Communiquer au-delà. L’au-delà ouvre sur la communication avec les entités spirituelles. Cela concerne aussi bien le dieu unique des religions du livre que toutes les divinités, esprits, génies ou mânes. Par essence, les contours de cet espace sont physiquement indéfinis puisque certaines entités habitent, selon les croyances, en des lieux inconnus de l’univers. Malgré les apparences, il ne s’agit pas d’une simple communication unilatérale des hommes vers les entités spirituelles, mais bel et bien d’un échange bilatéral.
Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 1999-2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 15 novembre 2024.
SOMMAIRE
. Éveil des entités - Mexique - Tarahumaras - Chant & hochet
. Éveil des esprits - Burkina Faso - Dyan - Clochette
. Éveil et coalition des esprits - Cambodge - Khmer - Orchestre
. Incantation de l’esprit de la pluie - Mali - Dogon - Chant & lithophone
. Demande de protection des génies - Viêt Nam - Êđê - Chant
. Prière au Bouddha - Laos - Lao Loum - Chant
. Louanges à la Vierge Marie - Liban - Chrétiens maronites - Chant
. Louanges au panthéon hindou - Rajasthan - Chant & instruments
. Louanges à Allah - Burkina Faso - Peul - Chant
. Louanges au dieu-héros Pabuji - Rajasthan - Bhopa - Chant & vièle
. Possession par les esprits - Mali - Songhay - Vièle & percussions
. Manifestation des génies - Burkina Faso - Gan - Chant & hochet
. Manifestation des esprits - Burkina Faso - Dyan - Invocation
. Manifestation du Grand Masque - Mali - Dogon - Rhombe
. Offrandes musicales aux divinités - Indonésie, Bali - Gamelan
. Offrandes musicales aux génies - Viêt Nam - Êđê - Gongs
“Communiquer au-delà” ou “avec l’au-delà”, constitue depuis longtemps un besoin autant qu’une nécessité, et peut-être l’un des plus grands défis de l’humanité.
Les entités spirituelles
Dans ce chapitre, nous utiliserons la locution “entités spirituelles” pour désigner aussi bien la référence au dieu unique des religions monothéistes que toutes les formes de divinités, d’esprits ou de génies. Les mânes font également partie de ce champ sémantique, mais nous les traiterons à part du fait de l’importance des rituels funéraires dans les sociétés traditionnelles.
La peur comme moteur d’élaboration des techniques de communication
Pour comprendre la multiplicité des formes sonores permettant de communiquer avec les entités spirituelles, il nous faut remonter aux origines de l’humanité.
Imaginons les premiers hommes au milieu d’une nature hostile, peuplée d’animaux sauvages, et essayons d’appréhender leur angoisse lorsqu’un terrible orage éclate , ou encore de comprendre leur comportement face à l’inexplicable : la maladie, les accidents ou la mort. Les “responsables” de tels phénomènes ne peuvent se situer que dans une autre dimension. Dès lors, la création de mondes et d’êtres imaginaires s’impose comme la résultante de ces craintes originelles. Ainsi, la peur et l’angoisse représentent-elles le terreau le plus fertile pour favoriser la créativité et de l’inventivité humaines.
L’Homme au centre de l’univers spirituel
L’Homme fait naturellement partie de la chaîne du cycle de la nature. Labourer, planter, semer, déposséder la nature de ses richesses ne constituent pas des actes anodins. Tomber malade, mettre un enfant au monde, mourir, relèvent du bon ou du mauvais vouloir des entités spirituelles. Porteuses de tous les pouvoirs, on les redoute et l’on évite de les provoquer. Parallèlement, on les respecte tout en s’évertuant à tisser de bonnes relations avec elles par l’offrande de présents (fleurs, fruits, céréales, sang animal ou humain, alcool...) car les entités spirituelles savent lire dans les consciences et observer tous les faits et gestes de l’Homme. Ce dernier leur a attribué des noms, en même temps qu’il en a conçu des images mentales, physiques et sonores. Pour communiquer avec elles, il a élaboré de complexes rituels. En particulier, il a tenté de s’en rapprocher en accédant à des états seconds de conscience par l’absorption de substances hallucinogènes, de drogues ou par d’autres procédés comme la répétition excessive de paroles, de chants ou de gestes...
Dans certaines cérémonies ou situations, l’homme invite parfois ces entités spirituelles à prendre possession de son corps et de son esprit afin qu’elles s’expriment à travers lui.
Dans le cadre de ce propos, nous examinerons quelques-uns des aspects sonores de cette communication, d’une part au sein de ce que nous appellerons la “religion des esprits”, autrement dit “l’animisme” et d’autre part, à travers les religions du livre (bouddhisme, christianisme, hindouisme, islam, judaïsme).
La communication avec les entités spirituelles
Qu’il s’agisse de la religion des esprits ou des grandes religions, on distingue des formes sonores dédiées à l’éveil des entités spirituelles, aux requêtes ou prières, aux louanges, aux remerciements, aux offrandes, à l’exorcisation, à la possession et parfois à la manifestation sonore vocale ou instrumentalisée de leur propre voix et/ou parole. Les grandes religions — bouddhisme, christianisme, hindouisme, islam, judaïsme — ont élaboré elles aussi, à l’instar des croyances en les entités spirituelles évoquées ci avant, des systèmes de communication avec leurs entités propres (Dieu, prophètes, saints, héros…). Le principe reste identique : prier, louanger, rendre grâce, exorciser… Contrairement aux religions des esprits qui possèdent une multitude de systèmes de communications, on retrouve, à travers les différents pays du monde, pour une religion donnée, globalement des formes vocales et instrumentales similaires, influencées par la culture d’origine dans laquelle la religion a éclos ou dans laquelle elle s’est développée. Bien entendu, on rencontre nombre d’exceptions plus ou moins exotiques de syncrétismes culturels alliant culte importé et cultes premiers.
Notre propos va consister à illustrer, par l'exemple, ces diverses manières de communiquer avec les entités spirituelles.
Avant de communiquer avec les entités spirituelles, il faut préalablement éveiller leur attention, comme on le ferait avec l’un de nos semblables. Les méthodes utilisées sont diverses : incantations, chant, jeu instrumental.
Lieu & date : Mexique, Creel. 1995. Durée : 01:44. © P. Kersalé 1995-2024.
L’univers spirituel des indiens Tarahumaras du Mexique mêle des entités autochtones et d’autres importées depuis le XVIIe siècle par les Pères Jésuites. Laissons parler un Tarahumara :
« …Bien avant l’arrivée des Blancs sur nos terres, nous dansions yúmari. Alors, aujourd’hui, nous continuons cette tradition. Pour la fête de yúmari, nous faisons des offrandes, nous dansons, nous chantons, nous mangeons et nous buvons de la bière de maïs toute la nuit et même encore après le lever du soleil. Nous sacrifions et offrons à Dieu une chèvre. Quand nous chantons, nous ne connaissons pas les paroles ; certains disent qu’elles sont secrètes… Une légende raconte que, au commencement, la terre était molle et que six ancêtres dansèrent yúmari pour la rendre dure. Nous réunissons toutes les familles du pueblo puis nous dansons sur le patio de yúmari après y avoir installé les trois croix qui sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et un autel pour les offrandes. Autrefois les trois croix représentaient le Soleil, la Lune et l’Etoile du matin. Après avoir sacrifié la chèvre, nous jetons quelques gouttes de sang vers les quatre points cardinaux puis nous séparons les poumons et le cœur de l’animal. Ensuite nous faisons cuire la viande toute la nuit. Quand tous les invités sont arrivés, l’amphitryon donne la sáuraka (maracas) au wikaráame (prêtre traditionnel et chanteur) qui dirige la danse. Ce dernier s’avance vers les croix pour les saluer. Il se tient devant elles et agite le sáuraka. Il tourne ensuite autour des croix en s’arrêtant successivement aux quatre points cardinaux et agite une fois encore le sáuraka en direction de chacun d’eux. Cette séquence peut être répétée trois fois. Après cela, il commence à danser seul. Pour accompagner sa danse, il chante en s’accompagnant rythmiquement avec le sáuraka. Peu à peu, quelques invités, s’unissent à cette danse, les hommes à gauche et les femmes à droite du wikaráame, constituant deux files qui avancent, font demi-tour puis reculent. Après plusieurs va-et-vient, le rythme s’accélère et les danseurs dansent en deux cercles concentriques et contraires, les hommes à l’intérieur. Après plusieurs tours, les deux cercles changent de sens et celui des hommes vient à l’extérieur. La danse dure toute la nuit… »
Ainsi, bien que la nature de leurs entités spirituelles ait changé, les Tarahumaras continuent de les éveiller ainsi qu’ils le faisaient autrefois, en agitant le sáuraka. et en chantant des d’onomatopées dont ils ne connaissent plus le sens, mais qu’ils considéraient autrefois comme magiques...
Lieu & date : Burkina Faso – Vill. Bonfesso. 03 janvier 2000. Intervenant : Samé Palm. Durée : 00:47. © Patrick Kersalé 2000-2024.
Dans de nombreuses ethnies de l’Ouest africain, les devins sollicitent leurs entités spirituelles à l’aide d’une clochette en fer à battant interne.
Ici, il s’agit d’un devin de l’ethnie Dyan du Burkina Faso qui consulte ses esprits pour le compte de l’un de ses clients. La divination passe moins par la parole que par le geste. Les deux protagonistes sont assis à même le sol, l’un à côté de l’autre, jambes allongées. Le devin tient de sa main gauche la main droite du second ; il a disposé en vrac entre ses jambes divers objets (bagues, pierres, morceaux de bois, moyeu de roue de vélo, douille...). L’entité éveillée par la clochette guide les deux mains réunies vers un objet qui symbolisera tout ou partie de la réponse attendue. Cet objet est alors saisi puis déplacé.
Le devin obtient également des réponses à des questions verbalisées ou mentalisées en lisant la disposition des cauris qu’il a préalablement jetés devant lui.
Lieu & date : Cambodge - Vill. Siem Reap. 2 mars 1998. Direction orchestre : Dir. Luong Sok Kam. Durée : 02:19. © Patrick Kersalé 1998-2024.
Au Cambodge, les musiciens de l’orchestre pin peat, qui interprètent la musique classique khmère accompagnant la danse lors des représentations du Ramayana, commencent par éveiller les esprits avec une pièce nommée kru គ្រូ, afin d’être guidés par eux tout au long de leur prestation musicale. Ils jouent ensuite la pièce musicale présentée ici, nommée tra, destinée à coaliser les esprits pour que la musique soit belle.
L’orchestre est ici composé de deux xylophones (roneak ek, roneak thung), d’un métallophone (roneat dek), de deux carillons de gongs bulbés (kong vong thom, kong vong touch), d’un hautbois (sralai), d’un tambour en tonneau à deux peaux frappées avec les mains (samphor), d’une paire de tambours en tonneau jouée avec des baguettes (skor thom), d’une paire de petites cymbales (chhing). Au Cambodge, les musiciens de l’orchestre pin peat, qui interprètent la musique classique khmère accompagnant la danse lors des représentations du Ramayana, commencent par éveiller les esprits avec une pièce nommée kru គ្រូ, afin d’être guidés par eux tout au long de leur prestation musicale.
Au Cambodge, les musiciens de l’orchestre pin peat, qui interprètent la musique classique khmère accompagnant la danse lors des représentations du Ramayana, commencent par éveiller les esprits avec une pièce nommée kru គ្រូ, afin d’être guidés par eux tout au long de leur prestation musicale. Ils jouent ensuite la pièce musicale présentée ici, nommée tra, destinée à coaliser les esprits pour que la musique soit belle.
L’orchestre est ici composé de deux xylophones (roneak ek, roneak thung), d’un métallophone (roneat dek), de deux carillons de gongs bulbés (kong vong thom, kong vong touch), d’un hautbois (sralai), d’un tambour en tonneau à deux peaux frappées avec les mains (samphor), d’une paire de tambours en tonneau jouée avec des baguettes (skor thom), d’une paire de petites cymbales (chhing).
S’il est une diversité de formes expressives, c’est bien celle des requêtes ou prières, fondements essentiels de la communication avec les entités spirituelles. Elles sont soit silencieuses (communication directe entre l’âme ou l’esprit et les entités spirituelles), soit sonores. Dans ce dernier cas, les textes et/ou les onomatopées peuvent être chuchotés, parlés à voix intelligible, fredonnés, chantés, déclamés, scandés, accompagnés d’instruments sonores… Les requêtes sont adressées aux éléments de la nature, aux défunts et à leurs mânes, à tous types d’entités spirituelles. Les paroles décrivent des lieux, des faits, des individus, des sentiments, dessinent la réalité ou des abstractions de celle-ci, invitent les entités spirituelles à venir boire, manger, recueillir les fruits des sacrifices effectués en leur honneur, écouter de la musique, danser, sentir fleurs, parfums ou encens…
Lieu et date : Mali - Vill. Tirelli. 22 février 1996. Durée : 01:30. © Patrick Kersalé 1996-2024.
De tout temps, l’homme a cru pouvoir influencer les éléments de la nature. Qu’il s’agisse de faire tomber la pluie ou, au contraire, de stopper le déluge, de freiner ou dévier les laves d’un volcan en éruption, de calmer une mer déchaînée, il s’en remet aux entités spirituelles.
Les Dogon du Mali utilisent, comme nos ancêtres européens de la préhistoire, des pierres de meule ou encore des céraunies pour appeler la pluie. Ces dernières sont des pierres taillées et polies par des civilisations antérieures que les villageois ont autrefois trouvées en brousse. À l’origine, ces pierres étaient emmanchées et utilisées comme hache. Elles sont qualifiées par les Dogon de “pierres de tonnerre” et associées à une entité spirituelle qui leur confère le pouvoir de faire tomber la pluie. Dans chaque communauté villageoise existe un faiseur de pluie qui conserve cette pierre. Lorsque la saison des pluies tarde, les sages du village ont recours à lui. C’est alors qu’il déterre sa pierre, fait des sacrifices rituels à l’esprit associé à celle-ci et fait son incantation. Il accompagne celle-ci en frappant rythmiquement sa pierre de tonnerre avec une autre petite pierre non sacrée.
Voici un résumé succinct de cette prière en langage concret : « Grâce à toi, Amma (Dieu), nous avons passé une bonne nuit ; fasse que nous passions maintenant une bonne journée. Si la tradition est avérée, montre-nous ton pouvoir. Envoie-nous la pluie pour nos cultures et d’abondantes récoltes, meilleures que celles des autres, et donne longue vie aux villageois ayant effectué les semailles… »
Lieu & date : Viet Nam - Vill. Buôn Trap Meval. 09 mars 1998.
Intervenant : Y Djo’t Êban. Durée : 01:00. © Patrick Kersalé 1998-2024.
Il est courant, dans ce que nous appelons par convention “religion des esprits”, de sacrifier un ou plusieurs animaux (poussin, poule, coq, chèvre, mouton, chat, chien, bœuf, buffle...) lorsque l’on sollicite les entités spirituelles. Autrefois, on sacrifiait aussi des humains. Chez les Êđê du centre du Viêt Nam, le pô iêô Yang (littéralement “celui qui invoque les génies”) concilie plusieurs fonctions : il invoque les génies (yang), fait les sacrifices rituels et soigne.
Le lieu de l’invocation est choisi en fonction de l’objectif de chaque situation particulière. Le culte pour les essarts se déroule dans les champs, la cérémonie pour l’abattage d’un arbre au pied de celui-ci, le culte au génie du riz près du grenier...
Dans cet enregistrement, les invocations sont prononcées avec une tendance recto-tono tout en accordant un poids identique à chaque mot. Les phrases se terminent à la fin de l’expiration du récitant.
Lieu & date : Laos, Vill. Luang Prabang. 11 mars 1999. Durée : 01:41. © Patrick Kersalé 1999-2024.
Environ 60 % de la population laotienne pratique le bouddhisme Theravada, litt. “doctrine des anciens”. Il aurait été introduit à Luang Prabang entre la fin du XIIIe et le début du XVe siècle. La société bouddhique laotienne attend de tout jeune garçon bouddhiste qu’il entre au monastère à un moment de sa vie, si possible entre la fin de sa scolarité et son entrée dans la vie active ou avant qu’il ne se marie. À Luang Prabang, la population de jeunes moines est importante, la ville ne comptant pas moins de soixante-six pagodes.
Si, dans le déroulement de ses rituels, le bouddhisme Mahayana pratiqué au Tibet utilise de nombreux instruments de musique (tambours sur cadre, trompes, cymbales, conques...), le bouddhisme Theravada se contente quant à lui de quelques instruments d’appel et de ponctuation (gongs, cloches de bronze et de bois, tambours) rarement utilisés au cours des cérémonies de prières. Les bonzes se contentent de chanter a capella, et de manière homophonique et rythmée, les textes sacrés en langue pali. On remarquera l’émission sonore nasalisée, spécifique à ces chants religieux.
Les louanges, comme les prières, sont un dénominateur commun à presque toutes les religions. Par ce moyen, le croyant cherche à s’attirer les grâces de l’entité ou la remercier pour l’exaucement d’une requête.
Lieu & date : Liban. Vill. Jounieh. Chorale de l'Université de Kaslik. 1994. Durée : 01:52. © Patrick Kersalé 1994-2024.
La musique de l’Orient est exclusivement monodique. Lorsque l’on parle de polyphonie, il ne s’agit en fait que de polyphonie homophonique. Tout l’art de la pratique musicale de cette région du monde réside dans l’ornementation mélodique. Au Liban, les fidèles chrétiens maronites ou les chorales spécialisées chantent prières et louanges à l’attention du Christ ou de la Vierge Marie. La forme musicale s’apparente aux chants traditionnels sacrés ou profanes du Moyen-Orient. Ces chants, appelés syro-maronites, comportent des textes poétiques anciens ou récents en langue syriaque ou arabe adaptés à des mélodies dont certaines remonteraient aux premiers siècles de l’ère chrétienne. Leur caractère strophique et syllabique permet à la mélodie de s’adapter aisément. L’étendue de la mélodie se restreint généralement à une tierce, une quarte ou une quinte avec des mouvements presque toujours conjoints. Ces chants, le plus souvent interprétés a cappella par les fidèles, peuvent s’assortir, au cours des temps liturgiques importants (Noël, Pâques...), de quelques instruments traditionnels d’accompagnement.
Il s’agit ici d’un chant de louanges à l’attention de la Vierge Marie, interprété en arabe. Précisons simplement que l’introduction de l’orgue constitue un apport récent.
Lieu & date : Rajasthan - Vill. Khuri. 29 octobre 1996. Durée : 01:40. © Patrick Kersalé 1996-2024.
Le bhajan désigne les chants de louanges aux divinités du panthéon hindou. Il peut être interprété aussi bien dans les maisons particulières que dans les temples. Son répertoire comporte des milliers de chants exprimés en langue véhiculaire, vernaculaire ou en sanskrit.
Le chant ici présenté, enregistré à l’extrême ouest du Rajasthan, s’accompagne du luth tandura, des petites cymbales manjira et d’un pot d’argile globulaire (ghara) servant originellement au transport de l’eau. À l’intérieur de ce récipient, on envoie une petite quantité d’air préalablement comprimé dans la cavité buccale et détendu très rapidement.
Le tandura, luth à manche long, mesure un peu plus d’un mètre. Entièrement en bois, il comporte cinq cordes tendues par des chevilles situées à l’extrémité du manche. Quatre cordes sont accordées à la tonique et la cinquième à la quinte. Elles sont grattées avec la partie supérieure de l’ongle de l’index ou du majeur pendant qu’un doigt de l’autre main frappe rythmiquement la table d’harmonie.
Lieu & date : Burkina Faso - Prov. Seno - Vill. Bani. Octobre 1997.
Durée : 01:29. © Patrick Kersalé 1997-2024.
Les louanges, comme les prières, s’emploient dans la plupart des religions. Par ce moyen, le croyant cherche à s’attirer la grâce des entités ou à les remercier pour l’exaucement d’une requête.
Les musulmans n’utilisent pas d’instruments musicaux dans les mosquées, mais chantent les louanges du Dieu unique Allah en répétant inlassablement leur profession de foi (chahada) :
« Je témoigne qu’il n’y a de dieu que Dieu, unique et sans associé et je témoigne que Mohammad est Son serviteur et Son envoyé. »
Dans cet enregistrement rare, effectué au nord du Burkina Faso dans le village peul de Bani, les hommes chantent en antiphonie.
Musiciens : Hari Ram Bhopa, Suntos Bhopi. Lieu & date : Rajasthan, vill. Jaisalmer. Février 2006. Durée : 02:50. © P. Kersalé 2006-2024.
La séquence pas-à-pas
00:00 - Le musicien Hari Ram Bhopa. Remarquer les grelots fixés à l’archet.
00:03 - Épouse d’Hari Ram Bhopa : Suntos Bhopi, dans son costume et ses bijoux quotidiens.
00:56 - Pad représentant l'épopée de la divinité Pabuji constituée de 52 compositions poétiques (panwaras). Idem pour la suite.
Dans de nombreux pays du monde, on honore des héros du passé érigés en demi-dieux. La musique, le chant et la danse sont parfois le support indispensable à l’accomplissement des rites. Au Rajasthan, les musiciens chanteurs Bhopa racontent la vie et les épopées du dieu-héros Pabuji en s’accompagnant de la vièle ravanahattha रावणहत्था. Tandis que le Bhopa chante et joue, sa femme, la Bhopi, danse devant un pad, immense pièce d’étoffe sur laquelle est peinte la vie de la divinité. La danseuse éclaire périodiquement, de la lueur d’une lampe à huile, la scène décrite par le chant.
Le ravanahattha, vièle à manche long en bambou de 60 à 80 cm, comporte une caisse de résonance réalisée dans une demi-noix de coco. Elle possède deux cordes de jeu. L’une, en crin de cheval torsadé, se destine au jeu mélodique tandis que l’autre, en métal, fait office de bourdon optionnel. S’ajoutent à celles-ci une quinzaine de cordes sympathiques accordées diatoniquement, qui confèrent au son une ampleur acoustique faisant penser aux systèmes de réverbération utilisés dans les studios d’enregistrements.
Les chevilles d’accordage sont réparties sur toute la longueur du manche. L’archet de bois, monté de crins de cheval lâches, mais tendus avec le pouce au cours du jeu, dispose de grelots coulissant sur une ficelle. Le musicien accompagne rythmiquement la mélodie par de brusques coups d’archets qui font tinter les grelots.
Dans certaines sociétés pratiquant la religion des esprits, des pratiques musicales ont pour objectif d’inviter les entités spirituelles à habiter le corps et l’esprit humain. Ces entités ont le pouvoir de parler à travers des signes corporels ou à travers la bouche des individus qu’elles viennent habiter temporairement. Ces rituels ont principalement pour rôle de rendre des oracles, de déterminer la cause d’un problème ou d’une maladie et de proposer des remèdes. Lorsqu’ils sont sonores, ces oracles peuvent être parlés, psalmodiés, chantés, avec le timbre de voix du possédé ou, selon la croyance, avec celui de l’entité. Les textes peuvent être proférés en langage concret ou métaphorique. Il s’agit là d’une autre forme de communication avec les entités spirituelles, qui n’a plus lieu dans le sens individu/entité mais dans le sens inverse, puisque celles-ci utilisent l’appareil phonatoire humain pour apporter leur savoir. Selon la croyance, certaines entités ont des centaines, voire des milliers d’années d’existence, aussi fait on appel à leurs connaissances et à leur grande expérience de la vie pour résoudre les problèmes d’ici-bas.
La possession par une entité spirituelle peut être ou non accompagnée de transe. Quand c’est le cas, certaines manifestations apparaissent parfois chez le possédé : modification plus ou moins profonde de son état de conscience, frénésie, exophtalmie, écume…
Lieu & date : Mali - Tombouctou. 15 septembre 1998. Musiciens : Hamadoun Garba Guité, Ibrahim Kangay, Mahaman Al Husseini. Durée : 02:38. © Patrick Kersalé 1998-2024.
Les Songhay du Mali pratiquent le culte appelé hollo-horey qui semble prendre sa source chez les Zarma du Niger. Ces derniers considèrent ce culte comme une survivance de pratiques datant probablement de l’époque de l’Égypte pharaonique. La cérémonie, dirigée par un maître appelé zimba, permet aux hommes d’entrer en contact avec le monde des entités spirituelles. Des musiciens-chanteurs spécialisés adressent des louanges aux esprits à travers le seul jeu d’une vièle qui transpose la parole. Les chanteurs les plus érudits peuvent louanger une même entité de trente à quarante manières différentes, en fonction de ce qu’ils attendent d’elle.
Des adeptes, hommes et femmes, dansent inlassablement sur la musique selon une codification très précise. Ils espèrent ainsi être possédés par l’un des nombreux esprits de leur panthéon. Dès que l’un d’eux se manifeste, le “possédé” se retrouve en état de transe de possession. Il peut alors rendre des oracles pour éclairer les consultants venus l’interroger sur un problème ou une maladie dont ils ignorent la cause.
La vièle monocorde à manche court njerka, possède une caisse de résonance en calebasse. Dans l’orchestre, elle est accompagné de deux larges demi-calebasses (gaasu), puissamment frappées avec deux bâtons, et de deux paires de hochets à percuteurs internes (jollo) constitués de petites calebasses oblongues.
Dans les religions des esprits, les entités spirituelles se manifestent parfois de manière sonore soit directement à travers la bouche des humains soit à travers des objets sonores fabriqués par eux. Ces manifestations sonores sont souvent considérées comme une possession de l’homme par les entités spirituelles. Si elles servent la plupart du temps à rendre des oracles elles sont parfois aussi un instrument de pouvoir des initiés sur les non-initiés. En Afrique noire, ces voix peuvent êtres considérées comme des masques sonores, à l’instar des masques visuels (masque facial ou cimier, accoutrement spécifique). Masques sonores et visuels vont de pair ou sont indépendants.
Lieu & date : Village d'Obiré. Gan. Burkina Faso. 1er janvier 2003.
Durée : 01:16. © Patrick Kersalé 2003-2024.
Les Gan du Burkina Faso éveillent leurs génies avec des hochets à percuteurs interne en calebasse tɛgɩrɛ auxquels ils impriment un mouvement rotatif continu. Ce mouvement, combiné aux chants et à l’ambiance créée, conduit fréquemment les initiés à des états de transe plus ou moins profonds (cris, état semi-comateux, tremblements, oracles…).
Ici, un devin et une divineresse chantent en contrepoint. Après l’extrait de la partie chantée, on entend distinctement le changement de registre vocal. Le génie parle avec la voix de tête de l’homme. Selon la croyance, les génies “parlent” en utilisant le système phonatoire humain. Comme chaque devin est titulaires de plusieurs génies, il reconnaît aisément celui qui les a possédé en fonction du timbre de “sa” voix.
Il s’agit-là, selon la croyance, d’une manifestation sonore des génies. Les Gan, comme toutes les autres sociétés traditionnelles d’Afrique noire, possèdent une science limitée de la médecine. Aussi s’appuient-il sur le grand savoir des génies pour établir et le diagnostique médical et la prescription. Ces entités spirituelles sont, selon la croyance, parfois âgées de plusieurs centaines d’années. C’est cette longue expérience de la vie que les hommes utilisent. On les consulte à tout moment. En vérité, les réponses sont rarement concrètes. Les génies “s’expriment” en métaphores, invitant le consultant à faire lui-même son propre examen de la situation. Une forme archaïque de la psychothérapie moderne !
Contexte de la vidéo : « En ce jour de Nouvel An 2003, la case du porte-parole du 28e roi des Gan est accidentellement incendiée. Un coup de vent a projeté la porte de paille sur le foyer où le riz était en train de cuire. Mais voilà, tout accident a nécessairement une cause. C'est pourquoi les deux devins cherchent à connaître la raison de ce drame. »
Lieu & date : Burkina Faso - Vill. Bonfesso. Intervenant : Sié Dè Fonlé Nyiminou. 3 janvier 1998. Durée : 01:32. © Patrick Kersalé 1998-2024.
L’enregistrement ici proposé correspond à une séance de divination chez les Dyan. En préalable, le consultant apporte, comme rétribution pour les entités spirituelles, cinq cauris qu’il dépose sur le sol. Ensuite, il expose sa requête au devin. Ce dernier interroge ses esprits par l’intermédiaire d’un système divinatoire peu commun : trois bâtonnets munis d’un poids à une extrémité sont lancés dans une jarre remplie d’eau. Ils flottent verticalement tout en se déplaçant avant de se stabiliser. Le devin analyse alors leur disposition. La réponse prend corps de curieuse manière : l’entité spirituelle s’exprime à travers la voix du devin non pas au moment de son expiration, mais lors de l’inspiration, ce qui confère au son cette texture caverneuse. On entend clairement l’acquiescement permanent du consultant après chaque “parole de l’esprit”. Ces réponses, formulées dans un langage imagé, laissent au consultant le soin de les analyser, de les rapprocher de sa propre situation et de chercher lui-même une solution à son problème.
À l’issue de la séance, l’entité spirituelle peut, selon le cas, demander réparation pour un préjudice ou un acte délictueux commis par le consultant, mais aussi exiger une rétribution supplémentaire (sous forme de cauris, de farine de mil, de bière de sorgho, de sang animal…) pour son intervention.
Durée : 02:37. © CNC (Centre National de la Cinématographie).
Cette vidéo offre l'une des rares occasions de voir un rhombe africain en action dans un cadre cérémoniel car il est souvent interdit de filmer les cérémonies initiatiques. Grâce à l'intelligence artificielle, nous avons converti (en 2022) cet extrait de 25 à 100 images par seconde en reconstituant toutes les images manquantes et, par la même occasion, avons changé le format SD (Simple Définition) en HD (Haute Définition).
Un des exemples les plus spectaculaires de manifestation sonore des entités spirituelles se rencontre à travers l’utilisation du rhombe, aérophone tournoyant répandu dans une grande partie du monde. Les nombreux interdits et secrets qui planent autour de lui constituent, pour les initiés, des éléments de connaissance et de pouvoir tout à fait indéniables.
Chez les Dogon du Mali, le son du rhombe représente la voix du “Grand Masque” (imina nà) ; “masque visuel” et “masque sonore” vont de pair.
Lorsque le rhombe vrombit, tous les non-initiés, y compris les femmes, doivent se terrer dans leur mai- son et n’en sortir qu’au moment où la “voix” s’apaise. Lors de certaines cérémonies, on peut entendre plusieurs dizaines de rhombes chaque nuit pendant un mois. Pareille situation perturbe voire terrorise une partie de la population.
En pays Dogon, le rhombe est en bois, plus rarement en métal. Il a une forme de pale oblongue dont la longueur varie de 20 à 45 cm et la largeur de 4 à 5 cm. À l’issue de sa fabrication et avant toute utilisation, on le consacre en lui offrant le sang du sacrifice effectué pour le Grand Masque. Lorsqu’il n’est pas utilisé, il se range dans l’abri du masque ou dans une anfractuosité rocheuse à l’abri des regards et des termites.
Selon les croyances, les entités spirituelles, au même titre que les hommes, attendent reconnaissance et rétribution de leurs services. Leurs connaissances et leurs pouvoirs, mis à la disposition des hommes, sont récompensés avant, pendant ou après une requête. Les hommes marquent généralement leur reconnaissance par des offrandes : fleurs, nourritures, boissons, sang animal (aujourd’hui plus rarement humain), musique, danse, œuvres sculptées ou peintes… Concernant les seules offrandes musicales, il est parfois difficile de déterminer les limites de ce qui est offert aux entités spirituelles et de ce qui représente la part directement destinée aux humains. Ces offrandes sont quelquefois de simples invitations aux entités à partager la fête avec les hommes.
Lieu & date : Indonésie - Bali - Vill. Ubud. 1991. Durée : 02:15. © Patrick Kersalé 1991-2024.
À Bali, dans les temples, les hindouistes invitent les divinités à descendre sur un autel spécialement apprêté pour elles. Ils les convient à manger les offrandes esthétiques et colorées, les honorent par des sacrifices sanglants, les invitent à écouter le gamelan et à regarder les danseuses qui, à travers leurs gestes et leur regard, communiquent symboliquement avec elles. Le gamelan, même s’il est constitué d’un grand nombre d’instruments, doit être considéré comme une seule et même entité instrumentale. Les “outils sonores” caractéristiques qui le composent sont en bronze ou en bambou, plus rarement en fer ou en bois.
On distingue différentes catégories : les gongs suspendus (gong, kempur, bendé, kenong...), les gongs disposés horizontalement (terompong, réong), les lamellophones (gèndèr, gangsa, saron), les tambours à deux membranes (kendang), les cymbalettes sur socle (cèng-cèng, rincik), la flûte à bandeau (suling) ou encore la vièle bicorde à archet (rebab). Chaque catégorie possède une fonction immuable, soit mélodique, soit de soutien rythmique, soit de ponctuation.
À propos du langage du gamelan, Catherine Basset écrit : « Avec sa structure pyramidale et cyclique, son absence de tension harmonique, la musique de gamelan ne fonctionne pas comme un langage, mais la colotomie des différents gongs marque en quelque sorte les “à la ligne” ainsi que les points et les virgules des phrases musicales1 ». On remarquera l’extrême virtuosité dont font preuve les interprètes de la pièce proposée dans cet enregistrement, les importants changements de dynamique de l’orchestre, la ponctuation des grands gongs suspendus et l’entrée plus tardive des flûtes.
_____________
1. Catherine Basset. Musiques de Java à Bali. Cité de la Musique / Actes Sud. 1995.
Lieu & date : Viêt Nam, prov. Đắk Lắk, vill. Buon Ako Dhong. Mars 2002.
Durée : 01:45. © Patrick Kersalé 2002-2024.
Les Êđê des hauts plateaux du centre du Viêt Nam, comme la plupart des minorités proto-indochinoises de cette région, ont une véritable culture des gongs. Chaque famille aisée en possède au moins un ensemble, ce qui constitue un signe extérieur de richesse.
Autrefois, les gongs servaient de monnaie d’échange. Selon leur taille et la qualité de leur alliage, ils pouvaient être troqués contre un éléphant, des buffles, un esclave ou encore servir à racheter une faute. Le plus grand des gongs plats (čhar) compensait la perte d’une vie humaine.
L’ensemble de gongs — 3 gongs à mamelon, 7 gongs plats et 1 grand tambour en forme de tonneau — s’utilise lors d’occasions diverses : décès, cérémonie d’abandon du tombeau, inauguration d’une maison… Dans les rituels importants, en plus de ces offrandes musicales aux génies (yang), on sacrifie des buffles en leur honneur. Lorsque les gongs sont joués dans la maison, la tradition codifie très strictement l’emplacement de chaque instrument.
Il n’existe que deux moyens pour se prémunir contre les mauvais esprits ou considérés comme tels : s’en protéger ou les exorciser. On pourrait également ajouter, les ignorer, mais ceci est hors de notre propos. Il existe de nombreuses techniques sonores d’exorcisation : instrumentale, parole, déclamation, chant, en langage concret, métaphorique, onomatopéique…
Lieu & date : Viêt Nam - Vill. Xùng Phài (près Tam Duong). 18 octobre 1995. Durée : 00:21. © Patrick Kersalé 1995-2024.
La religion des esprits chez les Hmong du Viêt Nam est centrée sur une interaction étroite avec les esprits qui habitent le monde environnant, appelés dab. Ils croient que ces esprits influencent les aspects essentiels de la vie quotidienne, comme la santé, la fertilité, les récoltes et la prospérité. Les Hmong vénèrent à la fois les esprits des ancêtres et ceux de la nature (comme les esprits des rivières et des montagnes) et s'efforcent de maintenir une harmonie avec eux par des rituels et des offrandes.
L'autel domestique, situé à l'intérieur de la maison, joue un rôle crucial dans cette religion. Il est dédié aux ancêtres et aux esprits protecteurs du foyer, et c'est là que les membres de la famille effectuent des prières et des offrandes de nourriture, d’encens et de papiers votifs pour assurer la protection et la bénédiction des esprits. Cet autel est un lieu sacré qui renforce les liens entre le monde des vivants et celui des ancêtres, et il sert à invoquer la bienveillance des esprits pour le bien-être de la famille. Pour exorciser les esprits maléfiques, ils utilisent un langage ésotérique onomatopéique.