des formes parfois légèrement différentes. Ces confréries transcendent la simple fonction de chasse, agissant aussi comme gardiennes de la morale, guérisseuses et chanteuses-poètesses, témoignant ainsi de l’interconnexion culturelle ouest-africaine.
Dans chaque village, un maître chasseur encadre la communauté, dont le rôle dépasse la simple chasse (au fusil ou au piège). Ces chasseurs assurent la sécurité des habitants, la protection des biens, la résolution des conflits et la lutte contre les menaces pesant sur l’homme. Experts en pharmacopée, ils soignent également les villageois grâce à leur connaissance des plantes médicinales.
Leur mission dépasse celle de pourvoyeurs de nourriture pour englober la préservation des ressources naturelles et le maintien des valeurs morales reconnues par la société Sénoufo. Organisés en une hiérarchie stricte, ils respectent un code d'honneur incarné par leur tenue traditionnelle et les devoirs qu'elle impose. Cependant, avec la raréfaction du grand gibier, ces confréries perdent progressivement leur influence, transformant la chasse en une activité secondaire pour les groupes encore actifs.
La tradition orale des chasseurs rattache toute corde produisant une note au donso n'gɔ́ni (litt. “corde des chasseurs”). Cet instrument trouve son origine mythologique dans le Ouassoulou (Mali) : « Un jour, le chasseur Mandé Mory était parti à la chasse. Il rencontra un génie qui jouait du n'gɔ́ni devant une grotte pour louanger les génies chasseurs. Ses notes enchantèrent tellement notre homme que celui-ci décida de s’emparer de l’instrument. Une lutte s’engagea alors entre les deux protagonistes et finalement, le chasseur réussit à tuer le génie et à lui subtiliser son instrument. Il constata alors que le n'gɔ́ni possédait 107 cordes. De retour chez lui, il le donna à l’un de ses frères chasseurs qui ne parvint à utiliser que 6 des 107 cordes. Ainsi naquit le donso n'gᴐni. »
Dans les chants, lorsque le barde veut parler du donso n'gᴐni, il remplace ce terme par dùnu (tambour) ou jùru (corde).
La musique des confréries de chasseurs est confiée à des bardes qui en assurent la transmission et la performance. Selon le contexte, les paroles peuvent être narratives, poétiques, ou atteindre une dimension mystique d’une grande intensité évocatrice. Les chants sont régulièrement ponctués par le mot nàámu, une interjection qui capte l’attention et encourage le chanteur à poursuivre.
Lors des performances, un chasseur qui se reconnaît dans le récit chanté doit danser, souvent en portant un masque cimier fabriqué à partir du crâne de l'animal chassé ou d'une sculpture en bois qui le représente. La danse devient alors une reconstitution dramatique de la chasse, où le chasseur peut alterner les rôles, mimant tour à tour le prédateur et sa proie. Un autre chasseur peut également être désigné pour incarner l’animal.
Les instruments accompagnant ces performances incluent le donso n'gɔ́ni (harpe-luth des chasseurs), un racleur tubulaire métallique nommé (garange en sénoufo ; cagayan en dioula), et parfois un sifflet en bois appelé file. Ce dernier sert à manifester son approbation ou à demander au chanteur de répéter un passage précis. En situation de chasse, le sifflet devient un outil de communication entre les chasseurs grâce à un système phonologique codifié. Ces pratiques musicales reflètent l’importance culturelle et symbolique de la chasse dans la communauté sénoufo, où musique, danse et récit s'entrelacent pour magnifier cet aspect fondamental de leur mode de vie.
Le village de Ouolonkoto (ou Wolonkoto) se situe à l'extrémité ouest du Burkina Faso, à proximité de la frontière avec le Mali, dans la province du Kénédougou, connue pour ses terres fertiles et ses fruits abondants. La région est caractérisée par une savane arbustive, propice à une agriculture traditionnelle et à la culture d’arbres fruitiers tels que les orangers, manguiers et anacardiers. Ouolonkoto est majoritairement habité par des Sénoufo Tagoua, un peuple en grande partie animiste, bien que l'on y trouve une minorité convertie à l'islam.
Les enregistrements
Les enregistrements ont été réalisés le 6 décembre 1996 dans le village de Diéri (et non de Ouolonkoto pour des raisons pratiques) par Patrick Kersalé, hors cadre
rituel. Ils ont été traduits par Bakari Barro* qui a respecté, autant que faire se peut, les tournures métaphoriques et les a annotées pour une meilleure compréhension.
Les musiciens
Premier donso n'gɔ́ni : Issa Diabaté ; second donso n'gɔ́ni : Massa Traoré ; garange : Seydou Traoré & Sirafa Traoré.
Remerciements
Merci aux membres de l’association Benkadi et en particulier à Nafalé Koné (Chef des chasseurs de la province du Kénédougou) et Ladji Madou Barro (Chef des chasseurs du village de Diéri).
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* Bakari Barro : né en 1965 à Orodara, Province du Kénédougou. Historien de formation, auteur d'un mémoire intitulé “L'Islam à Diéri, évolution et impact socio-économique des origines à nos jours ”. Professeur d’histoire-géographie des lycées et collèges, il effectue des recherches sur les cultures traditionnelles du Burkina Faso.
1. samá faga múgú : la poudre qui tue l’éléphant - Durée : 07:03
Refrain : « Remuez la poudre, la poudre qui tue l’éléphant dans le Tagouara[1]. »
Écoutez la poudre, la poudre qui tue l’éléphant dans le Tagouara.
Écoutez le tambour qui a peur de l’homme[2].
La mort ne prévient pas, elle met fin à l’homme et non à son nom.
Écoutez mon tambour, écoutez le bruit de la lutte de l’éléphant à l’unique défense.
Eh ! écoutez le tambour ! c’est le tambour de Tiéfing qui résonne devant vous.
Eh ! écoutez le tambour ! Moussa Koné, je joue votre tambour[3]. Quel travail[4] !
Eh ! écoutez le tambour ! Kadjéné !
Eh ! écoutez le tambour ! Siaka de Sérékéni[5] est un brave chasseur !
Eh ! écoutez le tambour ! Siaka Jàn[6].
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1. Région où vivent les Sénoufo Tagoua.
2. Le terme tambour qualifie ici le musicien lui-même, lequel est impressionné par le chasseur d’éléphant.
3. Littéralement « je chante votre éloge ».
4. Acclamation de sa carrière de chasseur.
5. Siaka est le chef des chasseurs du village de Sérékéni.
6. Litt. « le grand Siaka ».
2. ku don bólo : donne-moi la queue - Durée : 07:45
Refrain : « Donne-moi, donne-moi la queue. »
Eh ! nul n’est éternel ! nous sommes aux chasseurs[7].
Toute personne qui a choisi un chasseur pour gendre a traité avec un brave.
Les chasseurs[8] sont morts.
Eh ! le singe est entré dans l’obscurité[9]. Nul n’est éternel.
Nous en arrivons aux braves, des braves comme nous. J’interpelle le tueur d’hippopotame, Madou, le chasseur Turka Madou qui fit beaucoup de choses. Le jour où le court (de taille) Madou et l’hippopotame se rencontrèrent dans la rivière fut difficile. Il me jura un autre jour de me rapporter une queue d’animal et me demanda de le louanger. Il nous laissa en causerie et se rendit en brousse. Ah, un brave fâché ne fait plus de bien[10].
Le monde est bien fini pour celui qui meurt. Un désespéré ne peut voir le seuil de la porte, c’est souvent un problème d’enfant[11]. Certains meurent, d’autres naissent.
J’interpelle le chasseur Tiéfing du Burkina, Tiéfing de Dakoro[12]. Le jour où j’ai trouvé Tiéfing chez lui à Dakoro, je lui ai dit : « J’ai entendu parler de toi avant de te rechercher. Je n’entends jamais parler d’un chasseur sans le rechercher ». Je lui ai dit encore : « Vaillant chasseur, les chasseurs qui m’admirent sont nombreux mais, de nos jours, ceux qui m’épousent sont rares[13]. » Alors Tiéfing me maria à la viande[14]. Il me dit : « S’il plaît à Dieu et à son envoyé, tu ne mangeras pas de viande de volaille ici chez moi, quel que soit le nombre de jours où tu y resteras. » Je lui ai répondu : « Je ne mangerai pas de volaille car je n’ai pas de médicament contre la malaria, je ne mangerai pas de viande de bœuf car je n’ai pas de médicament contre les maux de dents et je ne suis pas non plus un pêcheur pour manger du poisson. »
Mais je vous dis que Tiéfing n’est pas homme à essayer. Chez Tiéfing, à chaque jour correspond une épaule[15]. Le nom d’un homme est lié à ses hauts faits. Un homme ne peut être renommé sans avoir accompli quelque chose d’important, de mémorable. Le nombre d’hommes qui ont accompli de tels hauts faits a diminué.
Je salue tous les chasseurs, les chasseurs du monde, ceux du Burkina.
Eh ! tue le gibier et donne-moi la queue.
Tue le lion et donne moi la queue.
Tiéfing, tue le gibier et donne la queue.
Tiéfing a tué le lion et m’a donné la queue.
Madou a tué l’hippopotame et m’a donné la queue.
Tuez le buffle et donnez-moi la queue.
Siaka s’est levé le matin pour aller en brousse.
Ah bon[16] ?
Le soir venu, il trouva un buffle qui s’amusait. Un seul coup de feu mit fin à ce jeu.
Une cuisse de ce buffle devint pour moi une sandale[17].
La peau de l’hippotrague devint pour moi une sandale…
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7. Litt. « nous sommes avec vous, pour vous ».
8. Sous-entendu les braves, les vieux chasseurs.
9. Métaphore de « on a fini de s'amuser, soyons sérieux ».
10. Signifie qu’un chasseur fâché tue tous les animaux passant à sa portée.
11. Un homme ne peut pleinement s’épanouir et être heureux s’il n’a pas eu d’enfant ou si sa progéniture n’a pas réalisé, sa vie durant, ce que son père aurait souhaité faire lui-même.
12. Village de la province de la Comoé.
13. Car ce musicien-chanteur est recherché et ses louanges se paient cher (viande, secrets initiatiques, gris-gris protecteurs…).
14. Tiéfing est un grand chasseur qui rapporte chaque jour du gibier. Aussi, le chanteur peut-il en manger autant qu’il le souhaite.
15. Sous-entendu « d’animal sauvage ».
16. Parole prononcée par le second chanteur.
17. Traduit la banalité du fait.
3. să dùnu kan : le son du tambour de la mort[18] - Durée : 10:59
Refrain 1 : « Le son du tambour de la mort. Eh, merci au tambour, Baba n’entends-tu pas le son te suivre ? »
Eh ! nul n’est éternel. Nous dirons beaucoup de choses et il s’en dira encore beaucoup après nous.
Madou Barro, n’as-tu pas entendu le tambour ? Je suis en train de parler de ton père. Le sa* dùnu kan a été chanté pour ton père et ton grand-père. Il y a des enfants qui héritent de leur père tout comme de leur grand-père. Il n’y a pas de problème à ce qu’un enfant ressemble à son père. Tu viens de Babou (père) qui fut chasseur. La chasse est pour toi un héritage paternel. Madou, n’as-tu pas entendu le son du tambour ? Toute femme ne peut pas mettre au monde un chasseur. Il n’est pas facile d’avoir un chasseur. On ne peut être chasseur et peureux. Un paresseux ne peut être un chasseur renommé. Un homme acculé ne peut faire le bien.
Quel chasseur puis-je interpeller ? J’interpelle Baba, l’étonnant chasseur de Diéri dont je connais l’éloge. N’est-ce pas que si un chasseur meurt, leur nombre a diminué ? Il n’y a plus de chasseurs de valeur[19]. Madou a rendu la brousse orpheline de père et de mère. On ne peut devenir un chasseur sans connaître la sorcellerie.
Eh ! n’avez-vous pas entendu le son du tambour ?
Eh ! je vous dis bonsoir.
Je salue Baba de Diéri qui n’est plus de ce monde. Il n’entend plus les paroles de ce monde mais celles de l’au-delà. À Baba, je dis que l’arbre de mon espoir est cassé.
Eh ! n’avez-vous pas entendu le son du tambour ? À qui est destinée cette chanson ? Laissez-moi les interpeller.
Eh, n’as-tu pas entendu le son du tambour ?
Le monde est sans fin.
N’as-tu pas entendu le son du tambour ?
Merci Tiéfing, n’entends-tu pas ?
Merci Naté Moussa[20], n’entends-tu pas ?
Merci Kadjéné, n’entends-tu pas ?
Merci Siaka Dembélé, n’entends-tu pas ?
Merci Ladji Madou, n’entends-tu pas ?
Le monde est sans fin.
Eh ! n’avez-vous pas entendu le son du tambour ?
Refrain 2 : « Fuite pitoyable[21]. »
Le gibier a fui.
Les antilopes ont fui.
Les hippotragues ont fui.
Les buffles ont fui.
Les éléphants ont fui.
Les lions ont fui.
Les reduncas ont fui.
Les oryctéropes ont fui.
Les cobes ont fui.
Les porc-épics ont fui.
Les phacochères ont fui…
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18. Chant pour les chasseurs défunts.
19. Phrase devant motiver les nouvelles générations de chasseurs à se surpasser.
20. Chef des chasseurs du Kénédougou, également connu sous d’autres noms : Nafalé Koné, Moussa Koné, Moussa Traoré.
21. Complainte sur le sort des animaux.
4. nàma fàga tu : la forêt aux hyènes - Durée : 10:36
Refrain : « J’entends le tambour. Le son qui annonce la mort du gibier de la forêt aux hyènes. »
Le son du tambour se fait entendre. Le nombre de chasseurs a diminué.
Eh ! quel chasseur puis-je interpeller ? J’interpelle Issouf Barro à Bobo. Un vaillant homme.
Eh, n’as-tu pas entendu le tambour ?
Il est important d’interpeller les braves.
J’interpelle Yaya le marabout et son frère Baki de Daoudasso à Diéri[22]. Il fit beaucoup de choses.
J’interpelle Daouda Bamba à Kongolikoro. Je lui dis que le crocodile a trois noms[23], tous dangereux. Le jour où je lui ai joué ces notes, il me demanda combien de jours je passerais avec lui. Je lui répondis une semaine. Il me promit que chaque jour aurait sa part de viande.
Eh ! écoutez le tambour. Remercions les chasseurs.
La première nuit, Daouda me donna neuf guibs harnachés, trois phacochères, un hippotrague. Je mangeai à ma faim. Il me maria à la viande. Le second fut Tiéfing de Dakoro. La forêt aux hyènes vient de Tiéfing[24]. Tous les chasseurs sont des chasseurs, mais tous ne savent pas où se trouve la forêt aux hyènes.
Eh ! bonsoir chasseurs. À qui pourrais-je également destiner cette chanson ?
J’interpelle le chasseur Siaka Jàn de Sérékéni. Cette chanson ne se chante pas parce qu’on éprouve de l’estime. Cette chanson ne se chante pas parce que l’on revient de la Mecque. Il faut que tu sois un véritable chasseur en pleine ascension.
N’entendez-vous pas le tambour ?
Eh ! cachez-vous dans la forêt aux hyènes, les hippotragues !
Eh ! cachez-vous dans la forêt aux hyènes, les éléphants !
Eh ! cachez-vous dans la forêt aux hyènes, les lions !
Eh ! cachez-vous dans la forêt aux hyènes, les hyènes !
Eh ! cachez-vous dans la forêt aux hyènes, les guibs harnachés !…
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22. Daoudasso, quartier du village de Diéri.
23. Trois noms correspondant simultanément à trois qualités du crocodile et trois vertus de ce chasseur : la peau dure pour se faufiler partout, la dent dure pour tuer tous les gibiers et de bons yeux pour voir hors et sous l’eau. La vertu de voir sous l’eau signifie que le chasseur est capable, par la divination, de savoir par avance quels animaux il pourra tuer et où il pourra les débusquer.
24. Découverte par lui et connue de lui seul.
5. n’tanani : « je ne flatte pas[25] » - Durée : 16:59
Refrain : « Brave chasseur, il n’est pas facile d’obtenir le n’tanani. »
Eh, ceci est une corde entre mes mains. Si tu entends le son de la corde, il se transformera[26].
Les chasseurs ont diminué. Les tueurs de lions ont diminué. Ceux qui luttent contre les phacochères n’existent plus. Ceux qui luttent contre le vieux bubale solitaire[27] n’existent plus.
Laissez-moi appeler les chasseurs, les tueurs de lions, appeler le chasseur Baba qui fit beaucoup de choses. Il ne se sépara pas des gibiers en bons termes. Il ne se sépara pas de l’éléphant en bons termes. Il ne se sépara pas du lion en bons termes. Il rendit orphelin de père et de mère les lions. Il rendit orphelin de père et de mère les hyènes. Il n’est plus de ce monde. La mort n’épargne pas parce que l’on possède quelque chose. La mort n’épargne pas parce que l’on a des connaissances. Un des piliers de Diéri est cassé. Un des espoirs a disparu. À qui pourrais-je me confier ? Eh ! les braves hommes sont morts !
Qui puis-je interpeller d’autre ? Logossina le Rouquin, mais il a aussi disparu. En voici un qui rendit orphelin les lions. En voici un qui rendit orphelin les buffles. En voici un qui rendit orphelin les hyènes. Depuis sa disparition, la chasse a diminué de valeur à Samorogouan. Il possédait également la sorcellerie. Il possédait également des connaissances. Il ne se sépara pas en bons termes avec les gibiers. Il ne se sépara pas en bons termes avec les lions et les hippopotames. Son maître s’appelait Fatogoma dans le Gouanadougou[28]. Il fit beaucoup de choses pour Logossina.
Ah Sirafa ! le son de ton racleur me plaît bien. Bis.
Chacun a son destin. On ne peut lutter contre un lion sans connaître les vertus des plantes[29]. On ne tue pas un éléphant sans connaître la magie. On ne tue pas la panthère sans gri-gri. On ne tue pas l’hyène sans savoir-faire.
Bonsoir chasseurs. Je salue tous les chasseurs qui tuent le lion. Certains sont en vie, d’autres ne le sont pas. Je suis rentré dans le village de Ouolonkoto. J’y ai choisi des chasseurs.
J’interpelle alors Naté Moussa Koné, modèle de bravoure. Il s’agit là d’un chasseur d’éléphant. Ouolonkoto est situé au milieu des grottes. On y trouvait beaucoup de lions qui n’épargnaient ni les chèvres, ni les bœufs. Mais qu’il plaise à Dieu ou pas, il n’y a plus de lions. Ils ont disparu grâce à l’arme, mais aussi grâce à Naté Moussa.
J’interpelle également Karim de Lébouroukoro à Ouolonkoto[30], bonsoir, qui tua deux lions le même jour. La battue de Samblara[31] fut difficile. Ce jour-là, les lions ont intercepté Karim entre la brousse et la maison. Ils voulaient manger Karim. Un coup de feu a suffi à Karim pour abattre trois lions. Les lions répliquèrent. Ils le poursuivirent et après un coup de feu deux autres lions tombèrent en même temps.
J’interpelle Coulibaly Madou à Ouolonkoto. Le tueur de crocodile. Il était également tueur de lion à Ouolonkoto. Il n’est plus de ce monde.
J’interpelle Kalifa qui s’est endormi avec ses bois[32] qui tuent, lui qui pouvait tuer par la simple parole. Avec lui, l’arbre d’espoir des jeunes chasseurs s’est cassé. Naté Moussa n’a plus de confident.
On ne peut devenir chasseur si on est peureux.
J’interpelle Moussa de Bankoro, qui une fois prit son arme à Samorogouan pour aller chasser les porcs-épics. Des lions apparurent[33]. Il y en avait quinze et ils voulaient manger Moussa Diakité. On n’a pas fini de parler des chasseurs. Qu’il plaise aux gens ou pas, les chasseurs sont des sorciers. Lorsque Moussa tira sur un porc-épic, les lions apparurent et l’entourèrent. Diakité Moussa possédait un fusil traditionnel qui s’appelait Logoduma[34]. Il tuait l’éléphant avec cette arme. Il tuait l’hippopotame avec cette arme. Il n’épargnait ni les cadavres, ni les vivants. Cette arme fit beaucoup de choses entre les mains de Moussa. Il tira sept coups de fusil sans le charger. Il tua sept bêtes. On chanta alors pour Moussa. On lui chanta le n’tanani. On lui chanta la musique des hommes.
Eh ! n’as-tu pas entendu le tambour ?
Eh ! celui qui n’a pas tué un hippotrague mâle ne peut bénéficier de cette chanson.
Eh ! celui qui n’a pas tué un guib mâle ne peut bénéficier de cette chanson.
Eh ! celui qui n’a pas tué un phacochère mâle ne peut bénéficier de cette chanson.
Eh ! celui qui n’a pas tué un lion mâle ne peut bénéficier de cette chanson.
Eh ! chasseurs, voilà le son du n’tanani.
Baba, il n’est pas facile d’obtenir le n’tanani.
Logossina, il n’est pas facile d’obtenir le n’tanani.
Siaka Dembélé, il n’est pas facile d’obtenir le n’tanani.
Tiéfing, il n’est pas facile d’obtenir le n’tanani.
Siaka Jàn, il n’est pas facile d’obtenir le n’tanani…
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25. Litt. « je ne cache pas mes mots. » Expression sénoufo.
26. Corde est ici l’équivalent de donso n'gᴐni ; la musique qui en sortira prendra un sens pour celui qui en comprendra le message.
27. koma.
28. Région du Mali.
29. Nécessité de l’initiation.
30. Karim, originaire de Lébouroukoro et habitant à Ouolonkoto
31. Région habitée par les Sambla, ethnie minoritaire du Burkina.
32. Qualifie les fusils traditionnels de mauvaise qualité qui parfois explosent.
33. Selon la croyance, les chasseurs sont capables de faire apparaître des animaux par magie. Aussi, Moussa Diakité a pensé que dans cet événement, un chasseur lui avait tendu un piège en faisant surgir quinze lions pour tester ses pouvoirs.
34. Litt. « Bon bois ».
6. Marasa - Durée : 10:34
Refrain : « Il n’est pas facile à danser, le marasa n’est pas facile à danser. »
Eh ! écoute mon tambour !
Les danseurs de marasa ont diminué. Il n’y a plus de danseurs de marasa, ils ont diminué. Tous les chasseurs ne peuvent danser avec le marasa[35] entre les mains. Il n’y a plus de chasseurs. Les chasseurs qui peuvent survivre à des faits périlleux ont diminué. Les danseurs de marasa ont diminué. Les tueurs d’éléphant ont diminué.
Quelle surprise[36] !
Eh homme ! je ne joue pas le marasa si tu ne sors pas vivant d’une bataille périlleuse. Eh homme ! je ne joue pas le marasa si tu ne te relèves pas d’une situation désespérée.
Eh, écoutez mon tambour ! Eh homme ! je ne joue le marasa que si tu sors indemne d’un accident périlleux. Eh homme ! je ne joue le marasa que si ton fusil se déchire[37] sept fois entre tes mains. Si le lion ne te laisse pas de trace, je ne te joue pas le marasa. Si le fusil ne te laisse pas de trace, je ne te joue pas le marasa. Si l’éléphant ne te laisse pas de trace, je ne te joue pas le marasa. Un chasseur est difficile à obtenir (de nos jours).
Eh ! écoute le tambour !
Un fusil qui se perd n’avait pas de raison d’être possédé. Marasa interpelle les braves comme Sabiran[38] qui n’est plus de ce monde. Les hippopotames l’ont vaincu. Marasa interpelle Bakaba qui n’est plus. La mort peut vaincre l’homme et non son nom. Le musicien Birama s’est couché.
Il n’est pas facile à danser : tue le lion.
Il n’est pas facile à danser : échappe à une situation périlleuse pour le danser.
Il n’est pas facile à danser : celui qui est mangé par un poisson, le marasa est chanté pour lui…
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35. Pouvoir particulier acquis par initiation. Il existe divers types de marasa protégeant contre divers périls.
36. Parole du second chanteur.
37. Explose.
38. Sa Boureïma : chasseur malien dont la barque s’est renversée au milieu des hippopotames.
7. sàma ɲi kelen : l’éléphant à l’unique défense - Durée : 08:31
Refrain : « Nous sommes en brousse, le vieux bubale solitaire est en brousse. »
Nous sommes en brousse, voilà l’éléphant à l’unique défense.
Eh propriétaire de fusil ! l’éléphant à l’unique défense se trouve en brousse.
Eh braves ! l’éléphant à l’unique défense se trouve en brousse.
Allons les braves, nous mesurer avec l’éléphant à l’unique défense.
Remplissons la forêt pour la bataille avec l’éléphant à l’unique défense.
Eh danseur de marasa ! l’éléphant à l’unique défense est dans la forêt.
Eh Tiéfing ! l’éléphant à l’unique défense est dans la forêt.
Eh Madou ! l’éléphant à l’unique défense est dans la forêt.
Eh Daouda ! l’éléphant à l’unique défense est dans la forêt.
Eh Kadjéné ! l’éléphant à l’unique défense est dans la forêt.
Prenez vos fusils pour vous mesurer avec l’éléphant à l’unique défense.
Tueur de guib harnaché, tu n’es pas forcément tueur d’éléphant à unique défense.
Tueur de buffle, tu n’es pas forcément tueur d’éléphant à unique défense.
Tueur de lion, tu n’es pas forcément tueur d’éléphant à unique défense.
Jeune chasseur peureux, tu ne peux prendre part à cette bataille car elle est difficile.