L'arc musical


Dans ce PAE, nous distinguons deux types d’arcs musicaux : ceux à résonateur buccal et ceux à résonateur physique. Les premiers sont communs chez les peuples d’Afrique subsaharienne. Les seconds sont plus rares et en voie de disparition, sauf dans certains cas où ils sont au contraire en expansion, comme le célèbre berimbau.

L’arc musical à résonateur buccal est le cordophone le plus rudimentaire d’entre tous : pas de résonateur physique, pas de chevilles d’accordage (hormis pour le chapareke des Tarahumaras). Il est, à cet égard, considéré comme l’ancêtre de tous les cordophones.

 

Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 2017-2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 19 octobre 2024.


SOMMAIRE


Historiographie

L’arc musical en Afrique subsaharienne

Organologie et technique de jeu

Burkina Faso

. L’arc kãkaramã des Lobi
. L’arc kɛ̃kermɑ des Dyan
. L’arc kɑ̃gɑnɩmɑ des Gan
. Fabrication d’un arc kɑ̃gɑnɩmɑ

Centrafrique - Pygmées Aka

. L’arc monocorde mbèlà

. L’arc bicorde è.ngbítí 

Mexique - Tarahumaras

. L’arc chapareke


Burkina Faso

. L’arc tiki berenge

Brésil

. L’arc berimbau


PISTES PÉDAGOGIQUES

  • L'œuf ou la poule. L'arc musical est-il né de l'arc de chasse ou bien l'arc de chasse est-il né de l'arc musical ? Argumentez.
  • Géographie. Situez, sur un planisphère, les pays où l'on trouve des arcs musicaux.
  • Travaux pratiques. Fabriquez un arc musical avec des matériaux de récupération. Jouez-le.
  • Allez plus loin avec les Éditions Lugdivine.

L’arc musical à résonateur buccal

Historiographie

L'arc musical étant fabriqués avec des matériaux périssables, on comprendra que son historiographie demeure limitée ! On sait toutefois, par des découvertes récentes, que l’arc de chasse existait au Paléolithique. Quant à faire un raccourci entre ce dernier et l’arc musical à résonateur buccal, nous ne nous y risquerons pas bien que l’hypothèse soit acceptable !

 

L’arc musical en Afrique subsaharienne

De nombreux peuples d’Afrique subsaharienne ont été, un jour, des chasseurs à l’arc et, pour certains d’entre eux, le demeurent au XXIe siècle. Cette région du monde nous permet donc de toucher du doigt la relation existant entre la chasse à l’arc et l’usage de l’arc musical. Ces deux types d’objets sont aujourd'hui des objets bien distincts, ce qui n’empêche pas d’imaginer que les chasseurs aient pu, autrefois, utiliser leur outil de chasse pour produire des sons.

GeoZik a réalisé, entre 1991 et 2005, plusieurs collectages audio et vidéo au Burkina Faso et en Centrafrique.

 

Organologie et technique de jeu

L’arc musical à résonateur buccal d’Afrique subsaharienne se compose d’une branche ou d’une liane bandée par une corde réalisée avec certaines lianes ou racines.

Le jeu nécessite l’action de plusieurs éléments dont une baguette souple ou articulée, un bâton-touche et, bien entendu, la cavité buccale. Il existe au moins trois manières d’exciter la corde :

  1. D’un seul côté avec une baguette souple.
  2. Des deux côtés dans un mouvement alternatif grâce à l’articulation de l’extrémité supérieure de la baguette.
  3. Avec les doigts dans le cas du chapareke des Tarahumaras.

 

Le bâton-touche sert à raccourcir la longueur vibrante de la corde ; le musicien peut alors produire deux notes : la fondamentale offerte par toute la longueur totale de la corde et une note plus aiguë. Quant à la bouche, elle amplifie certains harmoniques choisis parmi les deux sons de base de la corde. Plusieurs techniques et organes entrent en jeu : l'ouverture de la mâchoire, le subtil déplacement du voile du palais, le mouvement langue, le pharynx et le larynx.


Burkina Faso

 

L’arc musical kãkaramã des Lobi

Jusqu'au début des années 1960, l'arc musical kãkaramã (prononcer kankaraman) était traditionnellement joué du mois d'août à la fin octobre, période de disponibilité du maïs frais. Le soir, après le dîner, des villageois se déplaçaient de maison en maison pour y manger des maïs grillés tout en jouant. Aujourd'hui, les jeunes le jouent sans restriction ni de période ni d'occasion.

Arc avec triple frappement

La spécificité de cette pièce réside dans le fait que l'arc est joué par deux musiciens : le premier tient l'instrument avec une main et passe la corde devant la bouche tout en la frappant avec une tige de mil ; il fredonne également un chant. Le second frappe lui aussi la corde, mais avec deux tiges de mil.

Lieu & date : Burkina Faso. Prov. du Poni. Vill. de Gbomblora. 5 nov. 1994.

Interprètes : kãkaramã : Gouhité Herman Somé. Percussion : Filtounonté Etienne Da. Durée : 02:36. © Patrick Kersalé 1994-2024.


Arc avec double frappement et percussion

Comme dans la pièce précédente, l'arc est joué par deux musiciens en accompagnement d'un chant. Chaque musicien frappe la corde avec une tige de mil. Le musicien qui ne tient pas l'instrument accompagne avec une percussion constituée d'une plante à graines qu'il agite.

Lieu & date : Burkina Faso. Prov. du Poni. Vili. de Gbomblora. 5 nov. 1994.

Interprètes : kãkaramã : Gouhité Herman Somé. Percussion : Filtounonté Etienne Da. Durée : 02:31. © Patrick Kersalé 1994-2024.


Arc : jeu de questionnement

Il s'agit ici d'un jeu de devinettes dans lequel l'arc est joué en solo tandis qu'une seconde personne pose des questions au musicien. Enfants, jeunes gens ou jeunes filles l'utilisent pendant leurs jeux pour déclarer leur amour à une personne du sexe opposé. Le garçon jouant l'arc peut poser des questions à une jeune fille, mais cette dernière peut aussi interroger le joueur pour connaître, par exemple, le nom de sa bien-aimée. Par curiosité, le questionneur peut aussi demander combien de bœufs ou de moutons le prétendant offrira à sa belle-famille pour conclure le mariage !

Au cours du jeu, avant d'aller dormir, les jeunes mettent des épis de maïs frais sur des braises pour les manger en guise de dessert. Pendant ce temps, un jeune garçon ou une jeune fille demande au joueur d'interpréter le morceau lãnkar boré. Si celui-ci est d'accord, il joue et, il ou elle lui pose des questions, en se retenant de prononcer tout de suite le nom du père de la fille aimée ; ils ne le font que lorsqu'ils estiment le joueur essoufflé ou fatigué.

Dès que la question coïncide avec la réponse préparée par le joueur d'arc, celui-ci souffle sur la corde tout en continuant les frappements.

La pièce interprétée ici est en l'occurrence lãnkar boré, signifiant “fourche refuse”. On considère que le joueur est une fourche que le questionneur déplace de maison en maison, à la recherche de sa bien-aimée, pour la planter dans le logis de celle-ci.

Lieu & date : Burkina Faso. Prov. du Poni. Vili. de Gbomblora. 5 nov. 1994.

Interprètes : kãkaramã : Gouhité Herman Somé. Percussion : Filtounonté Etienne Da. Durée : 03:07. © Patrick Kersalé 1994-2024.


Traduction

« Fourche refuse ?

Je te prends et te fais tomber dans la maison de Omhethé.

Fourche refuse ?

Je te prends et te dirige vers la maison de Koguité.

Fourche refuse ?

Donc je te prends et te laisse tomber dans sa maison.

Fourche refuse ?

Je te sors de sa maison.

Fourche refuse ?

Je te dirige vers le village de Gbomblora.

Tu acceptes ?

Fourche refuse ?

Sa maison est là.

Fourche refuse ?

Je me dirige avec toi vers sa maison.

Et tu acceptes.

Je ne connais pas la mère de la fille.

Et Djobiri, la fille, est là ?

Et tu acceptes.

Combien de bœufs ? Un bœuf ?

Et tu refuses.

Deux bœufs ?

Et tu acceptes. »


L’arc musical kɛ̃kermɑ des Dyan

Chez les Dyan, l’arc musical kɛ̃kermɑ est joué par les célibataires au cours de la journée, pour leur propre plaisir et celui d’un auditoire restreint. Il est parfois accompagné d'une chanteuse connaissant le répertoire des chants funéraires interprété avec l'arc. L’arc musical ne doit pas être joué par un homme non célibataire car des esprits viendraient danser et chasseraient sa bien-aimée.

Dans cette région du Burkina Faso, les Lobi, les Birifor, les Dagari, les Gan (entre autres) jouent l’arc musical. Le nom de l'instrument est d'ailleurs constitué de la même racine.

 

Thème de cette pièce : « Une femme digne fait de la bonne cuisine. Une femme indigne ne peut pas faire de la bonne cuisine et sera détestée de tous.

Lieu & date : Village de Bonfesso. Dyan. Burkina Faso. Janvier 2000.

Durée : 01:38. © Patrick Kersalé 2000-2024.

Sami Palm joue dans l'espace feutré de sa case. Il alterne ici le chant harmonique et le chant laryngé. Dans le premier cas, l'action du larynx est remplacée par la frappe de la corde. On pourrait dire, sous forme de raccourci, que la frappe de la corde correspond aux consonnes et le jeu buccal aux voyelles.


L’arc musical kɑ̃gɑnɩmɑ des Gan

L’arc musical kɑ̃gɑnɩmɑ est constitué d'une baguette de bois cintrée (kɑ̃gɑnɩmɑ sᴐᴐsike) par une corde (kɑ̃gɑnɩmɑ wɔ̃nnɑ) réalisée avec la racine d’une plante épineuse nommée localement kɑ̃gõpɑ̃, dont on brûle modérément l'enveloppe externe afin de l’enlever. (Voir vidéo “Fabrication d'un arc musical kɑ̃gɑnɩmɑ” ci-après).

La corde est frappée avec une tige de mil kɑ̃gɑnɩmɑ bᴐ'khɑ̃gɩrɑ. Le bâton-touche est appelé kɑ̃gɑnɩmɑ bᴐ'tɑɑ'rɑ.

L'arc musical des Gan est jouée pour le divertissement individuel, du cercle familial et de voisinage.

 

Jeu simple

Thème : « Un jour, un jeune homme avait voulu courtiser une princesse se trouvant à l'étranger. Les parents de celle-ci dirent au jeune homme qu'il ne pouvait la courtiser puisqu’elle était attachée à la famille royale, mais qu’il pouvait toutefois demander l'accord du roi. Le jeune homme répondit qu’il se moquait du roi et voulait épouser la jeune fille. Revenu au village, il fut condamné pour ces mauvaises paroles et ses actes délictueux. »

Lieu & date : Opire. 10 février 1996. Interprète : Sibiri Farma. 

Durée : 02:01. © Patrick Kersalé 1996-2024. 


Jeu et chant

L'interprète alterne le jeu de l'arc musical et le chant.

 

Thème du chant : « Homme célibataire, si tu fais la cour à une fille et qu'elle refuse tes avances, va préparer des haricots et mange-les. »

 

Moralité : Un célibataire cherche une femme qui pourra lui préparer de la bouillie de mil (to), mais comme il a échoué dans sa tentative de séduction, il devra manger des haricots dont la préparation est simple et rapide !

 

Lieu & date : Opire. 10 février 1996. Interprète : Sibiri Farma. 

Durée : 02:24. © Patrick Kersalé 1996-2024. 


Jeu de cache-cache

On prend un bracelet et on le donne a quelqu'un qui doit le cacher. On dit alors : « J'ai égaré ma femme (symbolisée par le bracelet) et suis à sa recherche. » Le joueur de kɑ̃gɑnɩmɑ guide celui qui cherche le bracelet en soufflant sur la corde lorsque ce dernier s’approche de la cache.

 

Thème du chant : Un pauvre homme avait perdu sa femme car elle était partie se cacher chez quelqu’un. À chaque fois qu'il passait dans un village pour demander si on l’avait vue, il se faisait rabrouer car il était pauvre.

 

Moralité : Si l’homme avait été riche, on lui aurait tout de suite dit où elle se trouvait, même s'il n’avait rien demandé. Le pauvre a toujours tort.

 

Lieu & date : Opire. Décembre 1999. Interprète : Akouna Farma. 

Durée : 01:00. © Patrick Kersalé 1999-2024.


Fabrication d'un arc musical kɑ̃gɑnɩmɑ

Akouna Farma, célèbre musicien de l’ethnie Gan nous offre ici, en plus de la fabrication et du jeu d’un arc musical, une formidable leçon de vie. Atteint de cécité depuis sa plus tendre enfance, il part seul en brousse chercher les plantes dont il a besoin pour la fabrication. Lors de ce tournage, il n’a bénéficié d’aucune aide de notre part alors que nous le suivions avec notre caméra. Ainsi en avait-il été décidé avec lui.


Lieu & date :  Burkina Faso, village d’Obiré. Janvier 2003.

Durée : 04:01. © Patrick Kersalé 2003-2024.

Pour approfondir…



République centrafricaine - Pygmées Aka

Les Pygmées Aka vivent dans la grande sylve équatoriale du centre de l'Afrique s'étendant sur la République centrafricaine, la République du Congo, le Cameroun et le République Démocratique du Congo. GeoZik a effectué une mission de collectages sonores en mars 1991 en République centrafricaine, dans des campements situés entre le sud de la rivière Lobaye et la frontière des deux Congo.

Les Pygmées ont un mode de vie semi-nomade, tirant leur subsistance de la cueillette, de la chasse et de la pêche. Ils ne connaissent pas le travail du fer et ne travaillent que rarement la pierre du fait de sa rareté d'une part et de l'apport de métaux par la civilisation moderne d'autre part.

Pour les Aka, tout est prétexte à chanter et danser : rituel de départ ou de retour de la chasse, rituel précédant la collecte du miel, funérailles, initiation, réjouissances, endormissement d'un enfant... Ils pratiquent un chant polyphonique complexe auquel ils s'initient dès le plus jeune âge. Au cours des fêtes collectives, le chant et la danse sont indissociables. Ils jouent également un certain nombre d'instruments de musique qui leur sont culturellement propres ou qu'ils ont intégrés au contact des villageois, les "Grands noirs".

Les Pygmées Aka possèdent deux types d’arc musicaux : l’un monocorde et l’autre bicorde.

 


L’arc monocorde mbèlà

Durée : 01:18. © Sorel Eta. 2024.

L'arc monocorde mbèlà est constitué d'une grosse liane recourbée, entre les extrémités de laquelle est tendue une large corde de rotin. L’extrémité de la baguette est articulée ; pour réaliser cette articulation, on assoupli le matériaux à quelques centimètres de l’extrémité en la battant. Le nature fibreuse du matériau empêche qu’il ne se casse.

Selon Sorel Eta, le jeu de l’arc musical permet de pousser les animaux vers les pièges.


L’arc bicorde è.ngbítí

L'arc bicorde è.ngbítí est spécifique aux Pygmées. Les Grands Noirs avec lesquels ils entretiennent des relations économiques ne le jouent pas. Il est, de par sa technologie, un instrument éphémère dont l’usage n’excède pas la durée de jeu direct qui suivra sa fabrication. 

Il est constitué d'une petite liane ou branchette souple d'un centimètre de diamètre. La double corde est réalisée grâce à une seule fibre végétale accrochée en trois points de l'arc. Le premier segment relie les deux extrémités de l'arc et le second l'une des extrémités approximativement au centre du corps de l'instrument.

L'è.ngbítí , joué exclusivement par les femmes, est peu sonore car ces cordes sont frêles et l'on utilise pas la bouche comme résonateur. Les deux cordes sont jouées directement avec les doigts et la musicienne se sert de son menton pour raccourcir artificiellement la longueur de la corde supérieure pendant le jeu, ainsi que le ferait un guitariste avec les doigts sur le manche de son instrument. La base de l'arc est posée sur un récipient en aluminium renversé et reposant sur le sol. La caisse de résonance ainsi constituée est d'une remarquable efficacité. Autrefois, seule une large feuille étaient utilisée pour renvoyer le son à la musicienne.

Lieu & date : Centrafrique. Région Lobaye. Mars 1991.

Pièce 1, durée : 01:52. © Patrick Kersalé 1991-2024.

Pièce 2, durée : 01:50. © Patrick Kersalé 1991-2024.


Nous vous offrons les deux seules mélodies de l'arc è.ngbítí enregistrées lors de notre mission chez les Pygmées Aka en 1991.


Pour en savoir plus sur l’arc è.ngbítí, téléchargez ce .pdf

Télécharger
DEHOUX Vincent, GUILLAUME Henri. Chasse, sexualité et musique. Un arc musical des Pygmées Aka.
arc_musical_engbiti_pymees.pdf
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Mexique - Tarahumaras

L’arc chapareke des Tarahumaras

Les Indiens Tarahumaras sont des Amérindiens vivant au nord-ouest du Mexique, dans les montagnes qui portent leur nom. Aujourd’hui, ils sont environ 50 000. Les Blancs les appellent Tarahumara, mais ils se nomment nous-mêmes Rarámuri, c’est-à-dire "les coureurs à pied" ou encore "ceux qui courent". Ils sont très résistants et capables de parcourir, en marchant ou en courant, de très grandes distances. L’exemple le plus remarquable est celui de l’un des leurs, Andy Payne, qui parcourut en 1928, 5 507 kilomètres en 84 jours ! Hormis cette performance hors du commun, ils peuvent aisément parcourir plus de cent kilomètres par jour durant une semaine.

La fiesta (fête) est au centre de leur vie. Ils vivent pour danser et l’on pourrait même affirmer qu’ils dansent pour vivre. Le cycle de leur vie pourrait se résumer ainsi : « Pour vivre, les Tarahumaras ont besoin du maïs, le maïs a besoin de la pluie et de la faveur de Dieu, la pluie et Dieu ont besoin que l’on danse, les danseurs ont besoin du tesgüino (boisson de maïs fermentée et légèrement alcoolisée, consommée en grandes quantités au cours de toutes les fêtes tarahumaras)... » 

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Depuis la conquête espagnole, les Tarahumaras ont été évangélisés par les pères Jésuites. Aujourd’hui comme hier, l'expression de leur religion passe par la danse, elle-même intimement liée à la pratique musicale. La danse peut être autant une requête adressée à Dieu qu’une action de grâce, par exemple, demander la pluie pour une bonne récolte ou le remercier pour cette même raison.

Voici une légende qui raconte pourquoi les Tarahumaras dansent : « C'est le commandement de Dieu que l'on danse. Puisque nous croyons qu'il y a un Dieu au paradis, alors nous devons danser dans ce monde ci. C'est le commandement que Dieu fit quand il créa le monde. C’est ainsi que l'on demande pardon. Les gens qui vivaient autrefois ne dansaient pas, raconte-t-on. Ils se mangeaient entre eux. A cause de cela, ils ne vivaient pas très longtemps. Un homme vécut seulement jusqu’à l’âge de trois ans et Dieu détruisit le monde très rapidement. L'eau envahit tout. Elle était chaude et les rochers bouillants. Puis l'eau chaude est repartie. Les animaux marchaient sur l'eau : chiens, cerfs, lapins, ânes, chevaux… 


Quand le niveau de l'eau baissa un peu, les animaux gagnèrent les montagnes. Lorsque l'eau commença à s'évaporer, ils en redescendirent. C'est pour cela que par endroit, là où se trouvent des rochers plats, on peut voir des empreintes. Certaines d’entre elles ressemblent à celles des Tarahumaras. C'était comme cela, autrefois. »

 

Description

Le chapareke, chapareque ou chapahuela a la particularité de posséder deux ou trois cordes métalliques accordées par quartes grâce à des chevilles. Il serait originaire de la région de Chihuahua au Mexique. Contrairement à l’arc africain, la corde ne tend pas l’arc ; le matériau constituant le corps de l’instrument est lui-même naturellement cintré. Il est fabriqué dans une tige d’agave déjà sèche appelée localement quiote.

 


Jeu

Pour jouer, le musicien place l’extrémité de l’arc devant la bouche, là où s’accrochent les cordes et gratte ces dernières avec un ou deux doigts ; la modification du volume de la cavité buccale permet l’émission de sons harmoniques de différentes hauteurs et, par conséquent, un jeu mélodique. L’utilisation de cordes métalliques permet de créer une résonance plus longue qu’avec les cordes végétales. Par ailleurs, l’accord des cordes à la quarte crée une richesse harmonique impossible à obtenir avec une corde unique.

 

Usage

Le chapareke était autrefois joué lors des cérémonies de yúmari au cours desquelles les Tarahumaras remerçiaient le Soleil (Dieu le Père pour les Indiens christianisés), la Lune (Jésus, le Fils) et l’Étoile du matin (le Saint-Esprit). Le chapareke peut donc être considéré comme la survivance d’un lien culturel entre la musique préhispanique et la musique apportée par les Espagnols au XVIe siècle.

Si le répertoire de danses matachines est interprété sur cet instrument, le faible volume sonore de l'instrument ne permet pas de faire danser. Le chapareke est un instrument marginal dans la tradition musicale des Tarahumaras ; il est utilisé pour le plaisir du musicien ou d'un cercle restreint de personnes.

 

À propos des danses

Le tutuguri est une danse préhispanique christianisée conduite par un chaman sawe-ame, au son d’un hochet à percuteurs internes sáuraka qui réalise un nombre convenu d’allers-retours dans l’aire rectangulaire de danse ; dans ce rectangle, se trouvent des croix revêtues de tissus blanc ou coloré auxquelles seront suspendues les sáuraka après la danse.

Le yúmari est la version festive du tutuguri dans lequel participent des hommes et des femmes conduits par le maître de cérémonie sawe-ame. C’est alors le jeu de spirales, d'évitements et de croisements ; les hommes forment une spirale, les femmes vont en sens inverse, et le sawe-ame s’amuse tout à coup à changer le sens, ce qui amuse tout le monde.

Parmi les danses pratiquées par les Tarahumaras, il y en a une qui est dansée plusieurs fois par an : le matachín (plur. matachines). Ce terme, désigne aussi le danseur ; il dérive du mot espagnol matar (tuer) ou de l’italien matta (bouffon). Une autre théorie moins populaire, lui donnerait une origine maure en l’associant au mot arabe mutawajjihin (masque). Cette danse guerrière d'origine ancienne, devint très populaire en Europe entre les XVIe et XVIIIe siècles. Elle est encore exécutée aujourd’hui en Europe méridionale, ainsi que dans les zones hispanophones des USA et au Mexique. Elle a été apportée au Mexique par les Espagnols au moment de la conquête du Nouveau Monde. Elle a permis aux missionnaires Jésuites d’évangéliser les Tarahumaras tout en préservant leurs croyances ancestrales.

 

 


Lieu & date : Mexique. Sierra de Chihuahua. Juillet 2016.

Interprète : Don Antonio Camilo.

Durée : 00:28. © Xésar Tena 2016-2024.


Pour approfondir…

Parole d'ancêtre Tarahumara



L’arc musical à résonateur physique

Burkina Faso - Gan

L'arc tiki bɛrɛ̃gɛ

Kobina Farma. © Patrick Kersalé 2003-2024.
Kobina Farma. © Patrick Kersalé 2003-2024.

Les jeux musicaux et dansés représentent une part importante de la socialisation des individus dans les sociétés traditionnelles à travers le monde. Les enfants gan fabriquent et jouent un arc à résonateur physique monocorde (cithare), le tiki bɛrɛ̃gɛ, dont la caisse de résonance est composée d'une boîte de conserve — progrès oblige — qui remplace l'antique calebasse…

 

Description

L'arc tiki bɛrɛ̃gɛ est constituée d’un manche de bois arqué (simple branche) dont une extrémité est introduite et bloquée à l’intérieur d’une boîte de conserve (autrefois une calebasse) préalablement percée. Un fil d’acier (brin de câble de vélo) relie l’extrémité de l'arc et le centre du résonateur ; la corde est maintenue en tension par le cintre de l’arc.

 

Jeu

On joue seul ou à deux. Dans le premier cas, la corde est grattée dans un mouvement alternatif avec une petite baguette souple ou le doigt, tandis que l'autre main fait varier la hauteur de la note en modifiant la tension de la corde, soit par une action sur le manche, soit en appliquant un petit morceau de bois sur la corde à l'opposé de la caisse de résonance. Dans le second cas, un joueur frappe la corde avec deux tiges de mil tandis que l’autre modifie la hauteur de la note par l’un (ou les deux) des procédés décrits précédemment. Dans les deux cas, l'instrument est posé à terre et maintenu avec le pied.

 

Usage

Joué par les enfants comme passe-temps.

 

Légende

Il était une fois, un homme qui avait un chien très méchant auquel il avait coupé une oreille. Alors ce dernier pleurait toujours sur les tas d’ordures où il cherchait sa nourriture. Les enfants utilisent aujourd’hui cette image du chien des ordures qui n’avait qu’une seule oreille comme une moquerie. Lorsque l’on veut se moquer de quelqu’un qui fait une erreur, on lui dit qu’il est un chien des ordures. Le terme tiki bɛrɛ̃gɛ désigne à la fois l’instrument, la musique et la symbolisation de cette moquerie.

 

Lieu & date : Opire. 18 décembre 1999.

Durée : 01:32. © Patrick Kersalé 1999-2024.

Un bâton flexible coupé dans la brousse, une boîte de conserve, un brin d'acier extrait d'un câble de vélo et l'Opinel du vidéaste… En quelques minutes naît un arc à résonateur physique tiki bɛrɛ̃gɛ.

Lieu & date : Opire. 18 décembre 1999.

Durée : 00:35. © Patrick Kersalé 1999-2024.

Il existe une seule pièce musicale jouée au tiki bɛrɛ̃gɛ. C'est une simulation linguistique d’une tirade en langue agni (groupe des langues akan) dont la traduction est la suivante : « J’ai mangé de la banane, mon ventre n’est pas plein. J’ai mangé du taro pour que mon ventre soit plein ». Ici, l’instrument est joué en grattant la corde avec le doigt et en modifiant la hauteur de la note émise par action sur la tension de la corde.

Lieu & date : Opire. 18 décembre 1999.

Durée : 00:21. © Patrick Kersalé 1999-2024.

Même pièce que celle jouée au doigt mais interprétée par deux musiciens. L’un frappe la corde avec deux baguettes tandis que l’autre y applique un petit bâton à l’opposé de la caisse de résonance tout en modifiant la tension par action sur le manche.



Brésil

L’arc berimbau

Le berimbau est un arc musical à résonateur en calebasse principalement joué au Brésil et originaire d'Afrique subsaharienne. Il accompagne, tant au Brésil que dans le monde occidental, la capoeira.

 

Description

Le berimbau dénommé berimbau de barriga (berimbau du ventre) est le type joué pour accompagner la capoeira. Il consiste en un arc de bois tendu par une corde métallique frappée avec une baguette. Le bâton-touche est ici remplacé  par une pièce ou une pierre.

 

Ce berimbau se compose des éléments suivants:

  • verga, biriba ou fare : bâton courbé de 15 à 25 mm de diamètre, 1,20 m à 1,50 m de longueur, en bois dur (biriba) ou de bambou (c'est une source possible du nom de l'instrument). Il en existe deux variétés : anciennement à pointe (pouvant servir d'arme), et aujourd'hui à bout plat.
  • arame ou cuerda : à l'origine en fibre naturelle, aujourd'hui un fil d'acier à ressort (une corde à piano ou, au Brésil, une armature de vieux pneus) tendu entre les extrémités du bâton.
  • cabaça ou coité : calebasse sèche évidée et ouverte, munie d'un anneau de ficelle ou de lacet de chaussure à l'opposé de son ouverture, que l'on enfile sur la partie inférieure de l'arc et de la corde pour servir de caisse de résonance. Il en existe deux variétés : cabaça, la plus courante, avec une forme à deux boules réunies ; coité, de forme ovale.
  • baqueta ou vareta : baguette généralement de bois, rarement métallique, de quelques dizaines de centimètres pour frapper la corde.
  • dobrão, vintem ou pedra : pièce de monnaie en métal ou galet.

La plupart du temps, mais pas obligatoirement, le musicien tient un ou deux caxixí, hochet de paille à fond de calebasse, dans la même main que la baguette.

 

Jeu

Le musicien tient l'instrument en équilibre sur le petit doigt d'une main à l'aide du médium et de l'auriculaire de la même main, dont le pouce et l'index tiennent la pièce ou le galet. L'autre main tient la baguette.

 

Dans le cadre de la capoeira, le musicien produit trois sons principaux :

  1. Le son grave. On l’obtient en tenant la calebasse résonateur éloignée du ventre. La corde est frappée sans être raccourcie. La pièce ou la pierre ne touche pas la corde au moment de la frappe.
  2. Pour le son aigu, on tient le berimbau dans la même position que précédemment, tandis que la pièce ou la pierre appuie fortement sur la corde. La corde est frappée à un point situé à environ deux doigts au-dessus du point de pression.
  3. Le son cassé est le plus difficile à obtenir. L’ouverture de la calebasse résonateur est appuyée contre le ventre et on laisse la pièce ou la pierre simplement frôler la corde, ce qui crée un frisement très recherché dans la musique africaine ou indienne.

Les musiciens ont d'autres sons, mais ces trois effets principaux servent pour définir les toques (motifs rythmiques) de la capoeira.

Ouvrir et fermer la calebasse pendant que la corde sonne produit un effet wah-wah d'autant plus puissant que la calebasse est largement ouverte. Tous les maîtres n'approuvent pas cet effet. Appuyer la pièce sur la corde après avoir frappé produit des notes liées ; refermer la calebasse alors que le son résonne l'arrête nettement. Un certain toque demande des frappes sur la corde à vide avec la calebasse fermée. Les musiciens utilisent tous les sons qu'ils peuvent tirer de l'instrument, mais il est souvent dit être de mauvais goût de frapper d'autres parties que la corde.

Bien entendu, la force avec laquelle on frappe la corde est particulièrement importante pour le rythme. Le son “corde ouverte” est naturellement plus fort (avec la même force de frappe, les deux autres sonnent moins), mais le musicien détermine quelles frappes doivent être plus fortes. Le timbre de l'instrument varie modérément en fonction de la puissance de la frappe ; certains toques tirent parti de cet effet.

La musique de capoeira est principalement rythmique. La plupart des motifs viennent de la même structure à huit temps : x x . v . v . v . — chaque caractère représente une unité de temps : x indique le son frisé, v une autre frappe, selon la variante, les points indiquent qu'il n'y a pas de frappe à ce moment ; ceci n'est qu'un schéma ; il y a par ailleurs des syncopes.

 

Les capoeiristes produisent beaucoup de variations à partir de ce modèle. Les plus connues servent de base à des toques de berimbau qui chacune portent un nom différent.