Au Burkina Faso, les Gan se distinguent des autres ethnies par leurs polyphonies complexes, encadrées dans la forme mais libres sur le fond. Elles sont surtout pratiquées par les femmes de toutes tranches d'âge. Les hommes chantent en polyphonie dans un nombre limité d'occasions. Les chants d'obsèques comptent parmi les plus extraordinaires que GeoZik a enregistré durant ses 30 années de pérégrinations ethnomusicologiques à travers le monde. Si leur origine demeure inconnue, gageons que leur ancienneté est certainement pluriséculaire.
Dans ce PAE, nous avons opté pour une présentation fonctionnelle des chants.
Textes, photos, audios, vidéos © Patrick Kersalé, 1994-2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 30 septembre 2024.
> Généralités sur le royaume gan
. Obsèques
. Dernières funérailles
. Labour
. Battage du mil
. Pilonnage des noix de karité
. Meule
. Jeu de soko
. Jeu de cache-cache
. Tourniquet
PAE associés
> Le royaume gan et sa musique
> Burkina Faso - La harpe fourchue
DOCU associés
Nous avons intitulé ce chapitre “Expressions vocales” car la voix est utilisée dans un large spectre d'activités de communication, allant de la simple parole au chant, en passant par les cris et les pleurs.
La voix en général
La voix nʋʋgɑ est un instrument musical à part entière et a une place privilégiée. Elle est assimilée à la bouche. Parler et parole se traduisent par sɛɛrɛ. La voix grave se traduit littéralement par “grosse voix” nʋ kpɑkpɑkɑ et la voix aiguë par “petite voix” nʋ biIre'. Il a une belle voix se traduit par “sa bouche est douce” ʋ nʋgɩrɩrɑ nʋʋ et je n'ai plus de voix par “ma bouche est morte” mɩ nʋgɩrɩ hugirimɑ. De même, “la voix du tambour koto” est littéralement traduit par “la bouche du koto” koto wá nʋgɑ.
Le chant
S'il n'y a pas de terme pour désigner la musique, il en existe en revanche un pour désigner le chant : tɩ̃ŋgɑ. Ainsi, on distingue par exemple le chant pour les obsèques bɩɩ tɩ̃ŋgɑ, le chant pour les entités spirituelles (nom de l'entité + tɩ̃ŋgɑ). Chanter lors des occasions de réjouissances telles les dernières funérailles ou le soko se dit tɩ̃nɛɛsɛ. On distingue, parmi les chanteurs, ceux qui chantent occasionnellement tɩ̃tɩ̃mɑ, de ceux qui sont reconnus comme de véritables chanteurs tɩ̃nɩɩnɑ. Dans les chants polyphoniques responsoriaux, on désigne la soliste sous le vocable tɩ̃ khɛ et celles qui répondent par tɩ̃ hɩ̃gɩ̃nɩbɑ (sing. tɩ̃ hɩ̃gɩ̃nɑ). L'action de changer de soliste (au cours d'une suite de chants, on devient soliste par alternance) se traduit par pɛgɩ̃nsɛ.
Les pleurs
Les pleurs peuvent être considérés comme une expression sonore directement liée aux systèmes de communication car elles sont le signe annonciateur d'un décès pour l'entourage familial et villageois de proximité. Pleurer est défini par le terme général fʋʋrɑ et les pleurs rituels des femmes accompagnant les chants d'obsèques dans les cases mortuaires se disent bɩɩ fʋʋrɑ, littéralement “pleurs d'obsèques”.
Les appels
Pour appeler quelqu'un ou un animal en sifflant ou en criant, ou encore interpeler les génies en utilisant le hochet tɛgɩrɛ, on utilise le même terme : yɩkɩ̃nsɑ. On distingue le sifflement avec un instrument tɩɩrɛsɛ et sifflement avec la bouche fɩ̃nɛɛsɛ.
Les bruits
On distingue un bruit prolongé kʋ̃gɩ̃nsɑ d'un bruit furtif kʋ̃mɑ. Ce dernier terme signifie également “dire”.
Les chants polyphoniques
Les Gan — femmes et hommes — pratiquent essentiellement une forme de chant responsorial polyphonique hétérophonique avec ou sans tuilage. Les chants s’organisent de plusieurs façons :
Les voix de la polyphonie s’organisent librement sur tous les degrés d’une échelle considérée. Il est important de noter que le texte des réponses diffère selon les interprètes. Le nombre de voix de la polyphonie n’est pas fixe et les variations sémantiques de chaque voix lui donnent parfois une forme contrapuntique aléatoire. Selon les circonstances, les chœurs sont unisexes ou mixtes, cependant, les femmes ont plus de propension à chanter que les hommes.
Forme mélodique et échelles
Tous les chants polyphoniques ont une forme descendante ; les voix se rejoignent à l’unisson à la fin de chaque cycle. Cette remarque vaut également pour le xylophone qui interprète le répertoire vocal. Selon le cas, ils s’articulent autour d’échelles tétraphonique ou pentaphonique. Dans certains chants, une même voix peut chanter sur tout ou partie de l’échelle, — 3, 4 ou 5 degrés — chaque voix de la polyphonie se situant sur des degrés divers de celle-ci. Si l’on considère une échelle sur laquelle la note la plus grave est le premier degré, les chants polyphoniques se terminent à l’unisson sur le second degré pour les chants organisés sur 3 ou 5 degrés et sur le premier ou le second degré dans le cas d’une organisation sur 4 degrés.
Répertoires
Les textes, en langage clair ou parabolique, anciens ou récents, ont plusieurs rôles sociaux :
Les expressions vocales par genre
La liste ci-après offre un panorama de la répartition des principales formes d'expressions vocales féminines, masculines et mixtes, chantées et parlées.
Expressions vocales féminines
Expressions vocales masculines
Expressions vocales mixtes
Nous allons tout d'abord décrire le cadre rituel des obsèques chez les roturiers. Les rituels funéraires se déroulent en deux temps : tout d’abord les obsèques débutant dès le décès constaté, puis la levée de deuil (appelée aussi dernières funérailles), célébrée de quelques mois à deux ans plus tard entre mars et avril, après que toutes les récoltes ont été engrangées.
Dès le décès constaté fusent les pleurs des femmes, faisant partie du système de communication, car annonciatrices d'un malheur pour l'environnement villageois. On avertit premièrement le roi et la famille en se déplaçant. On utilise également le koto lorsque le décès intervient la nuit. Dès que le chef de terre est prévenu, il immole un poussin pour déterminer si le défunt est ou non un sorcier. Dans la négative, un membre du clan allié procède à la toilette mortuaire. Dans l'affirmative, il n'y aura pas de toilette. Comme les sorciers sont ceux qui jettent les sortilèges, ils sont enterrés non pas dans les cimetières classiques, mais dans des cavités creusées par les anciens sous le niveau du sol. Il sont déposés nus, sans linceul, par un fossoyeur, et les femmes ne les pleurent pas durant les trois à quatre mois suivant le décès. Les femmes et les enfants du défunt sorcier se rasent la tête une fois pour “racheter le lait de leur mère”. Les femmes ne portent pas le traditionnel costume de deuil en fibres de coton de couleur ocre tressées et tissées (couronne, collier, bracelets, pagne, ceinture, bracelets de chevilles) mais seulement un pagne noir.
Le corps est ensuite placé dans un endroit différent en selon le cas : dans la case de sa mère s’il s’agit d’un homme ou d’une femme célibataire, dans la case de sa première épouse s’il s’agit d’un homme marié, dans sa propre case s’il s’agit d’une femme mariée. Dès la tombée de la nuit, commencent les chants d’obsèques interprétés par les femmes, soit dans la case autour du corps exposé dans son linceul sur une natte et recouvert d'une couverture, soit à l’extérieur si la température dans le bâtiment ne le permet pas ; ils dureront du crépuscule jusqu’à l’aube. Auprès du cadavre, s'il s'agit d'un homme marié, sa première épouse apporte deux calebasses dont l'une est posée sur la tête du défunt et l'autre près du corps, sur la couverture, et chacune de ses autres épouses apporte une calebasse qu'elle dépose près du corps sur la couverture. Ainsi, on peut connaître le nombre d’épouses d’un homme lors de son décès en comptant le nombre de calebasses, moins une. Dans le cas d'une défunte, des femmes apportent deux calebasses : l'une couvre la tête du cadavre et l'autre est posée auprès d'elle sur la couverture. S’il s’agit d’un enfant, on ne dépose pas de calebasse, mais il y en a toutefois une qui l’accompagne au cimetière afin qu’elle y soit cassée.
Il existe quatre types de cimetières : pour le roi, pour les familles princières, pour les roturiers, pour les sorciers.
Entre le moment de la mort et les dernières funérailles l’esprit du défunt continue à vivre. Il peut faire tant le bien que le mal. Après les dernières funérailles, s'il s'agit d'un homme, il sera ancestralisé et considéré alors comme une entité spirituelle vivante à laquelle on pourra adresser des prières.
L’inhumation a lieu dès le lendemain soir après l’interrogation du cadavre par le devin, afin de déterminer la cause du décès. Au-delà de ce jour, les chants se poursuivent à l’intérieur de la case mortuaire chaque matin (environ de 4 heures jusqu’au lever du soleil) pendant trois mois pour un homme et quatre pour une femme. On chante de nouveau lorsqu’un étranger vient présenter ses condoléances. Dans ce cas, s’il s’agit du décès d’une femme, on chante simplement. S’il s’agit d’un homme, le visiteur masculin tire autant de coups de fusil qu’il le peut pour annoncer son arrivée, puis les femmes chantent à l’intérieur de la case mortuaire.
Lieu et date : Obiré. octobre 1997. Durée : 03:21. © P. Kersalé 1997-2024.
Ce chant est une invocation structurée autour d’un chœur entonnant un ostinato onomatopéique et polyphonique. La soliste, changeante, invoque ici les noms ou les images, de tous les défunts qui ont précédé celui de ce jour, confiant à ce dernier, parti au pays des morts, le soin de leur transmettre ses salutations : « L’homme et sa femme, nous vous saluons. L’homme et ses enfants, nous vous saluons. Les valeureux, nous vous saluons. Les hommes venant d’Abidjan, nous vous saluons. Le propriétaire de la maison, nous vous saluons. Vous êtes en train de dormir, nous ne savons quand vous allez vous réveiller. Ce ne sont pas des Gan pour que je puisse les connaître. Je n’arrive pas à les distinguer dans la chambre “cachée” (obscure) pour pouvoir les reconnaître. La grande meule d’Opire, nous vous saluons. Tous les hommes, nous vous saluons. Nous saluons tout le monde. Papa, nous vous saluons. Papa et sa canne, nous vous saluons. L’homme et son village, nous vous saluons. Danma, nous vous saluons. Sémé, nous vous saluons. Tout le monde, nous vous saluons. Soleyman, nous vous saluons. L’homme et ses enfants, nous vous saluons. L’homme, nous vous saluons. Devin, nous vous saluons. Le grand garçon, nous vous saluons. Okia, nous vous saluons. L’homme et ses enfants, nous vous saluons. Le frère de mon père, nous vous saluons. Ma grand-mère, nous vous saluons... »
Les dernières funérailles ont lieu plusieurs mois, voire un an ou deux ans (dans le cas où les moyens financiers ou les vivres manquent) après le décès, pour éloigner l’esprit du défunt de sa cour. Elles durent une semaine et ont lieu quand toutes les récoltes ont été rentrées, entre mars et mai. Au cours de ces cérémonies, on convie de nombreux invités, on tue des animaux dont on consommera la chair, on prépare le to (bouillie de mil ou d'igname) et la bière de mil en abondance.
Ce répertoire, qui utilise de nombreuses paraboles, est chanté lors des dernières funérailles et lors de certaines occasions de réjouissances, tel le rituel de tog kpoko.
Chant polyphonique et xylophone 1
Les femmes chantent en deux langues — ká̃asa et jula — mais toutes ne comprennent pas le sens de cette dernière langue qu’elles n’utilisent pas pour le langage courant. Le chœur répond au xylophone minthoreego qui tient à la fois le rôle de soliste en répétant une phrase unique et celui de “choriste” en reprenant cette même phrase avec lui.
Thème du chant : « Qu’elle que soit votre souffrance, le crapaud des mers ou des rivières (la mort) vous en délivrera. »
Lieu & date : Sᴐnnᴐ. 16 décembre 1996.
Durée : 05:13. © Patrick Kersalé 1996-2024.
Chant polyphonique et xylophone 2
« Pourquoi tuer un étranger dont vous n’hériterez pas, pourquoi tuez le gecko que vous ne mangerez pas. » Ne tuez ni animal ni personne sans raison.
Lieu & date : Sᴐnnᴐ. 16 décembre 1996.
Durée : 03:52. © Patrick Kersalé 1996-2024. © Patrick Kersalé 1996-2024.
Chant polyphonique et xylophone 3
Chant en langue jula. « Celui qui fait le bien trouve le bonheur, celui qui fait le mal trouve le malheur ».
Lieu & date : Sᴐnnᴐ. 16 décembre 1996.
Durée : 02:34. © Patrick Kersalé 1996-2024. © Patrick Kersalé 1996-2024.
Chants polyphoniques, tambours, flûtes et clochettes
Nous avons extrait d’une longue série de chants, deux pièces consécutives interprétées avec deux techniques distinctes :
a. Chant polyphonique antiphonal. Histoire d’un garçon nommé Kokou qui annonça un jour à ces petites amies son départ pour Soubré (en Côte d’Ivoire) en leur précisant toutefois la date de son retour. Cependant, passé cette date, les jours passèrent et Kokou ne réapparut pas.
Réponses du chœur (différentes versions) : « Notre ami est parti à Soubré, il n’est pas revenu. Kokou de Soubré n’est toujours pas revenu. Notre ami est parti à la Mecque, il n’est pas revenu. L’enfant est parti au marigot, il n’est pas revenu. »
b. Chant responsorial avec tuilage du soliste sur le chœur. « Ceux qui reviennent de Bouna ont rapporté le SIDA ; les Abidjanais sont venus avec le SIDA ; si vous le voyez prier c’est qu’il a le SIDA... »
Lieu & date : Sᴐnnᴐ. 16 décembre 1996.
Durée : 11:19. © Patrick Kersalé 1996-2024. © Patrick Kersalé 1996-2024.
En ce jour de Nouvel An 2003, la case du porte-parole du 28e roi des Gan fut accidentellement incendiée. Un coup de vent projeta la porte de paille sur le foyer sur lequel le riz était en train de cuire. Mais voilà, tout accident a nécessairement une cause. C'est pourquoi les deux devins ont cherché à connaître la raison.
Cette pratique invite les esprits à se manifester de manière sonore. Les devins appellent les entités spirituelles à l’aide de hochets en calebasse. Selon la croyance, les chants interprétés en prémices sont directement inspirés par l’au-delà. Les oracles, rendus sous forme de métaphores, éclairent les consultants sur les causes de leurs problèmes, de leur maladie. Libre ensuite à chacun de les interpréter et d’agir en conséquence. L’arrivée d’un oracle est caractérisée par l’altération de la voix du devin. Ici, celle de l’homme, qui vient d’être possédé par l’esprit, mute de voix de poitrine en voix de tête.
Lieu & date : Sɑɑgɛ. 23 décembre 1999.
Durée : 01:34. © Patrick Kersalé 1999-2024.
Lieu & date : Village d'Obiré. Gan. Burkina Faso. 1er janvier 2003.
Durée : 01:16. © Patrick Kersalé 2003-2024.
En ce jour de Nouvel An 2003, la case du porte-parole du 28e roi des Gan fut accidentellement incendiée. Un coup de vent projeta la porte de paille sur le foyer sur lequel le riz était en train de cuire. Mais voilà, tout accident a nécessairement une cause. C'est pourquoi les deux devins ont cherché à connaître la raison.
Cette pratique invite les esprits à se manifester de manière sonore. Les devins appellent les entités spirituelles à l’aide de hochets en calebasse. Selon la croyance, les chants interprétés en prémices sont directement inspirés par l’au-delà. Les oracles, rendus sous forme de métaphores, éclairent les consultants sur les causes de leurs problèmes, de leur maladie. Libre ensuite à chacun de les interpréter et d’agir en conséquence. L’arrivée d’un oracle est caractérisée par l’altération de la voix du devin. Ici, celle de l’homme, qui vient d’être possédé par l’esprit, mute de voix de poitrine en voix de tête.
En 1997, sous la pression d’organisations internationales, le gouvernement burkinabè à l’échelon national et Sa Majesté le 28e roi des Gan au niveau ethnique ont interdit la pratique de l’excision. Cette mutilation rituelle du clitoris était systématiquement pratiquée au moment où la jeune fille recevait un mari donné par le roi ou le chef de son matrilignage. La croyance était forte qu’une femme non excisée perdrait ses enfants en couche.
Cette pratique étant révolue depuis peu de temps, la connaissance des savoir-faire et des chants entourant ce rituel sont intacts. C'est pourquoi GeoZik a pu, grâce au soutien du roi, effectuer cet enregistrement d'exception.
Chant pour le rituel d'excision du premier jour
Il existait un chant spécifique interprété juste après l’acte d’excision, au moment où l’excisée était ramenée dans la case de sa mère. Ce chant était interprété en voix de tête par une soliste à laquelle répondait le chœur en hétérophonie ; se mêlait, de temps à autre, une phrase articulée. On remarquera le portamento sur une tierce à chaque relance des voix. Ce chant parabolique évoque le courage de l’excisée : « Le brave tueur de buffle revient de sa chasse », signifiant que l’excisée a eu la bravoure du chasseur, en supportant l’opération sans même un clignement de paupière.
Une fois la nouvelle excisée revenue chez elle, les femmes n’ayant pas assisté à l’opération venaient lui rendre visite ; elle versaient alors de la farine ou de la cendre sur sa tête et attachaient des feuilles autour de son sexe afin de contenir le sang.
e quatrième jour suivant l’excision, on rasait la tête de la nouvelle excisée à laquelle on remettait une canne et un pagne noir. Le futur époux lui envoyait, par l’intermédiaire d’un groupe de femmes, un grand panier de petit mil, des ignames, du sel et une somme d’argent. Ces présents étaient alors vendus par la sœur de l’excisée et la somme recueillie servait à lui acheter des ustensiles de cuisine (louche, spatule pour la préparation du to, plat, marmite...).
Lors de la remise de ces présents, les femmes jouaient au soko et chantaient les chants spécifiques à ce jeu. Lors de nos enregistrements, ce sont des femmes âgées qui ont interprété ces chants normalement chantés par des fillettes et des jeunes femmes. Il s'agit des chants 1 à 4 du chapitre Jeu de soko.
Lieu & date : Vill. Obiré. Hameau d'Ithabunthanga. Octobre 1997.
Durée : 02:16. © Patrick Kersalé 1997-2024.
L’encouragement et la stimulation sont réalisés par des composantes sonores énergisantes. On en trouve plusieurs exemples : stimulation externe du labour manuel à la houe et du pilonnage des noix de karité pour la fabrication du beurre, auto-stimulation des hommes battant le mil et des femmes le moulant. Chacune de ces situations possède ses propres outils sonores et son répertoire vocal.
Le labour est encouragé par un groupe de trois tambours (bɛrɛ̃ntɛ, kpegbe bie, pɑ̃ɑgɑ) et une bicloche (dato) et les chants polyphoniques des femmes.
Le labour est une activité collective à laquelle un propriétaire terrien convie les villageois. Il est effectué en ligne à la houe à une vive cadence. Après avoir labouré une parcelle, les laboureurs crient leur joie afin d’inciter ceux qui regardent à venir les aider, puis commencent une nouvelle parcelle.
Comme nous étions en saison sèche lors de ce tournage, les gestes des laboureurs ne sont qu'une simulation.
Lieu & date : Obiré. Décembre 1999.
Durée : 01:49. © Patrick Kersalé 1999-2024.
Après avoir coupé les épis de mil, ils sont rassemblé en un grand tas. Alors, tous les hommes dans la force de l'âge sont convoqués pour les battre à l’aide de houes spécialement emmanchées.
Il assiste-là à l'enchaînement de deux chants. Les hommes, comme les femmes, organisent leur pratique vocale autour d’un soliste et d’un chœur, ici, avec réponse fixe.
a. « Il y avait du mil en abondance et les jeunes gens commençaient à être fatigués. »
Le soliste : « Les garçons (qui battent), vous n’avez pas encore atteint la moitié, les filles (qui ramassent), vous n’avez pas encore atteint la moitié, ne soyez pas fatigués. »
Réponse du chœur : « Nous n’avons pas atteint la moitié. »
b. Le soliste : « Qui t’a informé du décès ? »
Réponse du chœur : « J’ai entendu, j’ai entendu, c’est moi-même qui ai entendu. »
Chant de clôture du battage
Un chant unique connu dans tout le royaume clôt le battage du mil. Même structure que le chant précédent.
Les chanteurs s’adressent ici au propriétaire du mil : « Prenez (les houes), prenez, nous allons partir. »
Lieu & date : Obiré. 18 décembre 1996.
Durée : 03:24. © Patrick Kersalé 1996-2024.
Interprètes : Les villageoises d'hameau d'Ithabunthanga.
Durée : 01:26. © Patrick Kersalé 2011-2024.
Ce chant accompagne le dur labeur consistant à transformer les noix de karité en beurre de karité. Il est accompagné d’un double tambour d'eau dʋgʋko minige joué par la chanteuse soliste. La rapide pulsation rythmique a pour objectif de soutenir la cadence de travail. La soliste développe un thème tandis que le chœur répond de manière hétérophonique sur la base de sons fredonnés dénués de sens.
« Deux jeunes filles, Alima et Wɑ̃nyɑ aiment chacune un garçon qu’elles veulent épouser. Leur mère n’est pas d’accord mais elle ne peut les empêcher compte tenu de l’ardent amour les liant à leur amant respectif. Elle leur dit cependant ceci : même si vous partez, que vous vous mariez et que vous accouchez d'un garçon, celui-ci me reviendra. De même si vous accouchez d'une fille, celle-ci me reviendra. Vous m’abandonnez, mais tous les enfants que vous mettrez au monde me reviendront. »
Ainsi, les filles partent et leur mère demande la double compensation des filles et des garçons alors que, dans la société gan, les filles issues du mariage reviennent à la famille maternelle et les garçons à la famille paternelle. Lorsque le chef du matrilignage donne une fille en mariage à un garçon, ce dernier doit compenser le départ de celle-ci en offrant ses filles au donateur afin de préserver la racine matrilinéaire.
Interprètes : Les villageoises d'hameau d'Ithabunthanga.
Durée : 02:43. © Patrick Kersalé 2011-2024.
Lieu & date : Vill. Obiré. Hameau d'Ithabunthanga. 17 décembre 1999.
Durée : 01:21. © Patrick Kersalé 1999-2024.
Les femmes utilisent des meules dormantes pour moudre leurs céréales (mil, maïs). Ce travail est épuisant. Le geste est accompagné par tout le corps en une véritable danse et les chants ont pour rôle de rythmer celle-ci.
Le répertoire de la meule est le même que celui des dernières funérailles ou des réjouissances ordinaires. La meule est un lieu privilégié pour apprendre les chants au contact des autres femmes. Contrairement aux autres ethnies de la région, il existe un tabou interdisant aux femmes de critiquer leur mari, au risque de voir surgir un accident ou une maladie dans la famille.
Le répertoire se réfère aux problématiques de la société moderne (argent, SIDA, exode rural…) ; il emploie de nombreuses métaphores.
Chant de meule 1
Ce chant d’actualité est une mise en garde contre le SIDA en même temps qu’un appel aux jeunes à écouter les conseils des anciens pour ne pas jouer aux apprentis sorciers.
« L’immigré est arrivé avec le SIDA, méfie-toi avec ton SIDA, où vas-tu avec ton SIDA, une maladie sans remède, c’est le SIDA, tu es allé chercher cette maladie et tu es revenu, le sorcier est revenu avec le SIDA, l’Abijanais est venu avec la chose, où vas-tu avec ton SIDA, ne m’approche pas car tu as une maladie sans remède... »
Lieu & date : Obiré. 10 fébrier 1996. © Patrick Kersalé 1996-2024.
Durée : 02:25. © Patrick Kersalé 1996-2024.
Chant de meule 2
« Des jeunes gens étaient partis au loin à la célébration de funérailles dans l’espoir d’y manger nuit et jour de la viande, du to et de la bière de mil. Mais, arrivés sur place, ils découvrirent que la nourriture était uniquement destinée aux personnes ayant aidé aux préparatifs. Ils sont alors repartis et restés en tout trois jours sans manger. En rentrant au village, ils s’adressèrent à leur mère : mère, chère mère, si j’avais su, je n’y serais pas allé car la faim m’a fracturé les yeux. »
Lieu & date : Obiré. 10 fébrier 1996. © Patrick Kersalé 1996-2024.
Durée : 02:14. © Patrick Kersalé 1996-2024.
La transformation des céréales s’effectue, aujourd’hui encore, avec des meules dormantes. Cet outil est attesté dès le Néolithique dans le Croissant fertile. Au début de la séquence, on voit une femme cherchant à acheter une pierre de meule sur le marché de Loropeni. En pays gan, les seules roches existant sont latéritiques, donc inappropriées à la mouture. Au carrefour des XXe et XXIe siècles, cela paraît véritablement improbable, et pourtant…
Lieu & date : Vill. Obiré. Hameau d'Ithabunthanga. 25 décembre 1999.
Durée : 01:36. © Patrick Kersalé 1999-2024.
Chants pour le rituel d'excision du quatrième jour
Le soko est un jeu féminin procurant d’agréables sensations physiques. Fillettes, jeunes filles et jeunes femmes s'y livrent lors des nuits de pleine lune et au cours de la journée pour les plus jeunes générations. Les femmes le pratiquent également le quatrième jour suivant l’excision d’une fille. Pour jouer, elles forment un demi-cercle et chantent en frappant dans les mains. La personne située à l’une des extrémités du demi-cercle se dirige vers le centre de ce dernier, se retourne puis se jette en arrière ; deux personnes la réceptionnent alors puis la projettent en l’air.
Cette activité, où l’expression sonore fait corps avec le jeu, constitue un important élément de socialisation et de solidarité du groupe en éprouvant la confiance qu’individuellement, chaque participante porte à celles qui la réceptionnent.
Sur le plan musical, ce chant est une polyphonie responsoriale à ostinato, avec tuilage de la soliste sur le chœur.
Nous présentons ici quatre chants de soko que nous avons désignés sous deux appellations “soko des fillettes” et “soko des femmes”. Il s’agit en réalité d’une seule et même forme, mais les fillettes en interprètent une version appauvrie au niveau des frappements de mains ; de plus, une partie du répertoire des femmes leur échappe sur le plan thématique.
Au cours de leurs jeux, les fillettes s’accompagnent de cinq frappements de mains de base. Les femmes, quant à elles, ajoutent des frappements syncopés s’intercalant entre la fin et le début des frappements de base.
Les quatre premiers chants ont été interprétés par des femmes d'un certain âge peu enclines à jouer au soko puisque ce jeu réclame de la souplesse. Ils se réfèrent à des thématiques propres aux femmes mariées. Ils ont donc été enregistrés de manière statique avec les seuls frappements de mains. Ces femmes ont chanté ces quatre pièces de répertoire dans la cadre de notre recherche sur les chants pratiqués autrefois durant le rituel d'excision.
Chant 1
Ce chant sous-tend une parabole connue chez les Gan : « Un seul doigt ne peut ramasser un caillou ».
« Une enfant en bas âge a perdu sa mère. N’ayant ni sœur ni tante, elle est comme la plante qui a perdu ses racines, elle ne peut évoluer ; seule l’union avec sa mère ou ses sœurs aurait pu le lui permettre. » Autrement dit, seule l’union des doigts (mère ou sœurs) permet de ramasser un caillou (d’évoluer). Ce chant a un rapport direct avec le statut de la nouvelle excisée : le mari remplace désormais sa cellule familiale.
Réponse du chœur : Les femmes scandent le nom d’un arbre fruitier fournissant le bois de chauffe pour l’eau de lavement de la plaie de l’excisée.
Lieu & date : Vill. Obiré. Hameau d'Ithabunthanga. Octobre 1997.
Durée : 01:17. © Patrick Kersalé 1997-2024.
Chant 2
« Une jeune fille aimait beaucoup un garçon, mais un jour, ce dernier a découché... »
Réponse du chœur : « Tu es allé dormir ailleurs et tu m’as abandonnée. »
Lieu & date : Vill. Obiré. Hameau d'Ithabunthanga. Octobre 1997.
Durée : 02:20 © Patrick Kersalé 1997-2024.
Chant 3
« Grâce au roi, aujourd’hui je suis là
Grâce au roi, mon nom n’est pas sali
Grâce au roi, je ne suis pas allée dans une autre ethnie. »
C’est le roi qui donne les princesses de sa cour en mariage à tel ou tel homme. Les filles issues du mariage reviendront à la cour royale. Si une fille se mariait à un homme d’une autre ethnie, cette coutume ne pourrait être respectée. En cas de problème conjugal, la femme pourra revenir au sein de la cour royale.
Réponse du chœur : « Sans le roi, je serais allée me marier ailleurs. » (sous-entendu avec un homme d’une autre ethnie).
Autre version : « Sans le chef de matrilignage, je serais allée me marier ailleurs. » Pour les roturiers, ce sont les chefs du matrilignage qui donnent les filles en mariage.
Lieu & date : Vill. Obiré. Hameau d'Ithabunthanga. Octobre 1997.
Durée : 02:25. © Patrick Kersalé 1997-2024.
Chant 4
Histoire de jalousie entre deux co-épouses. L’une d’elles souhaite l’exclusivité de coucher avec son mari.
S’adressant à sa coépouse : « Même si tu allumes quatre lampes dans la case de notre époux, moi seul dormirai avec lui. »
Réponse du chœur : « Siya, (nom de la coépouse) si tu dors, moi je ne dors pas. »
Lieu & date : Vill. Obiré. Hameau d'Ithabunthanga. Octobre 1997.
Durée : 03:06. © Patrick Kersalé 1997-2024.
Soko des fillettes
Ce chant est conduit par une soliste attendant une réponse fixe du chœur. Les fillettes frappent les cinq pulsations de base. La thématique est celle des filles non mariées.
« Je me marierai à un Jula, un Jula qui a de l’argent...
Je me marierai à un Mosi, un Mosi qui a de l’argent...
Je me marierai à un Gan, un Gan qui a de l’argent...
Je me marierai à un Lobi, un Lobi qui a de l’argent... »
Lieu & date : Vill. Obiré. 17 décembre 1996.
Durée : 02:50. © Patrick Kersalé 1996-2024.
Soko des femmes 1
Ce chant en langue jula (dioula), interprété sur une échelle de trois notes, débute sous une forme responsoriale entre le soliste et le chœur pour évoluer vers une antiphonie à la demande de la soliste.
« Revendication de la différence de l’ethnie gan et aspiration à ne pas être amalgamé avec les autres ethnies. »
Lieu & date : Vill. Obiré. 17 décembre 1996.
Durée : 01:40. © Patrick Kersalé 1996-2024.
Soko des femmes 2
Ce chant est conduit par une soliste qui développe un sujet appelant une réponse fixe, avec cependant certaines variations sur la forme et le fond ; une partie du chœur répond parfois par des sons inarticulés tandis que l’autre donne une réponse sensée.
« Histoire d’une jeune femme qui souhaite partir en voyage à la suite d’une dispute familiale. Au moment de saluer sa famille, cette dernière désapprouve son départ. »
Réponse du chœur : « Même si vous n’êtes pas d’accord, j’irai dormir chez “mon parent”, si vous refusez, j’irai dormir chez mon chéri. »
Lieu & date : Vill. Obiré. 17 décembre 1996.
Durée : 02:40. © Patrick Kersalé 1996-2024.
Soko des femmes 3
Chant en jula. Il est conduit par une soliste et comporte deux types de réponses utilisées en alternance par le chœur : une répétition des propos du soliste à l’identique et une réponse fixe.
« L’eau versée coule, mais elle ne coule jamais seule. » Autrement dit, si l’on s’immerge volontairement dans les problèmes, il faut chercher soi-même la solution pour en sortir.
Lieu & date : Vill. Obiré. 17 décembre 1996.
Durée : 01:33. © Patrick Kersalé 1996-2024.
Lieu & date : Vill. Obiré. Hameau d'Ithabunthanga. 31 décembre 2002.
Durée : 00:49. © Patrick Kersalé 2002-2024.
« Célibataire, si tu fais la cour à une fille et que celle-ci refuse tes avances, va préparer des haricots et mange-les. »
Un célibataire cherche une femme qui pourra lui préparer du to, mais comme il a échoué dans sa tentative de séduction, il devra manger des haricots dont la préparation est plus simple et plus rapide !
Lieu & date : Vill. Obiré. 16 décembre 1996.
Durée : 02:24. © Patrick Kersalé 1996-2024.
Lieu & date : Vill. Obiré. Hameau d'Ithabunthanga. Décembre 1999.
Durée : 01:01. © Patrick Kersalé 1999-2024.
Des enfants de plusieurs hameaux se sont regroupés autour d'un tourniquet. Ici, les places sont rares et la concurrence rude. Mais chacun est invité, en attendant son tour, à chanter et battre des mains pour encourager les protagonistes.
Lieu & date : Vill. Obiré. Hameau d'Ithabunthanga. 23 décembre 1999.
Durée : 00:52. © Patrick Kersalé 1999-2024.
Comme les Gan ne connaissent pas l'écriture, ils possèdent une importante littérature orale parmi laquelle se trouvent des chantefables, une forme mêlant conte et chanson. La chanson a généralement la forme d’un court refrain repris par l’assistance. Les contes et les chantefables étaient autrefois narrés le soir autour d’un feu. Cette pratique a aujourd’hui quasiment disparu chez les Gan.
Chantefable : L’homme qui voulait épouser une femme sans scarifications
Durée : 03:07. © Patrick Kersalé 1999-2024.
Il était une fois un homme qui voulait épouser une femme sans scarification. Un jour, un chien, ayant apprend la nouvelle et décide de se transformer en une telle créature. Le jeune homme la courtise alors et l’épouse.
Un jour, le mari part à la chasse et rapporte du gibier que sa femme prépare. Elle lui donne toute la viande et lui demande de lui remettre les os afin qu’elle aille les jeter. Ainsi, elle part en brousse, mais au lieu de jeter les os, elle les croque.
Refrain
Le mariage, ce n’est pas difficile
Je prépare la viande pour vous
Vous la mangez
Et moi je vais jeter les os.
La femme insiste : « Il ne faut pas laisser les os dans la maison car quelqu’un risquerait de se blesser. »
Refrain
Idem
Un jour, un vieil homme surprend la femme en train de manger les os. Aussitôt, il informele mari : « Votre femme n’est pas une femme mais un chien déguisé en une belle femme. »
Le jeune homme se fâche, pensant que le vieil homme veut faire rompre son mariage. Mais ce dernier réfute l’opposition et invite le jeune homme à se cacher dans un buisson et à observer la scène. Ainsi, le lendemain, le jeune homme part à la chasse, rapporte un gibier que sa femme prépare, mange la viande, remet les os comme à l’accoutumée, se lève et part se cacher dans un buisson. Il voit alors son épouse arriver en chantant :
Refrain
Idem
Une fois la chanson terminée, sa femme commence à manger les os. À la fin du repas, elle ramasse le récipient les ayant contenu et rentre à la maison. Lorsque le jeune homme revient à son tour, le vieux lui demande : « Qu’as-tu vu ? »
Le jeune homme avoue alors la réalité des faits annoncés puis repart à la chasse, rapportant un nouveau gibier que sa femme prépare. Celle-ci commence par mijoter la sauce puis confectionne le to. Le jeune homme se saisit alors de son arc musical kɑ̃gɑnɩmɑ et joue la chanson de la femme :
Refrain
mm mm mm mm mm...
Celle-ci, surprise, lui demande : « Où as-tu entendu cette chanson ? »
L’homme répond : « C’est une chanson ancestrale de chez nous. »
La femme réplique : « Cette chanson est notre tabou et nous ne devons pas la chanter lorsque l’on travaille ! »
Le mari continue cependant à jouer la chanson sur son arc musical :
Refrain
mm mm mm mm mm...
Alors, la femme commence à changer d’apparence. Au moment où sa tête redevient celle d’un chien, l’homme prend l’arc à bouche pour lapider l’animal, le frappe et l’instrument se transforme en queue de chien.
Moralité : C’est depuis ce jour que le chien a une queue.