L'affrontement symbolique entre Pan et Apollon est bien plus qu'un simple duel mythologique : il incarne un dialogue profond entre deux visions du monde et de l'art. Pan, dieu pastoral et sauvage, représente une musique instinctive, ancrée dans la nature et les émotions brutes, tandis qu'Apollon, dieu solaire et harmonieux, incarne la perfection esthétique et l'ordre divin. Ce KIT explore comment cette rivalité illustre les tensions entre l'instinct et la raison, le chaos et l'harmonie, tout en mettant en lumière l'importance culturelle et spirituelle de leurs instruments emblématiques : la syrinx de Pan et la lyre d'Apollon. À travers l'analyse des sources mythologiques et archéomusicologiques, il s'agit d'interroger la portée universelle de ce mythe dans notre compréhension de la musique et de ses rôles dans les sociétés anciennes et contemporaines. Le triomphe musical d'Apollon sur Pan a contribué à dessiner une destiné musicothérapeutique intemporelle pour la lyre et la harpe.
Textes & photos © Patrick Kersalé 1986-2025, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 12 janvier 2025.
SOMMAIRE
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L'une des missions fondamentales de GeoZik est de puiser directement dans les sources de la littérature orale primaire, transcrites notamment lorsqu’il s’agit de textes anciens. Cette démarche s’appuie sur la nécessité de préserver l’authenticité des récits, des traditions et des pratiques culturelles, souvent déformées par des réinterprétations successives. En effet, les dérives liées aux copier-coller d’auteurs de seconde main entraînent fréquemment des contresens ou des approximations, ce qui risque de dénaturer la substance originale des récits et leur contexte culturel.
S’appuyer sur des sources primaires permet non seulement de garantir une fidélité historique et linguistique, mais aussi de restituer les subtilités symboliques ou philosophiques propres à chaque culture. Dans le cas des traditions orales, qui sont souvent les premières manifestations d’un patrimoine immatériel, cette rigueur est essentielle pour éviter de les réduire à des stéréotypes ou à des simplifications inexactes.
GeoZik joue ainsi un rôle clé dans la conservation et la diffusion des savoirs en établissant un pont entre les textes originaux et leur réinterprétation contemporaine. Cette approche érudite contribue à valoriser la richesse des cultures, tout en sensibilisant à l'importance de respecter leurs origines et leurs évolutions historiques.
Nous explorons successivement quelques textes de la littérature gréco-romaine mettant en scène Pan et Apollon individuellement ou bien les opposant, Orphée, ou encore un passage biblique narrant les bienfaits de la cithara du roi David.
L'une des vocations de GeoZik est de s'appuyer sur les textes sources de prime littérature orale (transcrite lorsqu'il s'agit des textes anciens). En effet, nombre de dérives liées aux copier-coller des auteurs de seconde main, nous amènent bien souvent à des contresens, etc.
Voici une analyse musicothérapeutique succincte basée sur des citations anciennes impliquant le dieu Pan et sa flûte, avec leurs effets psychologiques. Ces citations illustrent la dualité de l'effet psychologique de la musique de Pan : d'un côté, elle peut être apaisante et séduisante, de l'autre, elle peut provoquer la peur et le chaos. Cette ambivalence reflète la nature complexe de Pan en tant que divinité de la nature sauvage. Il convient également de distinguer l'instrument — la flûte de Pan — des sons ou de la musique qu'il produit. Si l'objet est entouré de poésie, son usage par le chèvre-pied peut s'avérer anti-musicothérapeutique puisqu'il peut produire la panique dans le troupeau.
Hymne homérique à Pan (vers 19-21). Cette citation suggère que la musique de Pan a un effet apaisant et harmonieux sur la nature et ceux qui l'écoutent. Elle évoque un sentiment de paix et d'unité avec l'environnement.
ἀγρονόμου τ᾽ ἀγαθὸν Πάνα καὶ εὔσκοπον Ἑρμῆν μιγδ᾽ ἐπ᾽ ἀπειρεσίην γαῖαν φοιτᾶν ἀνὰ πάντα, συρίζων καλὰ καὶ λιγέως ἐν δόνακι κοίλῳ.
Pan, le bon gardien des champs, et Hermès à l'œil perçant, parcourent ensemble toute la terre immense, jouant de beaux airs mélodieux sur le roseau creux.
Longus, Daphnis et Chloé (Livre II, 34). Cette description de l'origine de la flûte de Pan lie l'instrument à l'amour et à la beauté. L'effet psychologique suggéré est celui d'une musique capable d'évoquer des émotions profondes et peut-être même de susciter l'amour ou le désir.
Ἡ σῦριγξ τὸ ὄργανον τοῦτο οὐκ ἦν πάλαι, ἀλλ᾽ εὕρημα ἔρωτος σοφὸν καὶ παρθένου καλῆς.
La syrinx, cet instrument, n'existait pas autrefois, mais c'est une invention ingénieuse de l'amour et d'une belle vierge.
Plutarque, Sur la disparition des oracles (17). Cette annonce de la mort de Pan évoque un sentiment de perte et de changement profond. L'effet psychologique est celui d'une rupture avec l'ancien monde et ses croyances, suscitant peut-être de l'anxiété ou de la mélancolie.
φωνὴν ἀπὸ τῆς νήσου τῶν Παξῶν ἀκουσθῆναι πολλῶν ἐξάκουστον βοῶσαν τὸν Θαμοῦν [...] ὅτι 'ὁ μέγας Πὰν τέθνηκε'.
Une voix fut entendue venant de l'île de Paxos, criant fort pour que beaucoup l'entendent, appelant Thamous [...] que 'le grand Pan est mort'.
Longus, Daphnis et Chloé (Livre II, 37). Cette citation montre le pouvoir de Pan à induire la panique et la frénésie. L'effet psychologique est celui de la peur irrationnelle et du chaos.
Ὁ δὲ Πὰν ὀργισθεὶς τῇ τέχνῃ, ὅτι μὴ καὶ αὐτὸς ἐρῶν ἐτύγχανε τῆς Σύριγγος, ἐμβάλλει τοῖς ποιμέσι καὶ τοῖς αἰπόλοις λύσσαν.
Pan, irrité par cette ruse, car il se trouvait lui-même épris de Syrinx, jeta une frénésie parmi les bergers et les chevriers.
Théocrite, Idylle I (vers 123-126). Cette invocation à Pan suggère un désir de connexion avec la nature sauvage et une croyance en son pouvoir d'inspiration. L'effet recherché est celui d'une présence divine bienveillante et inspirante.
ὦ Πὰν Πάν, εἴτ᾽ ἐσσὶ κατ᾽ ὤρεα μακρὰ Λυκαίω, εἴτε τύγ᾽ ἀμφιπολεῖς μέγα Μαίναλον, ἔνθ᾽ ἐπὶ νᾶσον τὰν Σικελάν, Ἑλίκας δὲ λίπε ῥίον αἰπύ τε σᾶμα τῆνο Λυκαονίδαο, τὸ καὶ μακάρεσσιν ἀγητόν.
Ô Pan, Pan, que tu sois sur les hauts sommets du Lycée, ou que tu parcoures le grand Ménale, viens sur l'île de Sicile, abandonne le pic d'Hélice et le haut tombeau du fils de Lycaon, admirable même aux yeux des bienheureux.
Virgile, Bucoliques, Églogue II (vers 32-33). Cette citation attribue à Pan un rôle d'instructeur et de protecteur. L'effet psychologique est celui de la confiance et de la sécurité, particulièrement pour les bergers et les habitants des campagnes.
Pan primus calamos cera coniungere pluris instituit, Pan curat ovis oviumque magistros.
Pan fut le premier à joindre plusieurs roseaux avec de la cire, Pan veille sur les brebis et les bergers.
Ovide, Métamorphoses (Livre I, 705-706). Ici, la musique de Pan est présentée comme séduisante et envoûtante, capable d'attirer et de charmer les nymphes. L'effet psychologique est celui de la séduction et de l'attraction.
Pan ibi dum teneris iactat sua carmina nymphis et leve cerata modulatur harundine carmen.
Là, tandis que Pan vante ses chants aux tendres nymphes et module un air léger sur ses roseaux enduits de cire.
Hymne homérique à Apollon, vers 131-132. Ce passage de l’Hymne homérique à Apollon met en lumière deux aspects fondamentaux de cette divinité : l'art et la force. La kithara (lyre) représente son lien avec les Muses et les arts, tandis que l’arc symbolise sa puissance destructrice et protectrice. Ensemble, ces attributs définissent le rôle d’Apollon comme médiateur entre les dieux et les hommes, apportant harmonie et ordre au monde.
Δότε μοι κίθαριν φίλην καὶ καμπύλα τόξα, κὰγὼ ἀνθρώποισι Διὸς νόον ἐννεσίω.
Donnez-moi la lyre bien-aimée et l’arc recourbé, et je révélerai aux hommes les vérités dictées par Zeus.
Dialogue entre Apollon et Hermès (d’après l’Hymne homérique à Hermès). Ce texte raconte l’échange mythologique entre Hermès et Apollon. Hermès, après avoir fabriqué la lyre avec une carapace de tortue, l'offre à Apollon en échange du pardon pour le vol de son troupeau. Apollon accepte la lyre, qui devient son attribut principal. Ce récit illustre l'origine divine de la musique, associant invention technique (Hermès) et perfection artistique (Apollon).
Φοίβε, ἀκούω σου κιθάρα δονεῖσθαι μέλος ὑπὲρ πάντας.
« Phébus, j’entends ta lyre vibrer d’un chant qui surpasse tous les autres. »
Références visuelles et poétiques à la lyre d’Apollon. L’image d’Apollon jouant de la lyre sur l’Olympe est omniprésente dans la mythologie grecque. Elle reflète son rôle de dieu de l’harmonie universelle, capable de lier les dieux et les hommes par la musique. Dans les arts visuels antiques, la lyre symbolise également l'ordre cosmique.
Ὁ Φοίβος ἐν Ὀλύμπῳ ἐπὶ κιθάρας ἡδύ μέλπει.
Phébus chante doucement avec sa kithara sur l’Olympe.
Pausanias : Apollon et les murs d’Alcathous (Mégare). Ce passage met en lumière le rôle d’Apollon dans la construction des civilisations humaines. L’image du dieu déposant sa lyre pendant qu’il contribue à un ouvrage défensif souligne sa dualité : maître des arts et facilitateur de l’harmonie sociale, mais aussi garant de la force. La lyre devient ainsi un symbole de paix et de structure dans un monde souvent chaotique.
Πλησίον δὲ τοῦ ἐστι καὶ λίθος, ἐφ’ ᾧ καὶ κιθάραν ὁ Ἀπόλλων τίθεσθαι νομίζεται, ὅτε συνῆν Ἀλκάθοῳ τὸ τεῖχος ἑδραζόμενος.
Près de là se trouve une pierre sur laquelle on dit qu’Apollon posait sa kithara lorsqu'il aidait Alcathous à ériger le mur.
Apollon dans les festivités Carnéennes (fragment 87). Les festivités Carnéennes, en l’honneur d’Apollon, mettent en avant son rôle fédérateur et célébratoire. Le chant choral en son honneur reflète la fonction unificatrice de la musique dans les rituels grecs. Apollon devient le garant de l’harmonie collective à travers ces pratiques festives.
Λιγυκρότον κιθάραν σήμαινε.
Lors des festins, ils chantent en chœur des hymnes païens à Apollon.
Alcman : La résonance de la lyre d’Apollon (fragment 82). Ici, Alcman évoque la clarté et la pureté du son produit par la lyre d’Apollon. Ce fragment célèbre la capacité du dieu à capturer et transmettre la perfection musicale, qui devient un symbole d’ordre universel et d’inspiration divine.
Παιάνων… ἐν δαιτὶ συνίστανται.
Fais résonner la lyre au son clair et harmonieux.
Apollon, chef de la lyre (Pindare, Odes Pythiques 1.1–4). Pindare célèbre Apollon comme le guide des chants sacrés et l’initiateur des rituels musicaux. À travers cette évocation, il lie la figure du dieu à la ville de Delphes, centre spirituel du monde grec, où la musique servait d’intermédiaire entre les hommes et les dieux.
Χαῖρε, Φοῖβ’, ὅστις ἐν Δελφοῖς…
καὶ λύρης ἡγήτορ' ἑκάστοτε θείης.
Réjouis-toi, Phoibos, celui qui règne à Delphes, chef toujours inspiré du chant de la lyre.
Apollon et la punition des Niobides (Ovide, Métamorphoses, VI, 146-312). Ce passage intervient dans le contexte de la vengeance d’Apollon et de sa sœur Artémis contre Niobé. L’instrument de musique est utilisé comme un rappel de l’harmonie et du pouvoir divin. La lyre est opposée à la rudesse des sons terrestres, soulignant encore la finesse et la suprématie des arts apolliniens.
Ille manu nervos, non vocalia saxa moventem, sustulit: et citharae resonantia plectra dedit.
Il (Apollon), de sa main experte, fit vibrer les cordes harmonieuses de la cithara, et non des sons grossiers.
Apollon dans les Bucoliques de Virgile (Virgile, Bucoliques, V, 56-59). Dans cette célébration bucolique, Apollon est associé à la nature et à la musique. La lyre devient l'instrument par lequel il harmonise le monde naturel et spirituel. Virgile relie ici la lyre à un espace sacré où les Muses trouvent leur inspiration.
Phoebe silvas, Phoebe et aperta lucosque, resonasque cithara dulcis cantus ubi Musae.
Phoebus, toi qui fais résonner les bois, les clairières et les vallées ouvertes, là où ta cithara fait vibrer les doux chants des Muses.
Ovide, Métamorphoses (Livre XI, 146-193). L'analyse psychologique et musicothérapeutique du duel musical entre Pan et Apollon révèle une riche symbolique des processus psychiques humains. Pan incarne l'aspect instinctif et primitif de la psyché, sa musique évoquant les pulsions et émotions brutes. En contraste, Apollon représente l'intellect et la culture raffinée, sa musique symbolisant l'harmonie et le contrôle des passions. Ce duel peut être interprété comme une métaphore du conflit intérieur entre ces deux facettes de l'esprit humain. La musique de Pan, décrite comme "barbare", semble avoir un effet hypnotique, touchant les émotions primaires et l'inconscient. Elle pourrait être associée à des approches thérapeutiques visant à libérer les émotions refoulées. La musique d'Apollon, caractérisée par sa "douceur", a un effet plus intellectuel et pourrait être utilisée dans des thérapies visant à restaurer l'harmonie mentale ou à apaiser l'anxiété. Les réactions divergentes de Tmolus et Midas illustrent comment la perception de la musique varie selon la personnalité et le niveau culturel de l'auditeur. La punition de Midas symbolise potentiellement les conséquences d'un attachement excessif aux aspects primitifs de la psyché au détriment du développement intellectuel. Cette analyse souligne la complexité des effets psychologiques de la musique, son potentiel thérapeutique, et l'importance de l'équilibre entre les aspects instinctifs et rationnels de l'esprit humain.
Pan ibi dum teneris iactat sua carmina nymphis et leve cerata modulatur harundine carmen, ausus Apollineos prae se contemnere cantus, iudice sub Tmolo certamen venit ad inpar. Monte suo senior iudex consedit et aures liberat arboribus: quercu coma caerula tantum cingitur, et pendent circum cava tempora glandes. Isque deum pecoris spectans 'in iudice' dixit 'nulla mora est.' Calamis agrestibus insonat ille barbaricoque Midan (aderat nam forte canenti) carmine delenit. Post hunc sacer ora retorsit Tmolus ad os Phoebi: vultum sua silva secuta est. Ille caput flavum lauro Parnaside vinctus verrit humum Tyrio saturata murice palla instrictamque fidem gemmis et dentibus Indis sustinet a laeva, tenuit manus altera plectrum. Artificis status ipse fuit. Tum stamina docto pollice sollicitat, quorum dulcedine captus Pana iubet Tmolus citharae submittere cannas. Iudicium sancti subiit indignata senis et tibia victa suo est Pallantias ira.
Là, tandis que Pan vantait ses chants aux tendres nymphes et modulait un air léger sur ses roseaux enduits de cire, il osa mépriser les chants d'Apollon devant lui, et vint à un concours inégal, Tmolus étant juge. Le vieux juge s'assit sur sa montagne et libéra ses oreilles des arbres : seule une couronne de chêne ceint sa chevelure azurée, et des glands pendent autour de ses tempes creuses. Regardant le dieu des troupeaux, il dit : 'Le juge est prêt.' Pan joue sur ses chalumeaux rustiques et charme Midas (qui assistait par hasard au chant) de son air barbare. Après lui, le sacré Tmolus tourna son visage vers Phébus : sa forêt suivit son mouvement. Celui-ci, la tête blonde ceinte du laurier du Parnasse, balaye le sol de son manteau saturé de pourpre tyrienne et tient de la main gauche sa lyre ornée de gemmes et d'ivoire indien, tandis que l'autre main tient le plectre. Sa posture même était celle d'un artiste. Alors, de son pouce habile, il fait vibrer les cordes, dont la douceur captive Tmolus, qui ordonne à Pan de soumettre ses roseaux à la cithara. Le jugement du vieux dieu est approuvé par tous ; seul Midas le conteste et le trouve injuste.
Le jugement entre Apollon et Pan (Ovide, Métamorphoses, XI, 146-193). Ce passage contraste les styles musicaux : la simplicité rustique de Pan et la perfection raffinée d’Apollon. La préférence de Midas pour le style de Pan symbolise l’ignorance face à l’art divin, ce qui lui vaut une punition (oreilles d’âne). Ce récit valorise l’élégance et la maîtrise technique incarnées par la cithare d’Apollon.
Pan sibi deiectis calamis concredidit, et tibia aspera cunctis placuit audientibus... Phoebus tunc citharam tenuit et arte submissa totos cantavit montes. Iudex Tmolus Apollinem victoriam dedisse pronuntiavit, sed Midas, rudis musicae, citharam contempsit tibiamque laudavit.
Pan se confia à ses frustes calames et leur son rude plut à tous ceux qui l’entendaient. Ensuite, Phoebus saisit sa cithara et, avec une maîtrise exquise, fit résonner des mélodies qui enchantèrent toutes les montagnes. Le juge Tmolos déclara Apollon vainqueur, mais Midas, ignorant en matière musicale, méprisa la cithara et loua les tibia.
Dans la mythologie gréco-romaine, la confrontation musicale entre Apollon et Pan symbolise la supériorité de l'art raffiné sur la rusticité. Cette opposition se cristallise autour de leurs instruments respectifs : la lyre pour Apollon et la flûte pour Pan.
Le mythe le plus célèbre mettant en scène ce duel musical se déroule sur le mont Tmolus. Pan, confiant en ses talents de flûtiste, ose défier Apollon et sa lyre. Le dieu éponyme du mont Tmolus est choisi comme juge de ce combat inégal. Malgré le charme rustique des calames de Pan, c'est la mélodie divine de la lyre d'Apollon qui remporte les suffrages.
Cette victoire d'Apollon n'est pas anodine. Elle reflète une hiérarchie culturelle où la lyre, instrument complexe et harmonieux, symbolise la civilisation et l'élévation de l'esprit. À l'inverse, la flûte de Pan, bien que mélodieuse, est associée à la nature sauvage et aux instincts primaires.
Ce jugement en faveur de la lyre d'Apollon perdurera à travers les âges, influençant la perception de la musique et des arts dans la culture occidentale. Il établit une distinction durable entre musique "savante" et musique "populaire", qui résonnera longtemps dans l'histoire de l'esthétique musicale. Aujourd'hui encore, dans le langage courant, le terme "pipeau", utilisé de manière variée, porte une connotation péjorative. L'introduction de la flûte à bec à l'école (désormais abandonnée officiellement depuis 2008) n'a fait qu'accentuer cette image négative.
Dans ce débat mythologique entre Pan et Apollon, il nous était impossible de ne pas évoquer la figure d’Orphée et sa lyre, incarnation parfaite du pouvoir transcendental de la musique dans la tradition grecque. Alors qu’Apollon représente la perfection harmonique et divine, et Pan le lien avec les forces instinctives de la nature, Orphée se tient au carrefour de ces deux mondes. Sa lyre, offerte par Apollon lui-même selon certaines versions, illustre une synthèse idéale entre l’art céleste et la communion avec les éléments terrestres.
Orphée, en jouant sa musique, parvient à charmer les dieux comme les mortels, et même à émouvoir les rochers et les arbres. Ce pouvoir rappelle la capacité d’Apollon à sublimer le chaos par l’ordre harmonique, tout en évoquant l’intimité de Pan avec la nature sauvage. L’épisode où Orphée descend aux Enfers, grâce à sa lyre, pour tenter de ramener Eurydice est une démonstration éclatante de cette double influence : la musique comme art divin, mais aussi comme appel viscéral à la vie et à l’amour.
En explorant le mythe de Pan et d’Apollon, la présence d’Orphée enrichit le tableau en symbolisant la quête humaine de transcendance et d’équilibre entre raison et émotion, culture et instinct.
Le mythe d’Orphée suit l’histoire d’un musicien et poète légendaire de la mythologie grecque, fils de la muse Calliope et du roi Œagre ou du dieu Apollon. Doué d’une voix et d’une lyre magiques, Orphée avait le pouvoir d’émouvoir les hommes, les bêtes, et même les forces de la nature.
Après s’être uni à Eurydice, une nymphe d’une grande beauté, Orphée vit son bonheur brisé lorsque cette dernière meurt d’une morsure de serpent. Dévasté, il décide de descendre aux Enfers pour implorer Hadès et Perséphone de rendre la vie à son épouse. Jouant de sa lyre et chantant un chant poignant, Orphée parvient à attendrir les divinités infernales et les ombres, qui acceptent sa requête à une condition : ne pas se retourner pour regarder Eurydice avant qu’ils n’aient quitté le royaume des morts.
Sur le chemin du retour, submergé par le doute et l’inquiétude, Orphée finit par céder et se retourne, perdant Eurydice à jamais. Inconsolable, il retourne à la surface, mais rejette la compagnie des femmes et se consacre entièrement à son art. Sa fin tragique intervient lorsqu’il est attaqué et tué par des Ménades en colère, selon certaines versions, ou simplement victime des forces de la nature.
Ce récit illustre la puissance de l’art et la fragilité des désirs humains face aux lois immuables du destin. Il symbolise également l’amour absolu et le lien entre la vie, la mort et l’immortalité de l’âme.
L'un des passages marquants où Orphée joue de la lyre est relaté dans des récits de la mythologie grecque, notamment lorsqu'il accompagne les Argonautes ou descend aux Enfers pour chercher Eurydice. Bien que les récits détaillés varient, il est clair que la musique d'Orphée, jouée sur sa lyre divine, a le pouvoir d'enchanter les êtres vivants, les forces de la nature, et même les dieux de l'au-delà.
Fragment grec de mythes liés à Orphée. « Ἡ δὲ φόρμιγξ Ὀρφέως, ἐξ Ἁρμονίας δοθεῖσα, ψυχὰς καὶ θηρία ἐνέτεινεν καὶ τοὺς ἀναίσθητους λίθους. »
« La lyre d'Orphée, offerte par Harmonie, pouvait émouvoir les âmes, apprivoiser les bêtes sauvages et donner vie aux pierres inertes. »
Ovide dans les Métamorphoses. « Tunc primum lacrimis victarum carmine fama est / Eumenidum maduisse genas. »
« Pour la première fois, dit-on, les joues des Furies, émues par son chant, furent humides de larmes. »
Dans le mythe d’Orphée, la lyre symbolise la puissance transcendante de la musique. Elle est un outil divin qui relie les mondes humain, naturel et surnaturel. Par son jeu, Orphée franchit les limites de la condition humaine, parvenant à émouvoir non seulement les vivants, mais aussi les divinités infernales, les ombres des morts et même les éléments inanimés, comme les pierres ou les arbres. La musique devient ainsi un langage universel, capable de toucher toutes les formes d’existence et de transcender les barrières physiques et spirituelles.
Cependant, cette universalité et ce pouvoir apparent révèlent une tension fondamentale dans le mythe : bien qu’Orphée triomphe par sa musique, il échoue à ramener Eurydice. Ce paradoxe met en lumière les limites de l’art face aux lois inéluctables du destin et de la mort. Malgré sa maîtrise artistique et l’intensité de son amour, Orphée ne peut vaincre les règles qui régissent le monde des morts. Cette dualité renforce la tragédie du récit, où l’art, aussi puissant soit-il, ne peut contrecarrer l’implacabilité du temps et de la fatalité.
Le mythe d’Orphée explore ainsi l’interaction complexe entre l’émotion humaine, le pouvoir de l’art et les contraintes universelles, mettant en lumière la beauté éphémère et la fragilité de la condition humaine.
Dans l'Ancien Testament, plus précisément dans le Premier Livre de Samuel, le roi David est décrit comme jouant de la harpe pour apaiser l'esprit du roi Saül. Ce passage montre l'impact thérapeutique de la musique, une qualité qui va au-delà de la simple performance musicale.
Texte en grec (Septante) - 1 Samuel 16:23. « ὅτε δὲ ἐλάλησεν ὁ πνευματισμὸς τοῦ θεοῦ ἐπὶ Σαοὺλ, τότε ἔπεμπεν Δαυιδ τὸν κιθαρῳδὸν, καὶ ἐπὶ τῆς κιθάρας αὐτοῦ ἔψαλεν· καὶ ἀνέπαυεν τὸν βασιλέα. »
« Et lorsque l'esprit mauvais de Dieu vint sur Saül, David prit la kithara et en jouant, il apaisa Saül, et l'esprit mauvais se retira de lui. »
* Le mot grec κιθαρῳδὸν (kitharōdón) est composé de deux éléments : κιθάρα (kithara), instrument à cordes multiples, et ῳδὸς (ōdos), qui désigne "chant" ou "chanson". Le terme κιθαρῳδὸν se traduit donc par "joueur de kithara". Dans le contexte biblique, ce terme fait référence à David, qui est décrit comme un κιθαρῳδὸς, jouant d'un “instrument à cordes multiples” pour apaiser l'esprit de Saül.
Les traductions grecques et latines de la Bible, comme la Septante et la Vulgate, ont rencontré des difficultés pour traduire précisément le terme désignant l'instrument à cordes du roi David, créant une confusion persistante entre "lyre" et "harpe". Cette imprécision s'explique principalement par deux facteurs : d'une part, les traducteurs de la Bible, bien que linguistes compétents, n'étaient généralement pas des experts en musicologie antique, ce qui a pu conduire à des choix de traduction approximatifs pour les instruments de musique. D'autre part, les termes utilisés dans les textes sources (hébreu, araméen, grec ancien) pour décrire ces instruments ont pu évoluer au fil du temps ou avoir des significations multiples, compliquant leur interprétation précise. Il est important de noter que la lyre et la harpe coexistaient dans la région du Proche-Orient ancien à l'époque supposée du roi David, ajoutant à la difficulté d'identification de l'instrument mentionné. De plus, la transmission orale initiale de ces récits avant leur transcription écrite ajoute une couche supplémentaire d'incertitude quant à la précision des termes utilisés. En somme, la difficulté de traduire avec exactitude l'instrument de David résulte d'une combinaison de facteurs linguistiques, historiques et culturels, plutôt que d'une simple erreur de traduction.
Plus tardivement, le roi David est aussi représenté jouant du psaltérion ou de l'orgue.
Ce passage illustre les effets apaisants de la musique de la harpe de David. Lorsqu'un "esprit mauvais" s'empare de Saül, perturbant son esprit et son humeur, la musique de David agit comme un remède, apaisant le roi et éloignant l'influence négative. Le texte montre non seulement la puissance de la musique en tant que thérapeutique, mais aussi son rôle spirituel dans la culture antique, où elle était vue comme un moyen de restaurer l'équilibre émotionnel et spirituel. Ce passage met également en lumière l'idée que la musique, en particulier celle jouée par un être juste et inspiré, possède un pouvoir presque divin sur l'âme humaine, capable de dissiper les ténèbres intérieures.
Ce récit est une des nombreuses instances bibliques où la musique et l'art sont valorisés non seulement pour leur beauté, mais aussi pour leur capacité à influencer l'état mental et spirituel des individus.
Ce qui doit être retenu de la réalité acoustique de la lyre et/ou de la harpe, c'est avant tout leur sonorité unique et apaisante, qui traverse les âges et les cultures. Bien que les deux instruments aient évolué et aient été interprétés sous des formes variées au fil des siècles, ils conservent un pouvoir sonore particulier, capable de toucher l'âme (ou les âmes selon la culture).
La harpe, bien qu’évoluant davantage dans des contextes médiévaux et chrétiens, partage cette capacité à engendrer une atmosphère de sérénité. Dans l’iconographie chrétienne, notamment avec les représentations du roi David, la harpe symbolisait la prière et la réconciliation divine, soulignant sa fonction spirituelle et contemplative. De plus, dans la tradition éthiopienne, la begena, une forme de lyre, a perduré et continue d'être un instrument de méditation et de spiritualité. L’écho apaisant de ces instruments nous rappelle que leur musique transcende le temps et les sociétés, offrant à chaque époque un refuge sonore, un espace de paix et de connexion profonde avec l’invisible.
Les sources anciennes et modernes, qu’il s’agisse de textes mythologiques ou de recherches musicologiques contemporaines, notamment avec l'appui des neurosciences, témoignent de cette qualité unique de leur sonorité, qui continue de fasciner et d'inspirer.
La pratique de la harpe-thérapie repose sur un principe ancien : la musique de la harpe aurait des effets bénéfiques sur l'âme. Les Grecs anciens, notamment dans les écrits d’Homère et de Pindare, avaient déjà observé de manière empirique les effets apaisants de cet instrument. Orphée, avec sa lyre, symbolisait cette capacité de la musique à calmer les esprits et à adoucir les émotions humaines. Aujourd’hui, les neurosciences confirment ces pratiques anciennes, mettant en lumière les bienfaits de la musique de la harpe sur le cerveau et l’âme humaine.
Les recherches récentes montrent que la musique, et plus spécifiquement la musique de la harpe (la lyre étant culturellement hors-jeu en Occident), active des zones du cerveau liées à la relaxation, la réduction du stress et l'amélioration de l'humeur. Selon une étude de 2016 menée par le Journal of Music Therapy, il a été prouvé que les vibrations et les tonalités spécifiques de la harpe favorisent une diminution du cortisol, l'hormone du stress, et induisent un état de calme profond. Ce phénomène est particulièrement prononcé lorsque la musique est jouée en des rythmes lents et réguliers, ce qui est typique de la musique de la harpe. Des travaux sur le rythme cérébral ont également montré que la musique de la harpe aide à induire un rythme alpha, associé à des états de relaxation et de méditation.
Une autre étude, publiée dans le Frontiers in Psychology en 2019, a révélé que l'écoute de musique douce et instrumentale, comme celle de la harpe, améliore la connectivité entre les différentes régions cérébrales, favorisant ainsi un meilleur équilibre émotionnel et cognitif. Les chercheurs ont observé une amélioration du bien-être psychologique chez les participants après plusieurs séances de harpe-thérapie, et un renforcement de la capacité de gestion émotionnelle.
Les études sur les effets de la musique sur la réduction de l'anxiété en milieu hospitalier ont également montré que l'introduction de la harpe dans des environnements médicaux peut jouer un rôle significatif dans la gestion de la douleur et l'amélioration de l'état émotionnel des patients. En effet, la musique de la harpe, avec ses vibrations enveloppantes et son timbre unique, est utilisée dans de nombreux établissements de santé pour réduire les niveaux de stress des patients et favoriser la guérison.
Ainsi, bien que les Grecs anciens aient intuitivement reconnu les bienfaits de la musique, les découvertes scientifiques contemporaines corroborent et enrichissent cette sagesse ancestrale, prouvant que la harpe possède des vertus thérapeutiques qui agissent sur le corps et l’esprit.