Les pleureuses de la tombe de Ramose


Dans l'Égypte antique, les pleureuses occupaient une place prépondérante au sein des rituels funéraires, remplissant une double fonction : elles incarnaient l'affliction des proches du défunt tout en conférant une dimension solennelle et spectaculaire aux obsèques.

La tombe de Ramose, vizir de la XVIIIe dynastie, offre une illustration remarquable de cette pratique. Les représentations picturales y révèlent une organisation minutieuse des pleureuses, réparties en deux groupes distincts : l'un dédié aux lamentations et aux pleurs, l'autre à la déclamation ou au chant d'élégies funèbres. Cette mise en scène funéraire, caractérisée par une expressivité exacerbée tant gestuelle que sonore, revêtait une signification qui dépassait la simple manifestation du deuil. En effet, cette démonstration ostentatoire visait également à capter l'attention des entités spirituelles bienveillantes. Dans la conception égyptienne de l'au-delà, ces manifestations ritualisées étaient perçues comme un moyen de faciliter le périple du défunt vers le monde des morts. Cette transition, objet de fantasmes et d'espérances pour les vivants de l'époque, constituait l'ultime aspiration de l'existence terrestre dans la pensée religieuse de l'Égypte antique.

 

Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 2009-2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 7 octobre 2024.


SOMMAIRE

PISTES PÉDAGOGIQUES

  • Compréhension de texte. Résumer en quelques phrases le rôle des pleureuses dans les rituels funéraires égyptiens. 
  • Vocabulaire. Rechercher la définition de mots spécifiques comme "vizir", "iconographie", "épigraphie", "nôme".
  • Expression écrite. Imaginer et écrire une courte lamentation funéraire à la manière des pleureuses égyptiennes.
  • Expression corporelle. Mimer les gestes des pleureuses décrits dans le texte. Créer une courte chorégraphie représentant les mouvements des pleureuses lors d'un cortège funéraire.
  • Débat et réflexion. Discuter de l'importance des rituels funéraires dans les sociétés anciennes et modernes. Réfléchir sur les différentes façons d'exprimer le deuil dans diverses cultures.
  • Découvrir l'Égypte antique avec les Éditions Lugdivine.

Généralités

Les pleureuses ou, plus rarement, les pleureurs, sont des personnes engagées pour feindre le chagrin lors des funérailles, afin de rendre plus fastueux l'hommage rendu au défunt. Si on les nomme pleureuses ou pleureurs, elles/ils ne font pas que pleurer. Elles/ils sont aussi capables de déclamer ou chanter des lamentations. Ces acteurs se substituent parfois à des personnes dont le statut social ne permet pas l’expression de ce type de sentiment, comme au Rajasthan (Inde). Les pleureuses sont attestées dès l’Antiquité en Mésopotamie, en Égypte et dans les textes bibliques. Leur service persiste dans certaines cultures au XXIe siècle, notamment en Afrique et en Asie. Au Cambodge, des outils sonores ont été inventés de longue date pour se substituer aux pleureuses. 

Les tenants et aboutissants des pleurs et lamentations présentent de nombreuses similitudes et points de convergence, hormis les particularités pouvant exister ça-et-là : dissimulation dans la masse et partage collectif du chagrin individuel, hommage collectif au défunt en une forme théâtralisée, renouvellement perpétuel de l’acceptation des règles collectives du processus de deuil… 

Le nombre et la qualité des acteurs professionnels (gagnant leur vie avec cette activité) ou semi-professionnels (se partageant entre diverses activités rémunératrices) marquent le statut social du défunt. Leur nombre varie, selon la culture, la fortune et les intervenants disponibles, de un(e) à N.

On rencontre deux grandes typologies de rituels funèbres. La première, théâtralisée, implique un engagement physique de la communauté des participants ; on peut y voir et entendre des gémissements, des cris, des pleurs, des démonstrations gestuelles expansives, des chants, etc. L’autre, plus calme, implique des postures d’abattement, de tristesse contenue, muette ou exprimée.


Les pleureuses dans les rituels funéraires

Il a existé, depuis la plus haute antiquité égyptienne, et il existe aujourd’hui encore, des pleureuses dans les rituels funéraires, notamment en Afrique et en Asie. Certaines font partie du cercle familial ou villageois tandis que d’autres sont des professionnelles rémunérées. Nous allons découvrir l’une des plus belles représentations de pleureuses de l’antiquité égyptienne, celles de la tombe de Ramose, un vizir de la 18e dynastie au tournant des règnes des pharaons Amenhotep III et Amenhotep IV, alias Akhenaton. La tombe est située au pied de la colline de Cheikh Abd el-Gournah à Thèbes.

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Dans la plupart des tombes de l'Égypte antique, l’iconographie des pleureuses est réduite au minimum. Au Nouvel Empire, on peut voir des femmes de tout âge, des fillettes et des enfants. 

Les gestes des pleureuses sont stéréotypés, essentiellement les mains tournées vers le visage, placées au-dessus de la tête en signe d’affliction, ou bien tournées vers l’extérieur en signe de communication avec le défunt. Si ces gestes sont ceux des femmes du commun, ils le sont aussi pour les divinités telles Isis et Nephtys dans la déploration autour de la dépouille d’Osiris. Parfois, les larmes sont matérialisées. 

Si on les nomme pleureuses — ou pleureurs, car les hommes, eux aussi, pleurent, — elles ne font pas que pleurer. Elles sont aussi capables de déclamer ou chanter des lamentations ou d'élégies. Elles se livrent à une forme de “théâtre total” dans lequel elles s’impliquent de manière physique et sonore. 



La tombe de Ramose

Intérieur de la tombe de Ramose. Au fond, le mur sud et la fresque du cortège funèbre.
Intérieur de la tombe de Ramose. Au fond, le mur sud et la fresque du cortège funèbre.

L’épigraphie pharaonique en offre de nombreux exemples d'élégie funèbre. En voici un exemple :

 

« La maison de ceux qui sont à l’Occident est profonde et sombre.

Elle n’a ni porte ni fenêtre,

Pas de lumière pour l’éclairer, 

Pas de vent du nord pour rasséréner le cœur. 

Là-bas, le soleil ne se lève pas. 

Ils sont endormis tout le temps, 

Car l’obscurité s’étend au jour. 

Comme le défunt serait bien portant si l’on pouvait respirer l’air ! »

 

La richesse iconographique de la tombe Ramose tient notamment au fait de ses hautes fonctions ; il portait des titres à la fois administratifs, judiciaires et sacerdotaux.

  • Administratifs : « Vizir, gouverneur/maire de la ville, surintendant des documents, surintendant des travaux sur les grands monuments, administrateur de l'Égypte du Sud et du Nord, bouche qui donne satisfaction dans tout le pays, régent de tout le pays. »
  • Judiciaires : « Juge, juge de la haute cour, bouche de Nekhen (Hierakonpolis), prêtre de la justice, juge dans la décision des affaires, dispensant la justice, rendant la justice quotidiennement et la présentant au palais de son seigneur, celui qui fait le bien et déteste le mal. »
  • Sacerdotaux : « Superviseur des prêtres de l'Égypte du Sud et du Nord, superviseur des temples de tous les dieux, le plus grand des voyants, sur les secrets des écrits sacrés, chef des offrandes aux dieux, au courant des secrets des deux déesses serpents, connaissant les mystères de tous les dieux, connaissant les mystères de l'On du Sud (Hermonthis/Ermant), connaissant les secrets du monde souterrain, entrant dans les secrets du ciel et de la terre, prêtre-sem, dirigeant tous les fonctionnaires (lit. tous les pagnes-šndyt). »

Ne sont pas mentionnés les titres honorifiques ainsi que les titres liés à la royauté, à la bureaucratie et au peuple.[1]

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[1] D'après Dr. Sigrid HODEL, Life an death in Ancient Egypt. osirisnet.net


Le cortège et les pleureuses

Le cortège funéraire peint sur le mur sud de la tombe est divisé en deux parties. Sur le registre supérieur, le convoi funèbre ; sur le registre inférieur, les porteurs du mobilier funéraire et les pleureuses. 

 

 

Le nombre de pleureuses est en corrélation avec la taille exceptionnelle de la tombe et avec la quantité d’offrandes acheminées vers le tombeau, signe de la notoriété du personnage.

 

 

Les pleureuses sont divisées en deux groupes. Le premier dans le sens de la marche, compte dix pleureuses proprement dites, huit accroupies et deux debout. Leurs cheveux sont défaits et des larmes coulent sur leurs joues. Les femmes accroupies ramassent de la poussière ou de la boue et la projettent sur leur tête. Les neuf autre femmes ne pleurent pas et leur attitude est différente. Il pourrait s’agir de chanteuses de lamentations ou d'éloges funèbres. Bien que ces femmes s’expriment vocalement, leur bouche est fermée. Des exemples, dans d’autres tombes, montrent des bouches ouvertes.

 

 

Le second groupe de pleureuses est placé dans le sens inverse de la marche. Les femmes sont seins nus. Elles lèvent la tête et les bras en direction du sarcophage posé sur une barque et un traineau. Elles portent une longue étoffe plissée ajustée à la taille. La plupart d’entre elles sont jeunes. Elles sont reconnaissables à leurs seins fermes. Une femme plus mûre, peut-être la veuve, est représentée avec une poitrine tombante, ce qui ne préjuge pas nécessairement d’un âge avancé, mais plutôt du fait qu’elle a enfanté et nourrit ses enfants au sein. Une fillette éplorée s'accroche à elle. Là encore, toutes les femmes ont la bouche fermée et pleurent. Au premier plan, une enfant est représentée totalement nue.

 

On dénombre au total 42 femmes. Curieusement, ce nombre est en corrélation avec le nombre nômes, c’est-à-dire de provinces d’Égypte. Or on sait pas les inscriptions de la tombe que Ramose était administrateur et Superviseur des prêtres de l'Égypte du Sud et du Nord, c’est-à-dire des 42 nômes. S’agit-il d’une simple coïncidence ?

 

Des hiéroglyphes apportent quelques informations sur la procession, mais ils demeurent quasiment muets sur le contenu des lamentations, si ce n’est : « Le grand gardien est parti, il est passé près de nous ». 

 

On peut se demander quel est le rôle de ces pleurs et de ces lamentations ? Si l’expression naturelle du chagrin de la famille et des proches est indéniable, d’autres objectifs se superposent. Donner de l’emphase et du panache aux funérailles est sans doute l’un des aspects les plus visibles. À travers ce théâtre total composé d’outrances gestuelles et sonores, les pleureuses veulent aussi attirer l’attention des entités spirituelles bénéfiques afin qu’elles guident le défunt dans son voyage vers l'au-delà, but ultime fantasmé par tous les vivants à cette époque.


La capsule vidéo

Lieu & date : Égypte. Nécropole thébaine, Cheikh Abd el-Gournah. Octobre 2022.  Durée : 06:13. © Patrick Kersalé 2022-2024.