L'Asie du Sud-Est est riche de plusieurs types de vièles. Certaines, indigènes, monocordes, avec ou sans résonateur externe, archet sans crin, d'autres venues Chine, bicordes avec archet prisonnier, d'autres encore, acheminées du Moyen-Orient en suivant les routes de l'islam, tricordes avec archet libre. Une diversité que GeoZik a exploré sur le terrain dès 1991 depuis les forêts primaires jusqu'aux palais princiers. Ce PAE est un voyage qui cumule des milliers d'allers-retours… ceux de l'archet, bien entendu.
Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 1998-2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 15 septembre 2024.
SOMMAIRE
Vièle monocorde à archet sans crin
. … à résonateur buccal
. … à résonateur(s) externe(s)
Vièle bicorde à archet prisonnier
. tro u - Cambodge
. tro sau - Cambodge
. tro khmer - Cambodge
… à corps de bois
La vièle à résonateur buccal est particulièrement rare à travers le monde. Elle existe presque exclusivement chez les minorités ethniques de la cordillère annamitique. Avec le renouveau culturel prôné par le Viêt Nam, l'instrument devient “folklorique”, c'est-à-dire joué hors de son contexte initial. Au Cambodge et au Laos, il est en totale déshérence. Originellement instrument de cour d'amour, l'avancée de l'électrification des zones les pus reculées et le raz de marée des Smartphones ont eu tôt fait de changer les habitudes d'approche des prétendants. Sa technologie primitive — mais non moins géniale ! — implique un rapprochement de la source d'émission pour percevoir correctement le son et les mots dans lesquels les consonnes ont disparu et les voyelles sont présentes, mais sans voisement. La technique d'émission des sons avec la bouche s'apparente à celle de l'arc musical, à la différence près que les consonnes sont générées par frottement d'un archet sans crin sur une corde et non par un frappement de cette dernière..
La vièle à résonateur buccal des Tampuon du Cambodge est dénommée kani. Elle est ici fabriquée dans une pièce de bois (normalement de bambou) sur laquelle est tendue une unique corde métallique. Quatre touches thaᴐ — litt. sein — sont fixées avec de la résine végétale. L’archet est constitué d’une longue lamelle découpée dans l'entrenœud d'un chaume de bambou. De la base de la corde de jeu part une fine cordelette portant à son extrémité une rondelle de corne ou de plastique.
Pour jouer, l’instrumentiste emprisonne la base du manche entre deux orteils, place la rondelle derrière les dents, tend la ficelle et frotte la corde de jeu avec l’archet de bambou enduit de résine végétale. En modifiant le volume de la cavité buccale, il génère des voyelles non prononcées qui viennent se superposer à la mélodie produite par l’het. Cette technique de communication “à consonne unique” a conduit à dénommer cet instrument par le terme onomatopéique “mem” car la seule consonne qui puisse être produite est le “M”. N'est-ce pas cette même technique d'ouverture de la bouche utilisée dans leurs babillages par les petits enfants qui a donné, dans une grande partie des langues du monde, la première lettre du mot maman ? Khmer : ម៉ាក់ maek / Vietnamien : mẹ / Thaï : แม่ mæ̀ / Hindi : माँ maan / Chinois : 妈妈 māmā…
Il existait, voici quelques décennies encore, un dispositif d'amplification réalisé avec une section de chaume de bambou dont une ouverture était recouverte d'une peau. Un fil reliait la base de la corde au centre de cette membrane. Voir photos prises au Viêt Nam dans la galerie d'images.
Interprète : Cheunk Ngon (31 ans).
Lieu & date : Ethnie Tampuon. Prov. Ratanakiri. Vill. Laeun Chuong. 26 décembre 2010. Durée : 01:51. © Patrick Kersalé 2010-2024.
… à corps de bambou
Les Jörai du Viêt Nam jouent eux aussi la vièle à résonateur buccal. Ils la nomme kơni, une terminologie répandue dans la région dont la racine signife “corde”. Sous cette appellation, on trouve aussi parfois la cithare tubulaire bicorde. Le kơni est constitué d’un tube de bambou de 50 à 70 cm de longueur et 2 à 3 cm de diamètre sur lequel est tendue une unique corde métallique (autrefois de fibre d’ananas sauvage tressée et frottée de cire d’abeille). Six touches — réalisées avec de grosses épines récoltées sur le tronc des kapokiers, appelées tơsâu kơni (litt. “seins du kơni”) — sont fixées le long du manche avec de la résine végétale. L’archet ne possède pas de crin ; il est constitué d’un morceau de bambou de longueur variable d’environ 4 mm de largeur et 2 mm d’épaisseur. De la base de la corde de jeu part une ficelle, en fibre d’ananas sauvage, portant à son extrémité supérieure une rondelle de corne, de matière plastique ou d’aluminium.
À propos de la cour d’amour, un adage populaire Jörai dit : « Mieux vaut coupe-coupe brisé que kơni brisé, mieux vaut maison cassée que porche effondré ». Le coupe-coupe est l’instrument domestique du travail quotidien de l’époux-gendre ; le porche de la maison est l’endroit où les amoureux se rencontrent et se font la cour ; la maison est le foyer des gens sages et mariés. Le kơni est l’instrument idéal des rituels amoureux. Autrement dit, mieux vaut être amants que vivre en ménage, l’union libre est préférable au mariage... On dit aussi : « Brisez le coupe-coupe et le kơni n’en jouera que mieux ! »
Interprète : Alik. Lieu & date : Ethnie Jörai H’grong. Viêt Nam, province et ville de Pleiku. Mars 1997. Durée : 02:35. © Patrick Kersalé 1997-2024.
… à corps de bois
La vièle à résonateur(s) se décline sous deux formes : avec corps cylindrique en bambou ou corps plat en bois. Elle est nommée kaneu ou kaney. Les touches sont sculptées dans la structure du manche. Elle est muni d'une corde en acier (brin d'un câble de frein de vélo) et de deux résonateurs, l'un en calebasse, l'autre fait dans une section de bambou sur laquelle est tendu un film plastique. Du centre de cette membrane part un fil tendu, relié à la base de la corde de jeu. Ce dispositif ingénieux est acoustiquement si efficace qu'il relègue le résonateur en calebasse au rang d'objet décoratif ! La corde est frottée avec un archet en bambou, sans crin, enduit de résine végétale.
Lieu & date : Ethnie Tampuon. Prov. Ratanakiri. Vill. Banlung, Musée du lac Yaklom. Mars 2012. Durée : 04:07. © Patrick Kersalé 2012-2024.
La vièle kaneu est intégrée à un ensemble de douze gongs. Le résonateur additionnel, réalisé avec une boîte de conserve en fer, démontre toute son efficacité, face aux puissants gongs, pour conduire la mélodie. Cet ensemble se produit désormais lors de manifestations folkloriques pour répondre aux besoin de la politique culturelle du Cambodge. Un exemple typique de folklorisation sans fioritures.
… à corps de bambou
Interprète : Prenhs Kham (31 ans).
Lieu & date : Ethnie Tampuon. Prov. Ratanakiri. Vill. Leun Chuong. 26 décembre 2010. Durée : 04:33. © Patrick Kersalé 2010-2024.
L'instrument est fait d'un corps de bambou emmanché dans un pied en bois. Il possède deux résonateurs : l'un en calebasse, l'autre composé d'un cylindre métallique dont une extrémité est recouverte d'une membrane en plastique.
Au Cambodge, le terme générique tro ទ្រ désigne une vièle bicorde à archet prisonnier d'origine chinoise. On la rencontre en Chine, en Thaïlande, au Viêt Nam et au Cambodge. Dans ce dernier pays, elle se décline en quatre types : tro u ទ្រអ៊ូ, tro sau thom ទ្រសោធំ, tro sau touch ទ្រសោតូច et tro che / tro chhe ទ្រឆែ. On peut ajouté à cette liste le tro ou chamhieng ទ្រអ៊ូចំហៀង joué par les Chams.
Pour jouer, le musicien tient généralement l'instrument de la main gauche et l'archet avec la droite.
Le tro u (tro ou) ទ្រអ៊ូ est la vièle avec la tessiture la plus grave parmi tous les instruments précités. Sa caisse de résonance est fabriquée à partir d'une coque de noix de coco en forme de tête d'éléphant dont une extrémité, préalablement sectionnée à un quart de la longueur totale, est recouverte d'une peau de serpent, de veau ou d'une très fine planchette de bois de roluoh រលួស ou de spung. La noix de coco est souvent décorée de motifs gravés à l'arrière.
Le manche est fait dans un bois dur de type kranhung ក្រញុង ou neang nuon នាងនួន, pour la règle. Mais aujourd'hui, compte tenu des nouvelles réglementations et de la rareté de ces essences, les facteurs en utilisent d'autres. Le manche mesure 900 mm. L'extrémité supérieure, souvent incrustée de pièces d'os (autrefois d'ivoire), est plus épaisse et l'extrémité qui rejoint la caisse de résonance plus élancée. Le manche est muni de deux chevilles de bois. Le tro u a deux cordes de diamètre différent (autrefois en soie torsadée), aujourd'hui en métal, accordées à la quinte. La corde la plus grave est nommée ko et la plus aiguë ek (aek). Un chevalet, en bambou ou en bois, est placé au centre de la peau et supporte la tension des deux cordes. À environ 135 mm au-dessous des chevilles, une cordelette de coton ou de Nylon tend les deux cordes en direction du manche afin, d'une part, de faciliter le mouvement des doigts sur les cordes et, d'autre part, de conserver les cordes au même niveau supérieur. L'archet de 850 mm de long est lui aussi fabriqué dans un bois dur. Sa mèche est en fibre de palmier à sucre, en crin de cheval ou, plus couramment aujourd'hui, en fibre synthétique (Nylon). La mèche passe entre les deux cordes ; pour “accrocher” les cordes, elle est enduite de résine collectée sur certains arbres.
Le tro u est joué dans les ensembles mahori មហោរី et ayai អាយ៉ៃ, et peut être utilisé dans l'orchestre du théâtre bassac.
Le tro sau se décline en deux tailles : tro sau thom ទ្រសោធំ, le plus grand et par conséquent le plus grave, et le tro sau touch ទ្រសោតូច, le plus petit et aussi le plus aigu.
tro sau thom
Le tro sau thom ទ្រសោធំ est plus grand (et plus grave) que le tro sau touch ទ្រសោតូច. Autrefois, sa caisse de résonance était fabriquée dans une section de bambou ou de défense d'éléphant. Aujourd'hui, des essences de bois de type kranhung ក្រញុង ou neang nuon នាងនួន sont préférées. L'ivoire est remplacé par un moulage en résine dont la couleur rappelle ce matériau. Il n'existe pas de taille standard pour le tro sau thom, mais la caisse de résonance fait environ 12 cm de long et 9 cm de diamètre. La table d'harmonie est en peau de serpent.
Le manche est fait dans un bois dur, une fois encore de type kranhung ou neang nuon, pour la règle. Mais aujourd'hui, compte tenu des nouvelles réglementations et de la rareté de ces bois, les facteurs utilisent d'autres essences. Le manche mesure 80 cm. L'extrémité supérieure est plus épaisse et l'extrémité qui rejoint la caisse de résonance plus élancée. L'extrémité supérieure, souvent incrustée de pièces d'os (autrefois d'ivoire), est plus épaisse et l'extrémité qui rejoint la caisse de résonance plus élancée.
Comme toutes les vièles tro, le tro sau thom possède deux chevilles d'accord, l'une de 190 mm de long et l'autre de 180, généralement dans la même essence que le manche. Les chevilles sont incrustées d'os (autrefois d'ivoire).
L'archet, d'une longueur de 750 mm, est lui aussi fabriqué dans un bois dur. Sa mèche est en fibre de palmier à sucre, en crin de cheval ou, plus couramment aujourd'hui, en fibre synthétique (Nylon). La mèche passe entre les deux cordes ; pour “accrocher” les cordes, elle est enduite de résine collectée sur certains arbres.
Les cordes, autrefois en soie torsadée, sont désormais en métal, type câble de frein de moto. Un chevalet, fait de bambou, de bois dur, d'os (autrefois d'ivoire), soutient les deux cordes.
tro sau touch
Le tro sau touch ទ្រសោតូច est plus petit et plus aigu que le tro sau thom. Il possède les mêmes caractéristiques générales que ce dernier et est fabriqué dans les mêmes essences de bois. La caisse de résonance fait environ 115 mm cm de long et 80 mm de diamètre. Le manche mesure 760 mm de longueur et les chevilles respectivement 185 mm et 178 mm.
Le tro sau touch est utilisé dans l'orchestre moderne de mariage phleng kar ភ្លេងការ, dans les orchestre ayai អាយ៉ៃ, mahori មហោរី, ou encore arak អារក្ស. Il se joint parfois à l'orchestre chaiyam.
Lieu & date : Cambodge, Prov. Siem reap, temple de Bakong (groupe de Roluos). 2016. Durée : 03:51. © Patrick Kersalé 2016-2024.
Au temple de Bakong (groupe de Roluos, IXe s.), chaque jour se produit un ensemble de musiciens jouant des instruments traditionnels khmers à l'attention des touristes. Instruments de gauche à droite : tambour skor daey ស្គរដៃៃ, vièle tro u, vièle tro sau thom, cymbalettes chhing ឈិង. Ces musiciens sont des victimes de mines antipersonnel. Des vues aériennes et terrestres du temple viennent agrémenter cette vidéo. La joueuse de tambour skor daey est non-voyante. Elle lance parfois des nǐ hǎo 你好 à l'attention des touristes chinois, nombreux à l'époque de notre tournage afin qu'ils portent attention à eux et laissent une obole.
Le tro est parfois source d'inspiration pour les artistes peintres affectés à la décoration des bâtiments des monastères bouddhiques. Nous en offrons ici quelques exemples.
En Asie du Sud-Est, la vièle tricorde à pique se rencontre en Malaisie, en Thaïlande, au Cambodge et en Indonésie (Java).
Historiographie
Le tro khmer ទ្រខ្មែរ est une vièle à pique tricorde. Il est impossible de dater son apparition au Cambodge, mais il est probable que son introduction ait eu lieu après l'introduction du rebâb en Malaisie et à Sumatra, c'est-à-dire après le XVe siècle. L'influence due aux contacts des commerçants arabes et des indiens musulmans avec l'Extrême-Orient date de l'époque où les musulmans installent des comptoirs autour du détroit de Malacca et colonisent culturellement la Malaisie, Sumatra, puis Java. Des contacts commerciaux sont, semble-t-il, permanents entre les sultans malais et les rois khmers. Beaucoup plus tard, le Roi Ang Duong (1847-59) offrira au Sultan de Kelantan (Nord-Malaisie) des gongs toujours en usage au Palais Royal de Kota Bharu et dont une mention gravée dans leur bronze atteste l'origine.
Jean Moura, sans son ouvrage de 1883 “Le royaume du Cambodge” mentionne la vièle tricorde du Palais royal de Phnom Penh sous le règne du roi Norodom 1er. Sauf erreur de sa part, il est nommé tro et la vièle bicorde, tro chen, soit littéralement vièle chinoise. Nous pensons que l'appellation tro khmer est le résultat d'un élan nationaliste plus récent. Aujourd'hui, les Khmers considèrent le tro khmer comme l'un des plus anciens instruments apte à exprimer leur sensibilité. C'est peut-être de là que vient le nom de tro “khmer ” ; mais il y a aussi le fait que parmi les vièles du type du rebâb, seul le tro khmer possède trois cordes au lieu de deux comme le tro sau ce qui peut expliquer qu'on ait donné le qualificatif “khmer” à un instrument d'origine étrangère1.
Certains ethnomusicologues cambodgiens prétendent que cet instrument est visible dans les bas-reliefs du Bayon et de Banteay Chhmar. C'est ignorer la structure symbolique de l'orchestre de cette époque. Nous nous en sommes expliqués à travers notre article sur le racle angkorien.
La plus ancienne photographie de vièle à pique au Cambodge a été prise par le photographe français Émile Gsell au Palais royal de Phnom Penh vers 1871, sous le règne du roi Norodom 1er. Toutefois, il s'agit plus probablement non pas d'un tro khmer mais plutôt d'un saw sam sai ซอสามสาย fabriqué au Siam. En effet, ledit chapei de l'orchestre est un krajappi กระจับปี่ fabriqué au Siam (bien qu'appelé chapei ou chapi au Palais royal du Cambodge à cette époque).
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1. D'après "L'orchestre de mariage cambodgien et ses instruments", Jacques Brunet, 1968, in Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 66, 1979, p. 203-254.
Fabrication
Le tro khmer est constitué de trois éléments emboîtés :
3. Une dernière section en bois façonnée au tour (15 à 17 cm) sur laquelle vient s'emmancher la caisse de résonance rolie tro. Celle-ci est faite d'une noix de coco cueillie mûre, évidée puis coupée dans le sens de sa longueur sur environ un tiers de son épaisseur. La noix est choisie avec soin étant donné que la partie conservée doit posséder une forme triangulaire et présenter deux parties bombées dites “en forme de seins de femmes”. La surface extérieure est ensuite lissée puis enduite de vernis1.
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1. D'après "L'orchestre de mariage cambodgien et ses instruments", Jacques Brunet, 1968, in Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 66, 1979, p. 203-254.
On choisit, comme table d'harmonie, une peau de serpent spéciale, celle du serpent pramaoy damrei, sorte de python appelé serpent “trompe d'éléphant”. Cette peau a le mérite de ne pas se détendre aux variations de température. Autrefois, on la collait avec de la résine de anhchei, aujourd'hui, avec du cyanoacrylate (photo ci-contre). Un petit chevalet yang en demi cercle est taillé dans du bois tendre et strié de trois fines rayures servant de fixateur des cordes. Lorsque le tro khmer est utilisé, le chevalet est seulement maintenu par la tension des cordes ; il n'est pas collé, ce qui permet au musicien de l'enlever après usage afin d'éviter que l'appui permanent du chevalet au centre de la membrane ne la détende peu à peu.
Un coquillage, dah, appelé aussi parfois khchang hiech est collé sur la table d'harmonie et sert de sourdine ; il limite “l'acidité” du son. Certains musiciens utilisent aussi, soit une rondelle de cuir, soit une petite boule de résine et de pâte de riz mélangées. Une pique praluonh tro, d'une quinzaine de centimètres de même bois que le manche prolonge, la partie inférieure de l'instrument. Cette pique adhère au sol lorsque le musicien joue ; elle est ouvragée au tour dans le cas de vièles de qualité. Les cordes sont fixées à même sur la pique à l'aide d'un petit clou. Les trois cordes — kse ek , corde aiguë, kse kandal, corde médium, et kse ko, corde grave — sont accordées en quarte les unes par rapport aux autres ou alors en quinte pour les cordes grave et médium et en quarte pour les cordes médium et aiguë.
Les dimensions des diverses parties de l'instrument sont établies soit à partir d'étalons, soit à partir des dimensions corporelles : coudées, longueurs de main, de doigts, etc. L'accord de base se fait en prenant le pei ar comme modèle puisqu'il s'agit d'un instrument à notes fixes. L'archet chhak tro est de longueur variable, en fonction de la longueur du crin de cheval dont on peut disposer. Aujourd'hui, les facteurs remplacent le crin de cheval par des fibre de Nylon. On emploie le même bois que celui du tro pour en faire le manche. Sa longueur tourne autour de 35 à 40 cm. Le manche est sculpté en forme de queue de naga et terminé en motif de “tête de naga” où les crins sont rattachés. Ceux-ci ne sont pas tendus sur l'archet même. Leur tension est produite par les doigts de la main qui tient l'archet, ce qui permet de faire varier la tension sur les cordes de l'instrument.
Jeu
La technique du tro khmer est difficile : le musicien doit faire pivoter son instrument sur sa pique tandis que l'archet reste pratiquement toujours dans un même plan. Ainsi l'archet frotte la corde amenée sur son crin par rotation de l'instrument. Cette technique est aussi employée par les joueurs de rebâb malais et par les joueurs de kemanche. On reconnaît un bon joueur de tro khmer à sa capacité obtenir de l'instrument les sonorités douces et chaudes. En effet sa caisse de résonance est petite et l'usage de cordes métalliques produit des sonorités aigrelettes que seuls de très bons instrumentistes sont capables d'éviter. Jouer du tro khmer se dit kot tro (de kot : frotter)1.
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1. Cette section est une révision par Patrick Kersalé de "L'orchestre de mariage cambodgien et ses instruments" écrit en 1968 par Jacques Brunet. Dans : Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 66, 1979, p. 203-254.
Usage
Avant la Révolution khmère rouge, le tro khmer faisait partie de l'orchestre de mariage phleng kar (aujourd'hui dénommé phleng kar boran) et de l'orchestre phleng arak. Ces deux ensembles ne sont plus joués que par des musiciens souhaitant faire revivre le passé (à notre connaissance, un à Phnom Penh et un à Siem Reap en 2020).
Il faisait également partie de l'ensemble de musique de divertissement de la cour mahori tant au Cambodge qu'au Siam/Thaïlande. Lire notre article L'orchestre mahori de la cour d'Ayutthaya.
Orchestre ancien de musique de possession
Lieu & date : Cambodge, Siem Reap. 2018.
Durée : 02:45. © Patrick Kersalé 2018-2024.
Cet ancien orchestre de musique de possession phleng arak ភ្លេងអារក្ស (appelé phleng arak boran de nos jours, c'est-à-dire orchestre ancien de musique de possession arak) se compose des instruments suivants : luth chapei ចាប៉ី, hautbois pei ar ប៉ីអ, vièle tro khmer, cithare kse diev ខ្សែដៀវ, couple de tambours skor daey ស្គរដៃៃ. La plupart de ses membres appartiennent à la dernière famille détentrice de ce précieux savoir-faire à Siem Reap, la famille Maen.
Orchestre ancien de musique de mariage
Lieu & date : Cambodge, Siem Reap. 2018.
Durée : 06:26. © Patrick Kersalé 2018-2024.
Cet orchestre de mariage ancien phleng kar boran ភ្លេងការបុរាណ se compose des instruments suivants : luth chapei ចាប៉ី, hautbois pei ar ប៉ីអ, vièle tro khmer, cithare kse diev ខ្សែដៀវ, couple de tambours skor daey ស្គរដៃៃ. La plupart de ses membres appartiennent à la dernière famille détentrice de ce précieux savoir-faire à Siem Reap, la famille Maen. Ce tournage a été réalisé en novembre 2017 dans le cadre d'un enregistrement audio. La plupart de ses membres appartiennent à la dernière famille détentrice de ce précieux savoir-faire à Siem Reap, la famille Maen.