Le rhombe magdalénien de Lalinde


Pour la petite histoire

GeoZik était à tel point intrigué par le rhombe paléolithique présenté par Tinaig Clodoré-Tissot dans le PAE Instruments de la Préhistoire européenne, qu'il a décidé, après en avoir vu plusieurs copies, d'aller observer l'original au Musée d'Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye. Rendez-vous pris le 21 septembre 2022 avec Catherine Schwab, Conservatrice en chef du patrimoine en charge des collections du Paléolithique et du Mésolithique. L'objet est arrivé à l'heure, manipulé avec des gants par des doigts experts sous nos yeux ébahis. Compte tenu de son unicité et de sa fragilité, l'objet ne quitte jamais les réserves. Ce n'est pas que son matériau soit particulièrement fragile — bois de renne — mais c'est plutôt son revêtement totalement ocré qui l'est. Voilà pour la petite histoire de notre visite…

Ci-contre, deux images du rhombe : l'original et une copie marchande décrite sur le Net comme « Moulage (en résine polyuréthane) sur original d’une fidélité au micromètre. » Chacun pourra juger…


Caractéristiques

Caractéristiques de l'objet, fournies par Catherine Schwab : 

Numéro d’inventaire : MAN 77 482.

Lieu de découverte : Grotte de La Roche à Lalinde (Dordogne).

Époque : Magdalénien, vers –20 000 / –13 000 ans.

Matériaux : Bois de renne, ocre.

Dimensions : 16 x 3,4 x 0,6 cm.

Poids : Il n'est pas connu car l'objet s'est fossilisé et a été partiellement recouvert de calcite. Sa masse serait donc légèrement plus importante aujourd'hui qu'autrefois.


Description selon la fiche du musée

« Elle est en bois de Renne (sic) et affecte la forme d'un poisson sans queue. Un trou de suspension se trouve à une de ses extrémités. Elle a été entièrement recouverte d'ocre rouge ; la gravure a été exécutée postérieurement à cette opération, ce qui la fait ressortir en clair sur le fond foncé. La décoration se compose de quatre groupes de cinq lignes parallèles et d'un cinquième de quatre seulement, disposés à intervalles réguliers, en long, dans le milieu, séparés les uns des autres par des séries transversales de cinq traits également parallèles. De chaque côté, une rangée de traits, de 2 millimètres en moyenne de long, disposés en travers, est séparée du bord par trois lignes à peu près parallèles, encadrant les premiers dessins, mais laissant, dans la partie latérale la plus convexe, un espace garni par une série de ponctuations. » [1] 

 



Rhombe ou pendeloque ?

Nous avons affaire à un objet inerte, pour l'heure unique en son genre sur toute la période paléolithique franco-cantabrique. Aucune preuve tangible de l'usage d'un tel objet n'est fourni par l'iconographie pariétale ou mobilière. Alors une question se pose : est-ce un rhombe ou une pendeloque ?

Initialement, cet objet n'avait pas été inventorié comme rhombe, mais comme pendeloque. En effet, les fouilles de l'époque paléolithique ont fourni nombres de pendeloques, mais de plus petite taille. Ci-contre, la vitrine des pendeloques du Musée d'Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, en septembre 2022.

On trouve, dans la revue Préhistoire du sud-ouest, n° 16-2008-2 (voir .pdf joint plus bas) un article intitulé « La pendeloque du Musée d'Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye ». L'auteur rapporte la pensée d'André Leroi-Gourhan : « À noter que André Leroi-Gourhan, ethnologue de formation mais se méfiant du comparatisme ethnographique sommaire, se contente prudemment d'en faire une “grande pendeloque à décor géométrique élaboré”. Il mentionne le diagnostic de rhombe, mais, il souligne avec prudence et humour : « Un modèle de cette pièce de Lalinde se comporte comme un rhombe […]. Il est donc possible qu'il s'agisse de cet instrument […], mais il est certain qu'on peut siffler dans une clef sans y voir forcément un instrument de musique » (Leroi-Gourhan, 1965, p. 57 et 440, fig. 762). Il le rapproche d'autres pendeloques allongées (Saint-Marcel, Laugerie-Basse et Masd'Azil).

Nous partageons bien entendu la prudence d'André Leroi-Gourhan. Mais essayons d'aller plus loin. La taille de ce rhombe est relativement petite comparativement aux instruments comparables offerts par l'ethnographie. Mais comme il a été sculpté dans un bois de renne, il ne pouvait guère être plus large. Pour obtenir un objet plus grand, il aurait fallu le façonner dans du bois végétal ou dans de l'os. Si le principe du rhombe existait à cette époque, de tels matériaux ont probablement été employés. Dans sa démarche d'archéologie comparée, GeoZik a fait fabriquer un tel objet par Alexandre Bartos dans une omoplate (voir notre vidéo).

 

Les pour et les contre

Observons les éléments militant pour ou contre l'idée du rhombe.

 

Pour

L'objet est plus grand que le corpus des pendeloques de formes comparables (lancéolées, ovales, oblongues, etc.) percées à une extrémité.

« D'après les fouilleurs, rapporte Denis Peyrony, une autre pièce provient de la partie supérieure de la couche. Elle se trouvait dans un bloc de brèche ; en se détachant, elle a laissé une empreinte du dessin qui décore une de ses faces. »[1] Ce témoignage est important car l'on sait par l'ethnographie, notamment chez les Dogon du Mali où GeoZik a conduit deux missions, que le rhombe est un objet connu uniquement par les initiés (l'objet lui-même et son nom dans la langue secrète)  qui le conservent fiché dans la roche, dans des grottes ou cavités rocheuses, afin de le cacher et le protéger contre les attaques des insectes xylophages lorsqu'il est en bois.

 

Contre

La taille limitée de l'instrument.

Une seule face est gravée de motifs géométriques, ce qui pourrait militer pour un port autour du cou. Dans l'ethnographie, les deux faces sont généralement ornées.

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[1]

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