La mythologie gréco-romaine offre une riche tapisserie de symboles et de contrastes, parmi lesquels la dichotomie entre la flûte de Pan et la lyre d'Apollon occupe une place particulière. Ces deux instruments, associés à des divinités distinctes, incarnent des aspects fondamentalement différents de la musique et, par extension, de la nature humaine elle-même. La flûte de Pan, rustique et primitive, évoque les sons de la nature sauvage et les passions instinctives, tandis que la lyre d'Apollon représente l'harmonie, la raison et les arts raffinés de la civilisation. Cette opposition musicale transcende le simple domaine artistique pour refléter une tension plus profonde entre nature et culture, entre spontanéité et ordre, qui a longtemps fasciné les penseurs et artistes de l'antiquité. À travers l'exploration de ces deux instruments mythiques et de leurs connotations, nous plongeons dans une réflexion sur les dualités qui structurent la pensée occidentale depuis ses origines grecques.
Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 2009-2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour :29 octobre 2024.
SOMMAIRE
Pan vs Apollon
Orphée et les animaux
Musicothérapie antique (hors cadre de soin ?)
Qu'en disent les neurosciences ?
La maison de la harpiste
Reconstitution de la harpe
Voici une analyse musicothérapeutique succincte basée sur des citations anciennes impliquant le dieu Pan et sa flûte, avec leurs effets psychologiques. Ces citations illustrent la dualité de l'effet psychologique de la musique de Pan : d'un côté, elle peut être apaisante et séduisante, de l'autre, elle peut provoquer la peur et le chaos. Cette ambivalence reflète la nature complexe de Pan en tant que divinité de la nature sauvage. Il convient également de distinguer l'instrument — la flûte de Pan — des sons ou de la musique qu'il produit. Si l'objet est entouré de poésie, son usage par le chèvre-pied peut s'avérer anti-musicothérapeutique puisqu'il peut produire la panique dans le troupeau.
Hymne homérique à Pan (vers 19-21). Cette citation suggère que la musique de Pan a un effet apaisant et harmonieux sur la nature et ceux qui l'écoutent. Elle évoque un sentiment de paix et d'unité avec l'environnement.
« ἀγρονόμου τ᾽ ἀγαθὸν Πάνα καὶ εὔσκοπον Ἑρμῆν μιγδ᾽ ἐπ᾽ ἀπειρεσίην γαῖαν φοιτᾶν ἀνὰ πάντα, συρίζων καλὰ καὶ λιγέως ἐν δόνακι κοίλῳ »
« Pan, le bon gardien des champs, et Hermès à l'œil perçant, parcourent ensemble toute la terre immense, jouant de beaux airs mélodieux sur le roseau creux »
Longus, Daphnis et Chloé (Livre II, 34). Cette description de l'origine de la flûte de Pan lie l'instrument à l'amour et à la beauté. L'effet psychologique suggéré est celui d'une musique capable d'évoquer des émotions profondes et peut-être même de susciter l'amour ou le désir.
« Ἡ σῦριγξ τὸ ὄργανον τοῦτο οὐκ ἦν πάλαι, ἀλλ᾽ εὕρημα ἔρωτος σοφὸν καὶ παρθένου καλῆς. »
« La syrinx, cet instrument, n'existait pas autrefois, mais c'est une invention ingénieuse de l'amour et d'une belle vierge »
Plutarque, Sur la disparition des oracles (17). Cette annonce de la mort de Pan évoque un sentiment de perte et de changement profond. L'effet psychologique est celui d'une rupture avec l'ancien monde et ses croyances, suscitant peut-être de l'anxiété ou de la mélancolie.
« φωνὴν ἀπὸ τῆς νήσου τῶν Παξῶν ἀκουσθῆναι πολλῶν ἐξάκουστον βοῶσαν τὸν Θαμοῦν [...] ὅτι 'ὁ μέγας Πὰν τέθνηκε' »
« Une voix fut entendue venant de l'île de Paxos, criant fort pour que beaucoup l'entendent, appelant Thamous [...] que 'le grand Pan est mort' »
Longus, Daphnis et Chloé (Livre II, 37). Cette citation montre le pouvoir de Pan à induire la panique et la frénésie. L'effet psychologique est celui de la peur irrationnelle et du chaos.
« Ὁ δὲ Πὰν ὀργισθεὶς τῇ τέχνῃ, ὅτι μὴ καὶ αὐτὸς ἐρῶν ἐτύγχανε τῆς Σύριγγος, ἐμβάλλει τοῖς ποιμέσι καὶ τοῖς αἰπόλοις λύσσαν »
« Pan, irrité par cette ruse, car il se trouvait lui-même épris de Syrinx, jeta une frénésie parmi les bergers et les chevriers »
Théocrite, Idylle I (vers 123-126). Cette invocation à Pan suggère un désir de connexion avec la nature sauvage et une croyance en son pouvoir d'inspiration. L'effet recherché est celui d'une présence divine bienveillante et inspirante.
« ὦ Πὰν Πάν, εἴτ᾽ ἐσσὶ κατ᾽ ὤρεα μακρὰ Λυκαίω, εἴτε τύγ᾽ ἀμφιπολεῖς μέγα Μαίναλον, ἔνθ᾽ ἐπὶ νᾶσον τὰν Σικελάν, Ἑλίκας δὲ λίπε ῥίον αἰπύ τε σᾶμα τῆνο Λυκαονίδαο, τὸ καὶ μακάρεσσιν ἀγητόν. »
« Ô Pan, Pan, que tu sois sur les hauts sommets du Lycée, ou que tu parcoures le grand Ménale, viens sur l'île de Sicile, abandonne le pic d'Hélice et le haut tombeau du fils de Lycaon, admirable même aux yeux des bienheureux.»
Virgile, Bucoliques, Églogue II (vers 32-33). Cette citation attribue à Pan un rôle d'instructeur et de protecteur. L'effet psychologique est celui de la confiance et de la sécurité, particulièrement pour les bergers et les habitants des campagnes.
« Pan primus calamos cera coniungere pluris instituit, Pan curat ovis oviumque magistros. »
« Pan fut le premier à joindre plusieurs roseaux avec de la cire, Pan veille sur les brebis et les bergers. »
Ovide, Métamorphoses (Livre I, 705-706). Ici, la musique de Pan est présentée comme séduisante et envoûtante, capable d'attirer et de charmer les nymphes. L'effet psychologique est celui de la séduction et de l'attraction.
« Pan ibi dum teneris iactat sua carmina nymphis et leve cerata modulatur harundine carmen »
« Là, tandis que Pan vante ses chants aux tendres nymphes et module un air léger sur ses roseaux enduits de cire »
Ovide, Métamorphoses (Livre XI, 146-193). L'analyse psychologique et musicothérapeutique du duel musical entre Pan et Apollon révèle une riche symbolique des processus psychiques humains. Pan incarne l'aspect instinctif et primitif de la psyché, sa musique évoquant les pulsions et émotions brutes. En contraste, Apollon représente l'intellect et la culture raffinée, sa musique symbolisant l'harmonie et le contrôle des passions. Ce duel peut être interprété comme une métaphore du conflit intérieur entre ces deux facettes de l'esprit humain. La musique de Pan, décrite comme "barbare", semble avoir un effet hypnotique, touchant les émotions primaires et l'inconscient. Elle pourrait être associée à des approches thérapeutiques visant à libérer les émotions refoulées. La musique d'Apollon, caractérisée par sa "douceur", a un effet plus intellectuel et pourrait être utilisée dans des thérapies visant à restaurer l'harmonie mentale ou à apaiser l'anxiété. Les réactions divergentes de Tmolus et Midas illustrent comment la perception de la musique varie selon la personnalité et le niveau culturel de l'auditeur. La punition de Midas symbolise potentiellement les conséquences d'un attachement excessif aux aspects primitifs de la psyché au détriment du développement intellectuel. Cette analyse souligne la complexité des effets psychologiques de la musique, son potentiel thérapeutique, et l'importance de l'équilibre entre les aspects instinctifs et rationnels de l'esprit humain.
« Pan ibi dum teneris iactat sua carmina nymphis et leve cerata modulatur harundine carmen, ausus Apollineos prae se contemnere cantus, iudice sub Tmolo certamen venit ad inpar. Monte suo senior iudex consedit et aures liberat arboribus: quercu coma caerula tantum cingitur, et pendent circum cava tempora glandes. Isque deum pecoris spectans 'in iudice' dixit 'nulla mora est.' Calamis agrestibus insonat ille barbaricoque Midan (aderat nam forte canenti) carmine delenit. Post hunc sacer ora retorsit Tmolus ad os Phoebi: vultum sua silva secuta est. Ille caput flavum lauro Parnaside vinctus verrit humum Tyrio saturata murice palla instrictamque fidem gemmis et dentibus Indis sustinet a laeva, tenuit manus altera plectrum. Artificis status ipse fuit. Tum stamina docto pollice sollicitat, quorum dulcedine captus Pana iubet Tmolus citharae submittere cannas. Iudicium sancti subiit indignata senis et tibia victa suo est Pallantias ira. »
« Là, tandis que Pan vantait ses chants aux tendres nymphes et modulait un air léger sur ses roseaux enduits de cire, il osa mépriser les chants d'Apollon devant lui, et vint à un concours inégal, Tmolus étant juge. Le vieux juge s'assit sur sa montagne et libéra ses oreilles des arbres : seule une couronne de chêne ceint sa chevelure azurée, et des glands pendent autour de ses tempes creuses. Regardant le dieu des troupeaux, il dit : 'Le juge est prêt.' Pan joue sur ses chalumeaux rustiques et charme Midas (qui assistait par hasard au chant) de son air barbare. Après lui, le sacré Tmolus tourna son visage vers Phébus : sa forêt suivit son mouvement. Celui-ci, la tête blonde ceinte du laurier du Parnasse, balaye le sol de son manteau saturé de pourpre tyrienne et tient de la main gauche sa lyre ornée de gemmes et d'ivoire indien, tandis que l'autre main tient le plectre. Sa posture même était celle d'un artiste. Alors, de son pouce habile, il fait vibrer les cordes, dont la douceur captive Tmolus, qui ordonne à Pan de soumettre ses roseaux à la cithara. Le jugement du vieux dieu est approuvé par tous ; seul Midas le conteste et le trouve injuste. »
Platon, La République (Livre III, 399d-e). Platon souligne ici l'importance de différents modes musicaux pour différents états psychologiques et activités. Cette idée est fondamentale en musicothérapie moderne, où différents styles et rythmes musicaux sont utilisés pour induire des états émotionnels spécifiques ou accompagner diverses activités thérapeutiques. L'association de la musique à des fonctions comme la prière, l'enseignement et l'exhortation suggère son potentiel pour faciliter l'introspection, l'apprentissage et la motivation dans un contexte thérapeutique.
« Λείπεται δὴ τὸ ἀπολεμικόν τε καὶ τὸ εἰρηνικόν. [...] Οὐκοῦν τούτων δεῖ πρὸς πάσας τὰς χρείας καὶ περιπάτους καὶ πρὸς τὰ καρτερήσεις καὶ πρὸς μαλακίας, καὶ ὁ μὲν τὰς εὐχὰς ἀποδιδοὺς καὶ διδασκαλίας, ὁ δὲ πειθόμενός τε καὶ νουθετούμενος; »
« "Il reste donc le mode pacifique et le mode guerrier. [...] Ne faut-il pas ces deux modes pour toutes les circonstances, pour les marches, les moments d'endurance et de relâchement, l'un pour la prière et l'enseignement, l'autre pour l'obéissance et l'exhortation ? »